La volonté de faire changer la société

Perrine Goulet

p. 9-13

References

Bibliographical reference

Perrine Goulet, « La volonté de faire changer la société », Revue Quart Monde, 252 | 2019/4, 9-13.

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Perrine Goulet, « La volonté de faire changer la société », Revue Quart Monde [Online], 252 | 2019/4, Online since 01 June 2020, connection on 29 March 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/8334

L’auteure, qui a connu le placement dans son enfance, puise dans son expérience de vie la rage de faire changer la société dans laquelle ses enfants vont grandir. Histoire d’un combat de longue haleine.

Index de mots-clés

Militantisme

À la mort de ma mère, notre famille n’a pas souhaité s’occuper de nous. J’ai donc été placée avec mon frère dans un foyer de l’enfance. À notre arrivée, j’ai été séparée de lui à cause de notre différence d’âge. Nous étions entre quatre et six par chambre, sans aucune intimité, les douches étaient collectives. Il y avait des vols d’objets ou d’argent ; les agressions sexuelles étaient courantes. Pour survivre, on apprend vite à être du côté des meneurs plutôt que des menés.

J’y ai passé neuf ans. J’ai vu les plus faibles maltraités par les autres. Je me souviens de Nénette, la souffre-douleur des plus grands parce qu’elle possédait six orteils à chaque pied, qu’elle était attardée et un peu trop gentille.

La violence psychologique et physique était aussi du côté des éducateurs. Je me souviens que je scrutais le planning pour attendre ceux qui nous apportaient un peu d’affection (Dominique, Martine, autant de noms encore présents…).

La seule chose qui me permettait de m’évader c’était le hand­ball ; je l’ai pratiqué à partir du collège, il me permettait de sortir les mercredis puis les week-ends quand j’ai pu intégrer un club. Et puis l’école, car j’aimais l’école, j’ai toujours eu de bonnes notes. Elle m’a appris que, dans la vie, il y a toujours pire que soi. J’y avais un ami en sixième et en cinquième, il s’appelait Jérôme, il était atteint de myopathie. Je l’aidais à porter ses affaires, je poussais son fauteuil. Et puis, il est parti…

Je garde un souvenir ému des professeurs qui m’ont aidée – et supportée – malgré mon mal-être, mon caractère et ma violence durant toutes ces années, surtout Madame Chuet, ma professeur de sport qui animait l’UNSS‑Handball.

Mon cerveau a fait le ménage

À ma majorité, j’ai tiré un trait sur tout ça : mon cerveau a fait le ménage, effacé le plus dur de ma mémoire. J’ai eu la chance d’être accueillie par la famille de mon premier mari. Ils m’ont fait découvrir les petits déjeuners préparés, le calme, l’intimité… Ils m’ont accompagnée pour m’insérer dans la vie active car je n’avais pas poursuivi d’études après le bac. Puis nous avons vécu en HLM, avec 600 euros par mois. À ce moment-là, seule comptait ma vie privée.

J’ai été embauchée à EDF-GDF en 1999 comme conseillère clientèle. Pour la première fois, j’ai pu toucher les difficultés sociales des autres. J’avais dans mes fonctions le portefeuille de la solidarité, nous traitions les demandes de délais de paiement pour les personnes en surendettement ou pour celles qui faisaient appel au Fonds de solidarité logement. Lors de ces réunions, où se trouvaient les assistantes sociales du département, la situation personnelle, professionnelle et financière des personnes étaient passée au peigne fin pour savoir si nous pouvions leur accorder une aide. J’ai commencé à relativiser mes propres difficultés.

Au bout de quatre ans, j’avais fait le tour du métier et puis je voulais offrir plus de confort à mes enfants (j’étais payée au Smic). J’ai repris mes études, décroché un BTS Informatique de gestion par correspondance, puis un Master de concepteur de système d’information en Congé individuel de formation, ce qui m’a permis de prendre le poste de responsable de système d’information au Centre nucléaire de production d’électricité de Belleville. J’étais devenue cadre ! Chose impensable quelques années auparavant.

Apaisée mais hypersensible

Malgré les apparences, je ne suis pas sortie indemne de toutes ces années au foyer où le deuil de ma mère n’avait pas été fait et où la violence institutionnelle était terrible. Mais ça, on ne le voit pas tout de suite…

Mes enfants ont grandi et, à l’adolescence, leurs turpitudes ont fait ressurgir des souvenirs que j’avais enfouis. Je me suis rendue compte de l’impact de mon passé dans mon comportement. Il est difficile d’admettre qu’on a mal agi avec ses enfants et qu’on a fait du mal à son entourage. J’ai donc engagé une longue thérapie avec une psychologue formidable qui m’a permis de me réconcilier avec mon passé. J’en suis sortie apaisée, mais j’ai gardé cette hypersen­sibilité qui me vaut d’être touchée par les difficultés des autres et qui parfois me handicape.

Avec le recul, je pense que c’est à partir de ce moment-là que j’ai commencé à penser en tant que femme et à m’intéresser au monde qui m’entoure : la violence faite aux femmes, l’égalité entre les femmes et les hommes, la scolarisation des filles sacrifiées dans les pays pauvres.

Une amie (elle avait été ma babysitter), qui a créé son asso­ciation pour aider son village d’origine à scolariser les enfants, m’invite à parrainer une petite fille à Madagascar. Fanantenana a l’âge de mon dernier enfant et ce que je donne chaque mois lui permet d’aller à l’école, de manger à la cantine et de consulter un médecin si elle est malade.

Un beau challenge à relever

Jusqu’en 2014, je ne m’étais jamais vraiment intéressée à la politique. Mais j’ai toujours mis un point d’honneur à voter car des femmes et des hommes se sont battus et sont morts pour que les femmes puissent exercer ce droit.

Et puis, la quarantaine arrivant, j’ai commencé à être plus attentive à notre démocratie. Le 6 janvier 2017, un candidat à la présidentielle passe à Nevers. Ça n’arrive pas tous les jours ! Avec mon mari, nous décidons d’assister à son meeting. Emmanuel Macron m’a conquise ce soir-là. J’ai décidé d’adhérer à En Marche et j’ai rejoint la coordination départementale. J’ai fait la campagne du Président en tant que militante et, portée par plusieurs membres de la coordination départementale, j’ai répondu au 2e appel aux femmes d’Emmanuel Macron pour l’investiture législative.

Être élue députée n’a jamais été un but pour moi, mais c’est un beau challenge à relever. Et les challenges, ça j’aime ! À Paris, je suis novice en politique, le début de mon mandat est donc tourné vers la découverte de la fonction de législateur. Comme je n’ai pas réussi à intégrer la délégation aux Droits des femmes à l’Assemblée nationale, je choisis trois groupes d’étude : Droits de l’enfant et protection de la jeunesse, Famille et adoption, Violences intrafa-miliales. À Nevers, dans la première circonscription où je suis élue, je reçois dans ma permanence : les étrangers sans papiers, les sans domicile fixe, les demandes de logement, les risques d’expulsion locative…, tous orientés par des associations ou des travailleurs sociaux parce que leurs dossiers étaient dans l’impasse : j’ai découvert que, dans nos territoires, une députée joue également le rôle d’as-sistante sociale pour ses concitoyens.

Rattrapée par le passé

Mon implication dans le dossier de l’enfance maltraitée, je ne l’ai pas préméditée. Mais le passé vous rattrape toujours. Avec l’association EFA58, j’ai découvert les difficultés de l’adoption, puis l’Enfant bleu m’a interpellée sur les manquements de la protection de l’enfance dans certains dossiers d’infanticides. J’ai souhaité rencontrer les services de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) et visiter des foyers pour comprendre les raisons de ces difficultés. Les portes des services départementaux sont restées closes pendant de long mois ; celles des foyers associatifs au contraire étaient grandes ouvertes. J’ai acquis la certitude qu’il fallait que la repré­sentation nationale s’intéresse à cette politique décentralisée. J’ai demandé à la ministre des Solidarités et de la santé, Agnès Buzyn, une mission sur ce thème en février 2018. Sans succès.

Cela ne m’a pas arrêtée, bien au contraire. J’ai travaillé sur les violences faites aux enfants car c’est le début de la prise en charge par la protection de l’enfance. J’ai finalement pu entrer dans les foyers de l’enfance de la Nièvre. J’ai poursuivi rencontres et auditions des professionnels du secteur, des éducateurs en pleurs dans mon bureau, des jeunes. Toutes m’ont confortée dans la volonté d’agir. Mais je me suis heurtée à la frilosité de mon groupe parle­mentaire et du gouvernement.

Un passé qui peut devenir mobilisateur

C’est à ce moment-là que deux femmes, Michelle Creoff (vice-présidente du Conseil national de la protection de l’enfance - CNPE) et Françoise Laborde (journaliste) publient une tribune1 appelant le président de la République à « mobiliser toutes les institutions de l’État pour lutter contre la maltraitance des enfants ». Elles me convainquent qu’en révélant mon passé, on pourrait faire bouger les lignes. Je prends mon courage à deux mains et profite de la Journée internationale des droits de l’enfant, le 20 novembre 2018, pour poser une question au Gouvernement. Sans impact. Heureu­sement, les messages d’encouragement affluent ainsi que d’autres témoignages poignants d’anciens enfants dits « protégés » tels Lyes Louffok2 qui, à 24 ans, s’est imposé comme l’une des voix les plus écoutées des enfants issus de l’Aide sociale à l’enfance, ou encore Céline Grecco, devenue médecin, spécialiste de la douleur à l’hôpital Necker à Paris et membre du CNPE.

La diffusion sur France 3 du reportage Enfants placés : les sacrifiés de la République le 16 janvier 2019 dans l’émission Pièces à Convictions bouleverse la France entière. L’onde de choc pénètre jusque dans l’Hémicycle. Si bien que j’emporte la signature de 150 députés, toutes couleurs politiques confondues, pour exiger l’ouverture d’une commission d’enquête. C’est ainsi qu’une mission d’information de la présidence de l’Assemblée nationale est décidée. Enfin !

Il y a urgence !

Notre groupe de travail comportait 23 membres. Pendant trois mois, nous avons visité de nombreux acteurs des départements, des foyers et des services de milieu ouvert ; nous avons procédé à 33 auditions. À l’issue de cette mission éprouvante, nous avons rendu un rapport avec 18 propositions phares3. Maintenant nous allons nous rendre dans chaque ministère concerné pour revisiter la politique de protection de l’enfance. Il y a urgence ! Les parents, les enfants, les professionnels souffrent du système car les résultats ne sont pas à la hauteur.

Finalement, la violence faite aux femmes, la violence ordinaire sur les enfants, la protection de l’enfance, c’est le même combat : mieux protéger les plus faibles et leur donner les mêmes droits dans notre société. C’est dans mon passé et mes expériences que je puise la volonté de me battre pour faire changer la société dans laquelle mes enfants vont continuer à grandir.

En France, 300 000 enfants sont pris en charge et confiés à l’Aide sociale à l’enfance. Voici quatre mesures phares d’un projet de loi que défend Perrine Goulet, députée de la 1re circonscription de la Nièvre, à l’issue de la Mission d’information sur l’Aide sociale à l’Enfance4 :
 1.  Rendre obligatoire la présence d’un avocat lors de la procédure judiciaire de placement ;
 2.  Faire entrer les professeurs des écoles dans les foyers ;
 3.  Nommer auprès de chaque préfet un référent protection de l’enfance ;
 4.  Engager une réflexion sur le statut des tiers dignes de confiance.

1 JDD, 18 Octobre 2018. Elles ont aussi écrit en­semble : Le Massacre des Innocents : Les Oubliés de la République.

2 Lyes Louffok a publié Dans l’enfer des foyers. Moi, Lyes, enfant de personne, Éd. J’ai lu-Poche.

3 Voir encadré.

4 Rapport d’information de la Mission d’information sur l’Aide sociale à l’Enfance, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 3 juillet 

1 JDD, 18 Octobre 2018. Elles ont aussi écrit en­semble : Le Massacre des Innocents : Les Oubliés de la République.

2 Lyes Louffok a publié Dans l’enfer des foyers. Moi, Lyes, enfant de personne, Éd. J’ai lu-Poche.

3 Voir encadré.

4 Rapport d’information de la Mission d’information sur l’Aide sociale à l’Enfance, enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 3 juillet 2019, rapporteuse Perrine Goulet.

Perrine Goulet

Perrine Goulet a 41 ans, est mère de trois enfants et députée de la Nièvre depuis le 18 juin 2017.

CC BY-NC-ND