Avec nos excuses à Bella Lehmann- Berdugo, dont la signature a été omise dans la Revue Quart Monde 243, même rubrique

L’auteur1 originaire du Forez (Auvergne), après leur avoir consacré un recueil de photos2 a voulu donner la parole à des gens du monde rural qu’il connaît bien, qui lui font confiance et qu’on entend rarement. Durant treize ans, il les a rencontrés et suivis, d’abord en accompagnant les tournées du facteur puis celles du vétérinaire. Ils sont éleveurs de bovins pour la plupart et la dernière génération paysanne.

Dans la brume, la boue, dans les champs, les étables ou leur pièce à vivre, au fil des saisons, des paysans d’aujourd’hui se tiennent debout, au milieu de l’indifférence générale. Il y a Raymond, triste et seul depuis la mort de son frère, qui mange en compagnie de sa poule. Il y a Jeannot et sa femme en colère, dont les bêtes doivent être menées à l’abattoir car potentiellement atteintes de la maladie de la vache folle. Ils ne s’en remettront ni financièrement ni psychologiquement. Lors du départ des bovins, il exige la présence d’un représentant de l’administration, « ces commanditaires qu’on ne voit jamais ». « Qu’ils aient la franchise de me dire qu’on ne veut plus de nous », dit-il.

Et puis il y a Claudette, 75 ans, avec son franc-parler, à bout de forces et qui aspire à la retraite. Elle voudrait louer ou vendre sa terre sans se « faire avoir ». Nous la voyons pester contre son chien, vaquer seule aux travaux avec une béquille, faire ses comptes, nourrir ses poules dans une épave de voiture, au téléphone aux prises avec l’assistante sociale. Elle finira par vendre et vivre dans un petit pavillon nu, exténuée, seule, non loin de sa terre mais comme déracinée.

Tous vivent dans un grand dénuement. Leurs intérieurs sont en désordre, sombres, vétustes (à peine l’eau courante), parfois sales car certains vivent avec du bétail. Mais leur dignité est grande parce qu’ils ne baissent pas les bras, qu’ils essaient de comprendre un monde moderne complexe qui leur échappe et une société qui les ignore. L’un d’eux remercie un journaliste de mettre un coup de projecteur sur son combat, preuve qu’ils ont conscience de l’importance des médias.

Pourtant nous aurions tellement aimé que leurs batailles soient collectives car on les sent perdues d’avance. Dans Petit paysan3, le protagoniste est jeune, connecté à internet ; or il préfère aussi une solution individuelle quand un éleveur belge lui propose de le rejoindre avec d’autres.

Fallait-il également tout montrer de la dérive de ces personnes, au risque de donner une image négative (saleté, jurons, alcool parfois), d’engendrer des préjugés ? Nous sentons très bien que le réalisateur ne juge pas ces femmes et ces hommes, ne les « victimise » pas non plus, qu’il les filme avec empathie et tendresse. Il y a eu entre eux un lien de confiance dans la durée et une vraie rencontre qui ont permis la réalisation de ce film. Christophe Agou est mort sans avoir pu en terminer lui-même le montage. Par superstition, les gens de là-bas pour signifier au visiteur au revoir à la prochaine fois, ont coutume de dire : « sans adieu ».