“Familles Roms, le choix de l’accueil”

Marie-Véronique Raynaud and Didier Bonnel

p. 38-42

References

Bibliographical reference

Marie-Véronique Raynaud and Didier Bonnel, « “Familles Roms, le choix de l’accueil” », Revue Quart Monde, 246 | 2018/2, 38-42.

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Marie-Véronique Raynaud and Didier Bonnel, « “Familles Roms, le choix de l’accueil” », Revue Quart Monde [Online], 246 | 2018/2, Online since 01 December 2018, connection on 29 March 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/7222

Gardanne, cité minière et ouvrière, située entre Marseille et Aix-en-Provence, a connu en 2003 la fermeture définitive de ses puits de mine parmi les tout derniers en France. Il en subsiste des friches industrielles dont certaines sont en cours de reconversion.

Au cours de l’été 2012 sévit dans les Bouches-du-Rhône une véritable chasse aux Roms. Début septembre arrivent à Gardanne deux groupes de familles roms expulsées de Marseille. Ils sont autorisés à s’installer sur le carreau de l’ancien puits de mine dit Puits Z. Le Maire, Roger Meï, élu communiste depuis 1977, est le seul de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur à avoir accepté d’accueillir des familles roms migrantes sur le territoire de sa commune. La Ville et un Collectif de citoyens travaillent dès lors ensemble.

La mairie engage fortement les services municipaux auprès des familles roms et du Collectif, dans une confiance et une complémentarité qui en font la force. Des moyens humains importants sont engagés, impliquant le directeur du CCAS, une assistante sociale dédiée, le chef de la police municipale, un médiateur, les services scolaires pour insérer les enfants dans les écoles primaires, où les enseignants s’engagent aussi. Tous œuvrent au changement de représentations de part et d’autre2.

RQM : Les détails de votre action, qui va durer jusqu’en 2017, sont remarquablement décrits dans votre livre. Ce processus rigoureusement évalué permet aujourd’hui de mettre en évidence des perspectives d’avenir liées à ce que le Préfet – entre autres – appelle la « stabilisation » des populations migrantes. De quoi s’agit-il ?

D. B. : C’est ambigu. Les expulsions en effet ne font que repousser les problèmes en les aggravant. Les tractopelles cassent non seulement les habitations précaires, mais surtout les efforts de scolarisation des enfants et tout le travail social accompli auprès des familles. À chaque fois, adultes et enfants sont terriblement fragilisés. L’école pose déjà d’emblée un problème aux parents et aux enfants qui craignent toujours de ne pas se retrouver le soir… La « stabilisation » est une notion mise en avant depuis environ deux ans, aussi bien au sein de la DIHAL3 que des instances qui dépendent de la Préfète à l’égalité des chances, que des associations. L’idée de la stabilisation est : « On n’expulse pas pendant un certain temps ». On ne sait pas toujours ce que recouvre « un certain temps », et on ne connaît pas non plus clairement l’objectif poursuivi. Si c’est remettre à plus tard l’expulsion sans que rien ne se passe entretemps, cela ne sert à rien, sinon peut-être à ce que parents et enfants puissent « récupérer » un peu… Ça ne permet pas d’avancer vraiment. Actuellement, dans les Bouches-du-Rhône, la Préfète à l’égalité des chances qui est en fonction depuis quelques mois a accepté le principe de « stabiliser » deux terrains à Marseille. Mais d’une part ce ne sont que deux terrains4 sur vingt-cinq et, d’autre part, pour l’instant, on ne sait pas grand-chose du contenu de cette « stabilisation ». Les associatifs qui sont très présents5 demandent à l’État de s’engager sur un minimum de commodités : eau potable, électricité, assainissement minimal dont le ramassage des ordures, ... Et de mettre des moyens pour qu’à ces terrains en voie de stabilisation soit affecté au moins l’équivalent d’un travailleur social à mi-temps. Car sans l’accès aux droits (travail, logement, santé, instruction,…), la stabilisation des terrains ne suffit pas à aller vers la sortie des bidonvilles. Et on n’a pas de garantie là-dessus.

Un de nos leitmotivs consiste à mettre en avant la nécessité d’une coopération intelligente entre pouvoir politique et institutions d’une part, et société civile, principalement les associations, d’autre part. Gardanne en est un exemple. Cette coopération a bien fonctionné, même si tout n’a pas été parfait.

M-V. R. : C’était vraiment notre souhait : arriver à travailler ensemble. Les choses avancent de manière empirique, on marche parfois sur les plates-bandes les uns des autres, mais si on peut se parler et travailler ensemble, peu à peu on arrive à mettre en place quelque chose qui permet aux familles d’avancer. La mairie de Gardanne a pris le temps, à certains moments de recevoir ces familles, de discuter avec elles. S’il n’y avait pas eu cela, on n’aurait pas avancé de cette manière-là.

La mairie a dit à plusieurs reprises que si le Collectif n’avait pas été aussi engagé, rien n’aurait pu se faire. On ne peut pas demander à des services sociaux de faire des milliers d’heures de bénévolat. L’assistante sociale qui a été « dédiée » aux familles roms par la mairie n’avait en principe pas le droit, par exemple, de transporter dans sa voiture de service des enfants au Centre aéré… Elle l’a fait un peu quand même… Les bénévoles n’ont pas ces problèmes. Tout cela s’est vraiment « tuilé » dans un échange permanent, sans éviter quelques petites frictions, évidemment. Par exemple, après l’arrivée de familles venues grossir le nombre de celles recensées au départ, le maire a saisi le TGI6 et décidé d’un arrêté d’expulsion. Par principe, on a agi en justice contre cette requête du maire parce que c’était la période la plus froide de l’année – en janvier – et qu’on avait encore l’espoir qu’un appel aux autres maires de la région aboutirait à des solutions. Mais il n’y a eu aucune réponse positive… C’était un accrochage sans gravité avec le maire, les relations se sont vite rétablies.

Sans l’intelligence collective qui s’est manifestée, nous n’aurions jamais pu mener à bien ce travail commun7.

RQM : Comment, en parallèle, avez-vous eu à faire évoluer l’opinion publique à Gardanne, qui n’était pas d’emblée favorable à l’installation des familles roms sur le territoire de la commune ?

D. B. : Notre livre y contribue. L’information et la formation du public sont inscrites en clair dans nos statuts. Mais essayer de faire avancer les mentalités prend du temps…

M-V. R. : Pour que Roms et non-Roms puissent se rencontrer, il y a eu des fêtes sur le terrain même du Puits Z. Des gens ont découvert une réalité qu’ils ne soupçonnaient pas… Il y a aussi à Gardanne, chaque année, une manifestation très populaire, Arts et Festins du monde, qui rassemble des cuisines du monde entier, de l’artisanat, etc. Les familles roms, avec notre aide au début, ont été invitées à participer. Peu à peu les femmes roms se sont organisées seules, proposant spécialités culinaires et objets manufacturés. C’était aussi l’occasion de diffuser de l’information, notamment au moyen d’expos. Il y a eu une ou deux fois des réactions violentes, bien sûr, mais en même temps, cela changeait le regard…

En juin 2016, nous avons organisé une grande fête départementale. Beaucoup de familles roms y ont directement participé. Près de 800 personnes sont venues au fil de la journée. Quand on arrive à ce nombre, il n’y a pas que les gens convaincus d’avance. Nous avons aussi organisé des projections publiques de films, avec des interventions de personnes roms dans le débat qui a suivi… Peu à peu, les gens se sont « apprivoisés ». Ça ne veut pas dire que les gens n’accusent plus les Roms des cambriolages qui se passent aujourd’hui, même si le Puits Z a été fermé…

Gardanne est une petite ville, et les gens se sont habitués progres- sivement à leur présence. Une anecdote : j’emmène souvent des enfants roms au cinéma à Gardanne. Récemment, nous sommes allés au cinéma à Aix-en-Provence, et nous avons senti la différence de regard. Les jeunes femmes ont leurs longues robes traditionnelles… L’une d’elles m’a dit : « Tu ne nous emmènes plus jamais à Aix… ! » C’est dur, quand même !

D. B. : Quand on organise des manifestations, on court toujours le risque de se retrouver essentiellement entre gens convaincus. Mais on a tenté, et relativement réussi à sortir de ce cadre-là par ces actions. Nous avons fait aussi plusieurs réunions-débats publiques, surtout dans les premiers temps.

Au chapitre « criminalité », on a eu plusieurs fois des témoignages tout à fait officiels, de la police municipale et de la gendarmerie, affirmant publiquement qu’il n’y avait aucun regain de criminalité lié à la présence des Roms. Il y a eu un regain de la petite criminalité lié en réalité aux agissements de Gardannais qui comptaient bien que ce serait mis sur le dos des Roms. Cela a été clairement dit par des autorités qu’on ne peut soupçonner de trafiquer la réalité !

On sait que la population gardannaise qui s’est montrée hostile est pourtant largement composée elle-même de familles issues de l’immigration, ancienne ou récente...

On a cependant l’impression que l’hostilité vis-à-vis des Roms s’est adoucie avec le temps.

RQM : Le projet a été officiellement arrêté en janvier 2017 et le terrain du Puits Z fermé. Comment s’est passé le relogement des familles ?

M-V. R. : Six foyers ont été logés en centre-ville. Cependant, le maire ne souhaitait pas que toutes les familles soient logées à Gardanne, où il y a une pression très forte sur les logements sociaux. Certaines familles sont sur listes d’attente depuis plusieurs années. Il ne fallait pas risquer un rejet supplémentaire en faisant passer les familles roms en priorité.

L’entrée dans des logements conventionnels n’est pas simple pour les familles roms car elles ont quand même beaucoup vécu ensemble – même s’il n’y a pas forcément une grande solidarité. Elles avaient l’habitude de se rassembler assez fréquemment, les enfants pouvaient jouer et s’ébattre sur un vaste terrain. Elles sont aujourd’hui disséminées sur Gardanne, Marseille, Les Pennes-Mirabeau, Aix-en-Provence, etc. Une famille est partie dans un village de Lozère, deux autres en Irlande. Deux foyers de la même famille sont repartis en bidonville à Marseille, pour des raisons diverses et complexes.

L’adaptation à un nouveau mode de vie demande aux familles roms des efforts et du temps.

Habiter au vingtième étage d’une tour à Marseille avec trois jeunes enfants, ou garder de très nombreux enfants dans un appartement pendant les vacances ne va pas de soi. Petit à petit les familles ont plus ou moins sympathisé avec des voisins de palier qui sont de plusieurs nationalités. Au début, ils avaient peur de sortir, maintenant ça va mieux…

Il faudrait aussi investir dans une réflexion sur les solutions à moyen terme.

RQM : Comme les terrains d’accueil adaptés ?

D. B. : Beaucoup de communes des environs traînent des pieds en la matière. Mais c’est une autre question : les Roms ne sont pas du tout des nomades, des « Gens du Voyage ». Ce sont des sédentaires dans leurs aspirations, ils désirent se fixer quelque part. Quelques-uns pensent vraiment au retour en Roumanie, mais ils sont très minoritaires. Leur situation s’est encore aggravée après la chute de Ceaușescu. Ils sont devenus des citoyens de troisième zone en Roumanie. Même dans des conditions de précarité parfois épouvantables, ils préfèrent vivre en France.

2 D’après Marie-Laure Cadart, dans la préface du livre.

3 Délégation Interministérielle à l’Hébergement et à l’Accès au Logement.

4 Ou « campements illi- cites », selon la terminologie officielle.

5 Collectifs Roms, Rencontres Tsiganes, CCFD, Médecins du Monde, ATD Quart Monde, L’école au Présent, la Fondation Abbé Pierre, …

6 Tribunal de Grande Instance.

7 Travail en réseau préconisé d’ailleurs par une Instruction du Gouvernement visant à donner une nouvelle impulsion à la résorption des campements

2 D’après Marie-Laure Cadart, dans la préface du livre.

3 Délégation Interministérielle à l’Hébergement et à l’Accès au Logement.

4 Ou « campements illi- cites », selon la terminologie officielle.

5 Collectifs Roms, Rencontres Tsiganes, CCFD, Médecins du Monde, ATD Quart Monde, L’école au Présent, la Fondation Abbé Pierre, …

6 Tribunal de Grande Instance.

7 Travail en réseau préconisé d’ailleurs par une Instruction du Gouvernement visant à donner une nouvelle impulsion à la résorption des campements illicites et des bidonvilles, du 25/01/2018, et signée par huit ministres. Un objectif de résorption des bidonvilles y est fixé à 5 ans, et un appel est fait aux Préfets pour la mise en place de stratégies globales à l’échelle intercommunale, stratégie devant être déclinée en mesures concrètes qui engagent les différents acteurs, y compris et avant tout les personnes concernées. Voir le communiqué du Collectif Romeurope à ce sujet : http://www.romeurope.org/communique-de-romeurope -sur-linstruction-du-25-janvier-2018/

Marie-Véronique Raynaud

Co-président du Collectif Roms de Gardanne, Marie-Véronique Raynaud et Didier Bonnel ont coordonné l’Ouvrage collectif qui vient de paraître : Familles Roms, le choix de l’accueil, Éd. Chronique Sociale, mars 2018, 224 p.

Didier Bonnel

Co-président du Collectif Roms de Gardanne, Marie-Véronique Raynaud et Didier Bonnel ont coordonné l’Ouvrage collectif qui vient de paraître : Familles Roms, le choix de l’accueil, Éd. Chronique Sociale, mars 2018, 224 p.

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