Fatou Diome, Celles qui attendent

Éd. Flammarion, 2011, 330 p.

Catherine Cugnet

p. 61

Bibliographical reference

Fatou Diome, Celles qui attendent, Éd. Flammarion, 2011, 330 p.

References

Bibliographical reference

Catherine Cugnet, « Fatou Diome, Celles qui attendent », Revue Quart Monde, 223 | 2012/3, 61.

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Catherine Cugnet, « Fatou Diome, Celles qui attendent », Revue Quart Monde [Online], 223 | 2012/3, Online since 01 February 2013, connection on 29 March 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/7893

Un roman attachant qui met en scène la vie familiale difficile de deux mères, voisines et amies. Elles encouragent leur fils à quitter leur île natale pour aller réussir leur vie en Europe et assurer à leur famille un avenir plus confortable. Les femmes, restées seules, doivent faire face à tous les aléas de la vie, souvent sans autres ressources que celles qu’elles s’assurent elles-mêmes, attendant le retour incertain de leur fils ou de leur époux.

Le lecteur est vite entraîné dans la vie difficile des deux familles. La maladie, la mort, le manque de travail, les mauvaises décisions dictées par la fierté et les revanches qu’on croit pouvoir prendre sont toujours à la source de la misère. Mais l’auteur pointe aussi des fléaux et des freins propres l’Afrique : l’analphabétisme, le poids de la tradition (polygamie, mariages arrangés) et ce piège de l’émigration qui se referme sur les émigrés eux-mêmes comme sur ceux qui restent à espérer leur retour.

Il faut supporter l’absence, la pauvreté (accrues par le fait que les bras manquent pour travailler sur place) et garder toute cette douleur secrète car nul ne doit savoir que la réussite espérée n’arrive pas. L’espoir est tellement fort chez tous, renforcé par le retour fanfaronnant de certains, qu’il est impossible d’avouer l’échec, la rudesse de la situation, le désespoir qui guette.

Le poids de la communauté n’est pas toujours négatif. C’est un soutien dans certaines circonstances et les traditions que chacun ne manque pas de respecter la renforcent. Mais on le sait, les femmes apprennent très tôt à s’effacer devant la tradition au nom de laquelle on leur fait violence, et se taisent.

L’auteur sort parfois de sa narration pour livrer ses réflexions, par exemple sur le rôle de l’Occident dans la situation de l’Afrique : « Le capitalisme humanitaire n’existe pas », « Si elle veut garder son poids face aux États-Unis et à la Chine, l’Europe a besoin d’une Afrique vassalisée ».

Le personnage d’une femme blanche, qui ne fait que passer dans le village et dans le roman, permet une véritable attaque en règle contre la perception de l’Afrique et des Africains par les Blancs : la vision exotique des paysages et des gens, la polygamie « pas si terrible que ça », l’éducation qui manquerait même dans le rapport à la nature...

Ce personnage caricatural donne du relief à l’humanité des autres, comme Arame, remarquable de sensibilité, de compréhension d’autrui, quoique, dans son couple, les relations soient dramatiques.

Car ce livre est un hymne à l’amour et à la grandeur de l’humain. Les personnages n’échappent pas à la médisance, à l’envie, au désarroi, à la cupidité parfois. Mais à la fin du roman la petite communauté, pacifiée autour des jeunes enfin réunis, montre qu’espérer n’est pas une naïveté.

Catherine Cugnet

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