Serge Paugam, Bruno Cousin, Camila Giorgetti, Jules Naudet. Ce que les riches pensent des pauvres

Éd. du Seuil, 2017, 273 p., 23 €

Daniel Fayard

p. 61-62

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Serge Paugam, Bruno Cousin, Camila Giorgetti, Jules Naudet. Ce que les riches pensent des pauvres, Éd. du Seuil, sept. 2017, 273 p., 23 €

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Daniel Fayard, « Serge Paugam, Bruno Cousin, Camila Giorgetti, Jules Naudet. Ce que les riches pensent des pauvres », Revue Quart Monde, 245 | 2018/1, 61-62.

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Daniel Fayard, « Serge Paugam, Bruno Cousin, Camila Giorgetti, Jules Naudet. Ce que les riches pensent des pauvres », Revue Quart Monde [En ligne], 245 | 2018/1, mis en ligne le 01 septembre 2018, consulté le 20 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/7191

Cet ouvrage est le fruit d’une recherche comparative dont « l’objectif n’est pas de décrire des pratiques, mais de décrypter des registres argumentatifs… : ce qui motive les riches à produire une frontière morale entre eux et le monde extérieur, ce qui les conduit à éprouver au contact des pauvres un sentiment de répulsion physique, ce qui leur permet de justifier leur supériorité sociale et de neutraliser la compassion à l’égard des plus démunis. » À travers 240 entretiens approfondis, les auteurs s’intéressent donc principalement aux « représentations » qu’ont des pauvres et de la pauvreté quelques membres des classes supérieures habitant dans 12 quartiers bourgeois traditionnels dans la métropole parisienne, à São Paulo au Brésil et à Delhi en Inde. Ils expliquent le choix de ces trois agglomérations et ne manquent pas de souligner les différences de contexte qui les affectent. Mais ils rendent compte surtout de la parenté des propos et des jugements à l’encontre des pauvres qu’ils y ont recueillis. En effet, les plus riches cultivent la distanciation (« l’entre-soi ») et pratiquent l’auto-ségrégation (« l’exclusivisme »). Vivre dans un quartier « protégé » (niveau social élevé, espaces sécurisés, prix prohibitif des terrains et des habitations), induit pour eux une recherche de prestige, une stratégie de reproduction sociale, mais recèle aussi une volonté de se mettre à distance des pauvres et de s’affranchir de toutes les nuisances supposées d’une mixité sociale.

Relevons quelques tendances caractéristiques.

‑ À São Paulo comme à Delhi, les plus riches accordent de l’importance à l’homogénéité de classe car cet environnement leur est indispensable pour se sentir à l’aise dans la vie quotidienne comme pour pouvoir transmettre à leurs enfants leurs valeurs et leurs principes.

‑ D’une façon générale, les pauvres sont à leurs yeux porteurs de menaces. D’abord parce qu’ils ont un mode vie et des comportements qui ne respectent pas leurs codes de bonne conduite. Plus précisément, ils génèrent un climat d’insécurité. Pire, ils engendrent un dégoût face à leur saleté et à leur puanteur, voire la peur d’une contamination.

‑ Les plus riches cultivent une haute idée de leur supériorité, fondée d’une part sur leurs qualités innées ou leurs dons naturels, d’autre part sur leur goût du travail et leur sens de l’effort, ce dont selon eux les pauvres sont dépourvus. Au regard de cette idéologie de la méritocratie, ils justifient aisément aussi bien leurs privilèges que l’infortune des autres, qui au final méritent leur sort, leur infériorité, voire leur sous-humanité. Le moins qu’on puisse dire c’est qu’il n’y a chez eux aucune marque d’estime des pauvres en général, même si tel ou tel d’entre eux échappe à ce mépris lorsqu’il fait partie de leur personnel de service. Sans doute faut-il voir là un racisme de classe plus ou moins accentué selon les personnes, rarement professé publiquement mais relevant de leur intime conviction.

Les auteurs concluent : « Étudier de façon comparative ce que les riches pensent des pauvres nous renseigne sur les principales formes de discrimination à l’œuvre dans les sociétés modernes, mais aussi sur les obstacles à la solidarité entre ces deux groupes sociaux que tout oppose en termes de niveau de vie ». De la nécessité de cette solidarité, les plus riches en général ont en effet une conscience très limitée.

Daniel Fayard

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