Militer dans le Mouvement international ATD Quart Monde

Martine Le Corre

p. 23-28

References

Bibliographical reference

Martine Le Corre, « Militer dans le Mouvement international ATD Quart Monde », Revue Quart Monde, 252 | 2019/4, 23-28.

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Martine Le Corre, « Militer dans le Mouvement international ATD Quart Monde », Revue Quart Monde [Online], 252 | 2019/4, Online since 01 June 2020, connection on 28 March 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/8340

Le texte qui suit est une partie de la communication de l’auteure à La Marche du Mouvement1, en septembre 2019. Martine Le Corre y fait un compte rendu au nom du groupe de réflexion qui s’est réuni à Pierrelaye (France)2 pendant l’été 2019. Ce groupe inaugurait une nouvelle sorte de rencontre : entre des militants Quart Monde, au niveau international. Il s’agissait de comprendre les déclics, les moments-clés, d’analyser au plus près les circonstances qui favorisent l’entrée en militance. Ensuite de partager ces découvertes avec d’autres membres du Mouvement.

Index de mots-clés

Militantisme

Nous avons consacré notre première journée de travail à faire connaissance ; nous avions les uns et les autres entre quinze à vingt minutes pour se dire : Qui je suis, d’où je viens, comment j’ai rencontré le MVT3, l’avant et l’après découverte du MVT.

Après chaque intervention on se laissait questionner par les autres, ce qui permettait d’approfondir ou de préciser des réflexions.

Avant

Ce qui ressortait de très fort concernant l’avant la rencontre avec le MVT c’était :

L’isolement, la solitude, la honte.

La peur d’entrer en lien avec les volontaires, tout ce qui était étranger au milieu.

La peur de s’exposer, d’exposer sa famille.

Le sentiment d’inutilité, de ne compter pour rien, de n’avoir aucune valeur.

La peur que les « blancs » enlèvent les enfants.

Que l’on cherche à nous convertir à une autre religion,

Ne pas comprendre pourquoi on est séparé des parents.

En vouloir à ses parents de la vie que l’on mène.

Après

Se sentir capable, avoir trouvé une place, une raison d’être.

Se sentir attendu, le bienvenu.

Apprendre à entrer dans un combat sans violence.

Apprendre à s’exprimer, se respecter, se reconnaître, à penser aux plus pauvres d’entre nous.

Trouver les forces avec le MVT par la rencontre et les liens tissés avec d’autres et se reconnaître en eux.

Reconnaître le courage de nos parents.

Affirmer ses droits et vouloir sortir de la dépendance.

Se solidariser, vouloir pour l’autre ce que l’on veut pour soi.

Accepter la priorité aux plus pauvres.

Trouver et donner du sens à sa vie.

Pour nous le défi a été relevé ! Notre groupe s’était formé et nous étions liés !

Les étapes

La deuxième journée, nous avons travaillé autour de cette question : Qu’est ce qui nous a permis ce chemin d’engagement de militants Quart Monde, peut-on identifier des moments-clés, formateurs, des déclics, des personnes-clés ?

On a repéré ce qui suit et qui nous a été essentiel dans notre chemin :

Se sentir aimé et apprécié.

Avoir en face de nous des personnes armées de patience, des personnes qui acceptaient de vivre avec nous une vraie proximité.

Que l’on nous propose des cadres et des sécurités, que l’on se parle en vérité.

Se mettre devant des objectifs et des défis.

Un déclic, c’est quand l’autre devient comme un miroir, que l’on peut se reconnaître dans l’autre.

Quand j’ai pu donner.

Les encouragements, l’amitié qui se tisse.

Le temps, la ténacité et l’écoute.

Recevoir une carte de bonne année de la DG4 au moment de la nouvelle année (Gouba a écrit après la rencontre pour rajouter cela !).

De commun accord il a été dit que l’on ne pouvait pas avancer sans tenir compte de son passé, ça, c’est un sacre déclic car quand on comprend cela après on peut vivre d’autres étapes pour avancer encore plus loin.

Les rencontres fondatrices

Il y a aussi des personnes-clés dans nos parcours :

La visite régulière de volontaires ou de militants.

Quand on nous offre de participer au MVT.

La présence dans les bons comme dans les mauvais moments.

Une invitation à rejoindre une UP5, une BDR6, une action du MVT.

Une rencontre de MVT au niveau national, au niveau international.

Une rencontre pour représenter le MVT dans une instance comme l’ONU.

Découvrir la dimension internationale de notre MVT.

La proposition de participer à un travail de réflexion.

Quand on se découvre l’audace de pouvoir dénoncer publiquement les situations d’injustice.

Au début on répond à des invitations et on y participe, puis on répond à des demandes de « travail pour réfléchir » qui nous servent personnellement mais qui servent aussi à d’autres.

Tous ont dit que leur expérience personnelle avait été pour eux un levier de leur engagement de militants Quart Monde.

Quelques exemples :

Avoir perdu des proches plutôt jeunes parce qu’ils ont fait des choix de vie extrêmes, par exemple de délinquance, m’a fait comprendre l’importance d’être avec les jeunes.

Voir que la situation se répète de génération en génération nous a poussés à nous indigner.

Le soutien d’un conjoint, d’un membre de la famille qui nous encourage à oser ce qu’eux n’ont pas osé.

Pouvoir reprendre des études pour mieux soutenir les siens. Très clairement, c’est le volontariat qui nous fait tenir, par son inscription dans la durée, sa ténacité, son insistance à vouloir nous rencontrer, sa fidélité et sa régularité dans les visites qu’il nous fait. La volonté des volontaires à nous offrir le MVT.

La persévérance des volontaires devant des défis avec nous, comme par exemple l’accompagnement auprès des travailleurs sociaux.

Travailler pour que les enfants aient un état civil.

L’action, par exemple, une BDR qui suit les familles quand celles-ci sont expulsées de leur lieu d’habitation.

Le fait de jamais se sentir abandonné par le MVT.

Cet échange de notre deuxième journée avait pour ambition de répondre à l’objectif suivant : Prendre conscience des besoins, des étapes nécessaires pour pouvoir ancrer notre engagement de militants avec notre milieu. Nommer les conditions nécessaires pour notre engagement.

Quels militants Quart Monde sommes-nous ? Et qui devons‑nous être pour les nôtres ?

Pendant notre troisième journée, nous nous sommes questionnés toute la matinée : Quels militants Quart Monde doit-on être pour notre milieu, pour les plus pauvres ? De quels militants ont besoin les plus pauvres ?

Nous avons d’abord pu nous dire que pour devenir militant Quart Monde, il faut du temps. Du temps pour nous construire, pour nous rendre capables de pouvoir dire aux nôtres notre cheminement et notre ambition pour et avec eux. Pour cela on a la conscience d’avoir fait un chemin, d’avoir choisi un chemin d’engagement et d’avoir franchi des étapes qui permettent que nos paroles s’accompagnent d’actes qui nous rendent crédibles : par exemple, pouvoir s’afficher et prendre position pour les plus pauvres là où l’on est, où l’on vit. Ne pas nier que ce soit un chemin exigeant, long, et qui demande de l’accompagnement, de la persévérance et du temps.

Pour cela nous devons avoir la possibilité de pouvoir avoir du recul sur notre propre vécu, avoir travaillé à sa propre reconstruction pour mieux soutenir l’autre.

Il nous faut une disponibilité de cœur, de la discrétion sur la vie des nôtres, savoir respecter la confidentialité et ne pas trahir la confiance qui nous est donnée.

Être simple et le rester pour ne pas écraser, avoir de l’ouverture, donner de l’écoute, ne pas juger.

Être humble, prendre le temps avec l’autre.

Garder les pieds sur terre et ne pas prendre la grosse tête.

Être fier de son milieu et l’assumer, ne pas oublier d’où l’on vient, notre ancrage et notre propre chemin, et le temps qu’il nous a fallu à nous-mêmes pour avancer.

Ne pas imposer nos propres idées et pratiquer l’écoute active, les encouragements.

Nous donner la priorité d’être auprès des familles et ne pas s’enfermer uniquement avec celles que l’on connaît, oser aller vers d’autres.

Continuer à se parler en vérité.

Quand, à quel moment est-il possible pour un militant d’être en accompagnement d’un autre auprès des institutions, de professionnels, sans que cela nuise à celui que l’on accompagne, sans que celui qui accompagne soit en danger, sans que ça discrédite notre MVT : cette question de l’accompagnement demande un grand discernement.

De quel soutien avons-nous besoin ?

L’après-midi, on s’est posé la question : De quels soutiens nous avons besoin ?

On a besoin que le Mouvement porte l’ambition de notre formation au militantisme.

Besoin de formation sur le MVT, apprendre à le présenter, connaître son histoire, l’histoire du père Joseph, que l’on soit ouvert sur les équipes dans le monde, que les volontaires nous partagent plus leurs expériences.

Vivre des sessions comme celle-ci avec la dimension internationale en osant se parler vrai, en osant la confrontation, sans se faire mal mais en se parlant honnêtement.

Voyager hors de son pays pour se sentir d’un MVT international.

Avoir des espaces pour parler de ce que l’on voit, de ce que l’on ressent, avoir des espaces qui permettent des temps ensemble pour regarder et travailler sur ce qui nous empêche d’avancer.

Avoir des temps de formation pour gagner en autonomie, pour se libérer des « fantômes » qui nous reviennent, comme ce sentiment de ne servir à rien.

Que les volontaires ne mettent pas la pression pour que l’on prenne des responsabilités si on ne se sent pas prêt.

Pour tout cela on doit se parler davantage et construire ces temps de formations, de travail, de réflexion à partir des attentes que l’on a, et en ne cherchant pas à faire abstraction de notre histoire personnelle.

Un exemple : Quand on a l’expérience de la faim souvent, on ne réagira pas devant une situation de la même manière que celui qui n’a pas éprouvé la faim. Comment, dans une équipe où nous nous disons en égalité, on reste en capacité de respecter notre « inégalité » de départ, celle qui permet à chacun de rester pleinement qui il est, et qui permet de continuer à s’enrichir, à avancer ?

Les volontaires et nous

Puis en seconde partie d’après-midi, nous avons abordé la question du volontariat : Quels types de volontaires nous sont le plus utiles ? Que pensons-nous du départ des volontaires pour d’autres missions, et de leur remplacement ?

Nous avons commencé par nous dire que les volontaires font tous ce même choix d’engagement, ils n’ont pas tous la même mission, les volontaires sont tous différents, avec ou sans religion, avec ou sans formation, et arrivent près de nous avec ou sans idée d’orientation d’action.

Nous sommes en accord avec cette diversité dans le volontariat mais nous avons des attentes assez précises.

Nous avons besoin de volontaires qui soient en présence, qui donnent tout leur cœur, qui apprennent avec les familles qui ont la vie difficile et qui nous forment au militantisme. Des volontaires qui soient en proximité, capables d’écouter, de nous prendre au sérieux.

Des volontaires qui osent se confronter avec nous tout en nous respectant.

Des volontaires qui aient de la force, qui permettent de voir plus loin, qui nous projettent avec eux pour chercher ensemble des solutions.

Des volontaires qui connaissent bien le Mouvement et qui nous en parlent, nous en partagent l’histoire et l’expérience.

Des volontaires qui ne disent pas ce qu’il faut faire, qui acceptent de ne pas imposer mais de construire avec nous, qui ne veulent pas seulement reproduire mais sont ouverts à de nouvelles idées et qui travaillent les orientations d’action avec les militants et les alliés.

Des volontaires disponibles pour les familles, qui sachent pourquoi ils sont là avec nous, qui cherchent l’avis de la communauté et qui ne nous fassent pas douter de notre engagement de militant lié à notre expérience personnelle.

On a besoin de volontaires qui ont de l’empathie et une sensibilité aux familles.

Des volontaires convaincus, des volontaires qui ne fassent pas des visites « médecins », des volontaires qui se compromettent (pas seulement pendant les horaires de bureau).

Des volontaires qui soient disponibles pour répondre à de l’urgence et à de l’imprévu.

Des volontaires solides et persévérants qui s’engagent avec nous dans une continuité, et qui sont prêts à se laisser bousculer par les militants, qui soient vrais avec nous dans la relation et le travail et qui acceptent que l’on soit vrai avec eux.

Le volontariat est une vocation, un véritable choix d’être auprès des familles. C’est plus qu’un travail, c’est un engagement.

Comme vous avez pu le constater, nous sommes exigeants sur qui nous devons être en tant que militants Quart Monde pour les nôtres, tout comme nous sommes exigeants sur qui nous voulons comme volontaires.

La recherche de cohérence

Le chemin avec un volontaire, c’est un long travail, une cohérence. L’idée d’un changement de volontaire apporte parfois la peur et la difficulté d’imaginer devoir tout recommencer avec une autre personne. Mais malgré tout c’est bien qu’il y ait des changements, pour éviter la routine même, si certains n’en ont pas peur.

Les arrivées et départs de volontaires doivent être bien organisés et cela nous regarde. Il est important de nommer la continuité, de regarder l’avenir avec les membres du MVT sur place.

Nos expériences nous font dire que les changements de volontaires sont des moments importants. Ceux qui arrivent ne doivent pas faire table rase du passé, ils ne partent pas de zéro quand ils arrivent. Les familles les accueillent à bras ouverts. Et parfois, il y a eu des déceptions. Il faut être vigilant sur les volontaires qu’on envoie auprès de nous, surtout dans des missions de liens aux familles !

Nous avons tous eu la chance d’avoir accueilli des volontaires qui se sont adaptés, il faut savoir aussi les laisser partir, ce n’est pas facile, c’est comme : « Tu vas mettre au monde un enfant, il va grandir, un jour il te quittera ».

Il faut que ce départ soit préparé, et accepter qu’un volontaire partage ailleurs l’expérience menée et acquise dans le pays d’où il part.

Les moyens matériels

Pour notre quatrième journée de travail, nous avons voulu travailler le sujet des moyens matériels de l’engagement et de l’action. Nous avons souhaité mettre en lumière nos engagements de militants, engagements identiques, mais qui s’exercent dans des réalités différentes, et comment on ose aussi s’en parler ensemble.

1 La Marche du Mouvement est une réunion mensuelle au cours de laquelle l’équipe de la Délégation générale rend compte de ses visites aux équipes du

2 Groupe constitué de Mustapha et Seynabou Diop du Sénégal, Gouba Ousséni du Burkina Faso, Emma Poma de Bolivie, Vivi Luis et Dona Raquel du Guatemala

3 MVT : Mouvement international ATD Quart Monde.

4 Délégation générale du Mouvement international.

5 UP : Université populaire Quart Monde.

6 BDR : Bibliothèque de rue du Mouvement ATD Quart Monde.

1 La Marche du Mouvement est une réunion mensuelle au cours de laquelle l’équipe de la Délégation générale rend compte de ses visites aux équipes du Mouvement réparties à travers le monde... Elle fait part de ses réflexions, analyses, points de vue nourris de ces visites mais aussi des nombreuses rencontres de son quotidien. Elle porte aussi un regard sur l’actualité et sur le monde.

2 Groupe constitué de Mustapha et Seynabou Diop du Sénégal, Gouba Ousséni du Burkina Faso, Emma Poma de Bolivie, Vivi Luis et Dona Raquel du Guatemala, Marie-Thérèse Leprince, Angélique Jeanne de France, Lucette Palas de la Réunion, Schameema Booroy de l’île Maurice et Carine Baiwir de Belgique, entourés par un ami, Moïse Compaoré, et deux jeunes professionnels, Abel et Sarah, pour la traduction.

3 MVT : Mouvement international ATD Quart Monde.

4 Délégation générale du Mouvement international.

5 UP : Université populaire Quart Monde.

6 BDR : Bibliothèque de rue du Mouvement ATD Quart Monde.

Martine Le Corre

Elle-même militante Quart Monde et membre de la Délégation générale d’ATD Quart Monde, Martine Le Corre représente ici un groupe international de onze militants.

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