Günther Wallraff, Tête de Turc

Ed. La découverte, Paris, 1986, 309 pages. Titre original « Ganz Unten »

Marinette Duchêne

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Günther Wallraff, Tête de Turc

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Marinette Duchêne, « Günther Wallraff, Tête de Turc », Revue Quart Monde [En ligne], 122 | 1987/1, mis en ligne le 01 avril 1998, consulté le 19 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/7722

Ce témoignage bouleversant d'un journaliste est bien particulier. On ne peut que s'incliner devant le courage et l'engagement de Günter Wallraff. Il s'est préalablement changé en Turc - visage, perruque, langage - pour partager le sort de ceux dont il voulait parler. Il explique sa démarche en citant Odile Simon, dans son « Journal d'une ouvrière d'usine » : « Je ne crois pas que l'on puisse imposer de profonds changements sans aller au charbon avec les autres. Je me méfie terriblement de toute action de l'extérieur qui risque fort de n'être que pur bavardage. »

Ce livre traite avant tout de la situation des Turcs en Allemagne, étrangers vulnérables, parlant peu l'allemand, toujours sous la menace d'une expulsion.

L'auteur met à jour un véritable trafic d'hommes, traités comme des esclaves, dont le salaire dérisoire n'est même pas toujours intégralement versé. Employés en dehors des lois, sans garantie sociale, ils exécutent des travaux dangereux, dans des conditions de non protection qui ruinent définitivement leur santé. On constate que des Allemands, recrutés par des sociétés de sous-traitance en raison même de leur incapacité à défendre leurs droits, partagent le sort terrible de ces travailleurs.

L'auteur note que tel Allemand de 30 ans en paraissait 50, qu'un autre de 35, longtemps chômeur, heureux de pouvoir trimer jusqu'à épuisement complet, « bouffeur d'heures acharné, au visage blafard tirant sur le gris, maigre comme un clou, vivait dans un état second, ne pouvant même plus manger. »

A la lecture de ce livre, on est frappé de découvrir, dans un pays européen développé, fier de ses techniques de pointe, qu'il existe tout un peuple inconnu, humilié, qui survit en assumant les tâches sales, pénibles, à haut risque. Sous-payés, ces hommes peinent dans des conditions inhumaines qui étouffent jusqu'à leur dignité.

Que Günther Wallraff ait osé vivre cela, s'engager, puis l'écrire, a eu des retombées importantes, comme d'alerter l'opinion publique en Allemagne et dans plusieurs pays d'Europe. Il a suscité des réactions et des initiatives pour connaitre, dénoncer et changer la situation de cette face cachée du monde du travail qui recouvre une réalité intolérable.

Marinette Duchêne

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