Pauvreté et transition écologique

Participants aux Universités Populaires Quart Monde

p. 10-14

Citer cet article

Référence papier

Participants aux Universités Populaires Quart Monde, « Pauvreté et transition écologique », Revue Quart Monde, 250 | 2019/2, 10-14.

Référence électronique

Participants aux Universités Populaires Quart Monde, « Pauvreté et transition écologique », Revue Quart Monde [En ligne], 250 | 2019/2, mis en ligne le 01 décembre 2019, consulté le 19 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/7990

Index de mots-clés

Ecologie

En 2015, l’Université populaire Quart Monde d’Île de France ayant pour thème Changements climatiques, tous concernés ? a eu la chance d’accueillir comme invité Jean Jouzel. Ce grand climatologue, membre du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat à l’ONU (GIEC) a pu expliquer les phénomènes climatiques et le rôle joué par l’humain dans les transformations environnementales, ainsi que les risques encourus pour notre planète.

Les participants avaient préparé en se posant une question sous forme de provocation :

Est-ce que ce sont les pauvres qui polluent le plus ?

Les réponses données :

« Nous on n’a pas de voitures, on marche à pied.
On habite dans des lieux éloignés sans transport en commun.
On est obligé d’avoir une voiture car on habite loin de notre travail.
On a de vieilles voitures mais on roule moins.
On ne prend pas l’avion pour partir en vacances.
Pour nous la vie est plus dure, on gaspille moins.
On est obligé de se limiter sur l’alimentation.
On a moins de ressources pour consommer.
Je ne mange que peu de viande, c’est trop cher.
On fait plutôt attention sur le chauffage.
On préfère mettre des pulls et limiter le chauffage.
Nos logements sont moins bien isolés.
Nous n’avons pas les moyens d’acheter bio.
J’aimerais bien faire attention aux emballages mais je vais dans des magasins discount.
Je ne sais pas faire le tri sélectif.
Dans les lieux de distribution, parfois on nous donne trop, on
gaspille. »

Jean Jouzel a précisé qu’au niveau planétaire, les pays pauvres contribuent beaucoup moins aux émissions de gaz à effets de serre : l’Afrique pour moins de 5 % ; en Haïti, il n’y en a pratiquement pas. Actuellement, les pays les plus émetteurs sont la Chine et l’Inde, avec les États-Unis et l’Europe. Les rapports du GIEC font évidemment ce constat que, dans les pays riches, les couches de population les plus pauvres sont les plus vulnérables au changement climatique.

Depuis 2015, les participants à plusieurs Universités populaires Quart Monde (au Luxembourg, au Canada, en France : Grand Ouest, Occitanie) se sont interrogés : Que faisons-nous pour l’avenir de la planète ?, La transition écologique, c’est notre affaire ?

Patrice M. : Au début quand on me posait la question : « Qu’est-ce que je fais comme petit geste écologiste ? », je répondais : « Rien ! ». Et au fur et à mesure de la discussion, je me suis aperçu que j’en faisais beaucoup. En faisant attention à ne pas dépenser son argent, finalement, on fait son petit geste de tous les jours.

Martine C. : Les gens qui ont la vie difficile ont toujours fait attention à tout économiser. Ils ont un vrai savoir là­-dessus.

Face au gaspillage alimentaire, comment agir ?

Marie-Josiane (Gd Ouest) : À l’épicerie sociale je choisis, mais pas au resto du cœur, on me donne même si je n’en veux pas !

Anita (Canada) : Tu n’as pas le choix des aliments. Tu ne peux pas acheter ce que tu veux. (…) C’est un manque de dignité.

Pascal M. : Moi, j’essaie d’apprendre à mes enfants à ne pas gaspiller.

Claude T. : Une fois j’attendais le train et vers 23h, j’ai vu des commerçants de la gare mettre des sandwichs, des gâteaux dans des poubelles. Je trouve que ce serait mieux de les donner aux personnes qui vivent dans les gares et qui n’ont rien du tout.

Laurence (Canada) : Le ramassage dans les poubelles : il y a beaucoup d’épiceries qui vont jeter des choses toutes emballées et qui sont encore bonnes. Des gens vont aller, par exemple, tout chercher et puis par Facebook, ils vont prendre ça en photo et dire : « Je suis à telle adresse, vous viendrez en chercher à tel endroit. ».

Yvette (Canada) : Chaque fois que tu reçois quelque chose, que quelqu’un te donne, c’est une perte de ta dignité, de ta fierté et ça ne devrait pas exister. (…) Il faut bâtir autre chose.

Daniel (Canada) : J’ai entendu dire qu’au Brésil, ils ont le guide alimentaire Assoyez-vous pour manger, mangez avec d’autres personnes. En fait, ils mettent la valeur sur le contexte de manger et je me dis qu’une des solutions pour manger avec plus de dignité, c’est de changer notre environnement, notre manière de consommer la nourriture.

Des initiatives germent

L’Université populaire d’Île de France a rencontré les Glaneurs, un groupe de personnes qui font de la « récup’« alimentaire dans les supermarchés.

Amélie L. : Nous, on lutte à notre façon. Notre lutte contre le gaspillage, ça crée de la richesse dans nos frigos mais aussi entre nous. Ils nous disent leur honte des débuts et la solidarité d’aujourd’hui. D’ailleurs quand ils vont là-bas, ils ne disent pas : « Je vais faire les poubelles », mais : « Je vais au club » ou : « Je vais voir les amis ».

mi R. : Pourquoi vous n’allez pas dans les associations qui distribuent ?

Christian R. : Moi j’avais honte de passer deux heures sous la flotte à attendre que le mec te mette une louche. Je l’ai fait deux fois, ça m’a suffi. Si je vais dans une association, j’ai l’impression de prendre la place à quelqu’un qui en a plus besoin et qui ne peut pas faire de la récupération comme moi.

Michèle S. : Un jour, je traversais un marché bio et des gens de la voirie se battaient avec des gens qui récupéraient et qu’ils traitaient de voleurs. J’ai rappelé la loi : « Ce qui est déposé sur la voie publique par un commerçant, devient la propriété de celui qui le ramasse. » Ils se plaignaient aussi que les glaneurs ne les respectaient pas car ils en mettaient partout. Je suis venue régulièrement pour que ça se passe bien, j’ai fait le pont entre eux. Maintenant les marchands mettent impeccablement dans les cagettes et les glaneurs se servent et remettent les cagettes correctement.

D’autres initiatives : l’Université populaire d’Île de France reçoit Marianne Mamou, des Colibris1. Ils parlent des jardins partagés et des « oasis » (initiatives locales collectives).

Les participants réagissent :

Marie­-Françoise F. (Groupe Paris élargi) : Les jardins partagés permettent des échanges d’idées, une communication.

Christian R. (Gd Ouest) : Il y a beaucoup de terrains qui sont à l’abandon. On peut aller dire au propriétaire : « Pourriez-­vous le prêter ou le louer pour un euro symbolique pour qu’on plante quelques légumes de saison ? » Ça permet d’aller vers les autres. Les gens verront comment on procède et diront : « Ils sont intel-ligents ! ».

Jean-Yves (Montpellier) : J’aimerais avoir un jardin. Vivre plus près de la nature. Il faudrait qu’il y ait plus de jardins « ouvriers » pour se nourrir, trouver de la convivialité et partager avec la communauté.

Paulette (Toulouse) : Habitat Toulouse a créé des jardins partagés en bas des HLM et les produits sont vendus sur les marchés. Les habitants sont payés sur un contrat aidé spécial entre Pôle Emploi et les HLM d’Habitat Toulouse. Il y a des cabanes avec tous les outils nécessaires.

Abdel B. (Gd Ouest) : Ce n’est pas obligé d’avoir du terrain pour faire un jardin. À Bezons, on a fabriqué des bacs nous­-mêmes. Le Germoir est un jardin qu’on peut déplacer, sur palettes. C’est un lieu de convivialité et de rencontre.

Marianne Mamou : L’idée des Oasis, c’est de faire ensemble, de travailler ensemble à un projet commun. Tout ça ce sont des petits bouts d’oasis, des petites graines d’oasis.

Didier E. : Ça donne envie de donner un coup de main à des gens, de partager le jardinage, la maçonnerie. Ça donne du courage. Dans mon immeuble, j’ai demandé à mon gardien pour faire des composteurs. Il n’est pas d’accord, il dit que ça ne sert à rien. Quand on est plusieurs, on a plus de pouvoir.

Au Canada :
[Notre ferme] C’est un système qui s’appelle l’agriculture soutenue par la communauté. Une centaine de familles prennent des légumes chez nous chaque semaine et deviennent partenaires de la ferme… Chaque mois, on fait des activités. Le monde peut venir aider au jardin, on fait des pot luck, des soupers collectifs, on fait des fêtes de récolteNos prix sont en fonction du revenu de la famille.

Gaspillage, recyclage, tri des déchets 

Le gaspillage c’est aussi l’incitation à la consommation.

Abdel B. (Gd Ouest) : Vous entrez dans un magasin, vous pouvez acheter 10 000 choses, vous sortez, vous ne payez pas un centime. On vous demande de payer dans trois mois. Mais on sait qu’il peut arriver n’importe quoi dans trois mois et là vous êtes dans l’incapacité de payer. C’est les ennuis qui commencent parce que vous ne pouvez pas payer.

Jean­-Claude D. (Val d’Oise) : La biffe, c’est récupérer le métal, le cuivre, l’alu, la ferraille. On le stocke et on le vend quand on voit que le prix augmente. C’est difficile, on travaille dur pour gagner un peu d’argent. Il faut mettre le gasoil dans le camion, et derrière on ne gagne pas grand­ chose.

Vanessa (Occitanie) : il faudrait plus d’explications pour faire le tri, faire des rassemblements pour expliquer aux gens. On ne fait pas le tri sélectif, on mélange tout. On n’y pense pas, et puis les containers dans l’immeuble ce n’est pas pratique.

« On essaie d’économiser l’eau, l’électricité, le chauffage… »

Deux jeunes femmes du voyage (en situation assez précaire, à Saint-Brieuc) : L’hiver on n’est pas bien parce que nous, on ne peut pas faire attention. On a de petits chauffages au bois et on pollue énormément. Et quand on est en pleine campagne, comme la plupart du temps, à part Chaptal, on est très loin des bus et il faut avoir beaucoup de temps pour aller à pied chercher le bus à plusieurs kilomètres, donc on prend souvent la voiture. Nous on a tout faux pour le moment. On aimerait bien pourtant pouvoir faire autrement.

Fabienne (Gd Ouest) : Là où je vis, dans l’immeuble, dans les parties collectives, les gens laissent les lumières allumées, le chauffage est à fond, on laisse l’eau couler. J’essaie d’agir, j’éteins quand je passe, mais ça ne change pas.

Maurice (Gd Ouest) : Pour l’eau, comme on a des chauffe-eau où il faut vider toute la Vilaine (il faut attendre longtemps pour avoir de l’eau chaude), moi quand j’ouvre le robinet d’eau chaude je mets une gamelle dessous pour récupérer l’eau pour laver les légumes ou pour arroser les plantes ou donner à boire au chien. J’économise beaucoup en faisant ça.

Marcel (Gd Ouest) : Je coupe le chauffage la nuit pour ne pas avoir de grosses factures. Mais si on ne chauffe pas du tout, il y a de l’humidité et on tombe malade.

David et Vanessa (Occitanie) : Il y a des moisissures dans notre appartement (ils montrent des photos). Le chauffage électrique c’est cher ; on a 140 € tous les deux mois, mais on chauffe pour chauffer les murs. La moisissure, ça nous fait mal à la tête

Le groupe de Vannes : Les logements HLM ne sont pas toujours bien isolés, ce qui engendre des coûts élevés pour les locataires

Marie-Annick (Gd Ouest) : Notre VMC ne fonctionne pas, l’eau coule sur les carreaux par la condensation, les murs sont noirs de moisissure… Je suis asthmatique, j’ai de l’arthrose.

Aliette : C’est vrai qu’on est chauffé par l’usine d’incinération des ordures à Villejean, mais les logements ne sont pas isolés, et il y a d’énormes problèmes de moisissures dans énormément de logements sociaux.

Économiser l’énergie dans les transports

Maurice : À Rennes, on densifie la ville. Dès qu’on démolit une maison, on construit un immeuble à la place, donc il y a plus de monde dans le centre de Rennes, mais en même temps, les grands magasins où on peut acheter pour pas cher, ils sont à la périphérie. Et donc les gens, pour aller aux magasins, peuvent y aller en transports en commun, mais ce n’est pas toujours simple.

UP Occitanie : Les transports en commun, ils polluent aussi. Des fois les vieux bus que je prends quand je m’assois devant, ça sens le gasoil et j’ai du mal à respirer.

Ces paroles ne sont que quelques extraits des réflexions. En conclusion, laissons parler deux participants :

Vone (Gd Ouest) : Je pense qu’on pourrait se mettre tous ensemble. On peut très bien se dire : « Formons un groupe de citoyens pour agir en faveur de la terre ». On peut très bien s’appeler Les jardiniers du cœur et dire qu’on en a marre que la terre souffre, et faire des bonnes actions pour que ça ne s’aggrave pas plus. Je sais que c’est un idéal, mais il s’agit de former un mouvement de citoyens, de se dire qu’on n’est pas des révoltés, simplement des jardiniers. 

Bernard (Occitanie) : Pour mettre en place une nouvelle société, comment mettre l’humain au cœur ? Par exemple, pour le logement, on pourrait dire aux locataires et aux propriétaires de se rencontrer… L’important c’est que l’on réfléchisse vraiment ensemble.

1 Créé en 2007 sous l’impulsion de Pierre Rabhi, Colibris se mobilise pour la construction d’une société écologique et humaine. L’association place le

1 Créé en 2007 sous l’impulsion de Pierre Rabhi, Colibris se mobilise pour la construction d’une société écologique et humaine. L’association place le changement personnel au cœur de sa raison d’être, convaincue que la transformation de la société est totalement subordonnée au changement humain. Colibris s’est donné pour mission d’inspirer, relier et soutenir les citoyens engagés dans une démarche de transition individuelle et collective.

Participants aux Universités Populaires Quart Monde

Depuis plusieurs années des personnes en situation de grande pauvreté ont eu l’occasion de réfléchir aux bouleversements climatiques. Extraits de plusieurs Universités populaires Quart Monde dans différents pays.

Articles du même auteur

CC BY-NC-ND