Le projet ECCOFOR

François Foucquart

p. 37-40

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François Foucquart, « Le projet ECCOFOR  », Revue Quart Monde, 253 | 2020/1, 37-40.

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François Foucquart, « Le projet ECCOFOR  », Revue Quart Monde [En ligne], 253 | 2020/1, mis en ligne le 01 septembre 2020, consulté le 28 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/8448

En France, les Écoles de production visent une insertion profes- sionnelle par l’apprentissage d’un métier, sur la base de fondamentaux destinés à gagner la réussite des élèves les plus en difficulté et à s’adapter au maximum aux forces et faiblesses de chacun. Exemple d’ECCOFOR, dans le Jura.

Index de mots-clés

Jeunesse

La genèse du projet ECCOFOR s’ancre dans un constat et des rencontres, comme souvent !

En 2010, Annie, institutrice auprès de jeunes de la communauté du Voyage, constate qu’après l’école primaire, les élèves poursuivent leur instruction avec le CNED (Centre national d’Enseignement à distance), mais celui-ci leur est inadapté sans un accompagnement spécifique. Soucieuse de leur permettre de s’insérer dans une vie professionnelle, elle recherche des entreprises qui acceptent d’accueillir ces jeunes pour un stage de découverte. C’est ainsi qu’elle fait la connaissance de Claude, ancien chef d’entreprise dans la vente et le montage de pneumatiques sur tous types de véhicules, de même que dans le recyclage de pneus mis au rebut alors qu’ils ne sont pas usés. Ce type d’activité peut correspondre aux jeunes de la communauté du Voyage, mais comment procéder ?

En faisant part de leur préoccupation, Claude, Annie et son mari Jean-Yves (enseignant aussi) découvrent l’existence des Écoles de production qui peuvent répondre à leur recherche. Nées il y a 140 ans à Lyon, au profit des « jeunes de la rue », les Écoles de production visent une insertion professionnelle par l’apprentissage d’un métier, sanctionné par un diplôme national. Depuis, elles se développent au profit des jeunes, pour qui le système classique (Éducation nationale ou apprentissage) n’est pas adapté (manque d’accompagnement, intelligence manuelle et pratique, échec scolaire, etc.).

D’autres rencontres auprès de militants associatifs, sur Dole ou plus largement sur le Jura, ont permis à ECCOFOR de naître en 2012, par la constitution d’une association, l’agrément du Rectorat, la labellisation École de production, la mobilisation de financements, notamment de Fondations… Mais qu’est-ce qu’une École de production ?

L’accès à l’autonomie par les fondamentaux des Écoles de production

À ce jour, il existe trente-trois Écoles de production sur l’ensemble du territoire national ; ECCOFOR est la douzième à avoir été créée. Très différentes les unes des autres dans la genèse de leur création, elles doivent toutes obéir aux mêmes fondamentaux pour être labellisées par la FNEP :

  • Réaliser des formations correspondant aux besoins du territoire, garantissant ainsi l’accès à un emploi.

  • Proposer une formation, tant sur le plan professionnel qu’humain, validée par un diplôme.

  • Produire pour des clients et, ainsi mettre les élèves directement en situation réelle de travail, avec une visée de satisfaction du client (d’où l’absence de notes dans ces écoles).

  • Avoir pour seul critère d’acceptation des élèves leur motivation et non leur livret scolaire. Pour cela, le jeune effectue un stage de découverte d’une dizaine de jours avant de s’engager dans l’école où il aura un statut d’élève et non d’apprenti rémunéré par un patron.

  • Développer une pédagogie basée sur le faire pour apprendre (et non l’inverse), partant de la pratique (2/3 du temps en atelier) pour aller vers la théorie (1/3 du temps en salle de cours), l’ensemble de la formation se situant sur un même lieu et dans la même semaine.

  • S’appuyer sur des Maîtres Professionnels issus des entreprises qui doivent concilier exigences de production et exigences de formation.

  • Constituer des petits groupes d’élèves (8 à 10 en général) et, si possible, en mixant les publics afin de créer des coopérations entre élèves, tout en permettant un accompagnement rapproché des équipes enseignantes.

Les Écoles de production sont privées, hors contrat. Cela signifie qu’elles ne bénéficient pas d’un soutien financier de l’État. Pourtant, la plupart proposent aux élèves une scolarité gratuite. Pour cela, elles doivent trouver un équilibre financier et économique qui repose principalement sur leur chiffre d’affaires, l’attribution de taxes d’apprentissage et des subventions, notamment de la part des Conseils régionaux (environ 20 %) puisqu’elles relèvent de leur compétence.

Concrètement, quelle mise en œuvre à ECCOFOR ?

ECCOFOR accueille dix-huit élèves sur deux activités (garage automobile et métallerie) ; une troisième filière est en cours d’étude, plus spécifiquement destinée à un public féminin. Ils sont originaires de la communauté du Voyage, « décrocheurs scolaires » ou jeunes migrants. Parmi ces derniers certains n’ont jamais été scolarisés et d’autres ne sont pas francophones ; ils sont fortement motivés. Les autres ont connu un parcours scolaire très chaotique et rencontrent des difficultés variées (manque d’attention en classe, difficultés de comportement en groupe, etc.).

La pédagogie est en recherche permanente pour gagner la réussite des élèves et s’adapter au maximum à chacun. Ainsi, tout en respectant le programme du CAP, l’enseignement théorique (surtout mathématiques, français et technologie) est développé en lien direct avec l’activité de l’atelier (terminologie du métier, étude de plans, règles de trois, pourcentage, etc.). Pour cela, les échanges entre l’équipe enseignante et les Maîtres Professionnels sont permanents. Tous (élèves, Maîtres Professionnels et enseignants) insistent sur l’importance du temps pris pour favoriser la compréhension par tous, quitte à chercher, ensemble, de nouveaux chemins. Les effectifs réduits permettent cette bienveillance.

Par ailleurs, la coopération entre élèves est centrale dans la pédagogie : ceux qui maitrisent la langue vont aider les non francophones (qui ont, par ailleurs, des cours de Français langue étrangère) ; les élèves de deuxième année sont invités à aider ceux de première année ; au sein d’une même promo, ceux qui maitrisent un savoir-faire montrent à ceux qui ne le maitrisent pas, etc.

Bien que rien ne nous y oblige, nous tenons à ce que, chaque année, nos élèves fassent au moins un stage de trois semaines en entreprise : cela leur montre une autre réalité du monde du travail ; cela leur permet aussi de se faire connaître auprès de responsables d’entreprises qui pourront ensuite les prendre en contrat d’apprentissage, s’ils poursuivent vers un Bac Pro (et plus), ou leur proposer un « job d’été » durant leur formation.

Outre l’objectif de qualification professionnelle que nous poursuivons (CAP), nous leur faisons passer d’autres diplômes ou certifications qui doivent leur permettre un meilleur accès à l’autonomie : le DELF (Diplôme d’Études en Langue Française) pour les étrangers non francophones, le CFG (Certificat de Formation Générale) pour une acquisition des bases minimales, l’ASSR (Attestation Scolaire de Sécurité routière) pour une meilleure mobilité (gros handicap en milieu rural !) et permettre ultérieurement un accès au permis de conduire. Toutes ces qualifications, assez basiques, participent à redonner de la confiance en soi à ces jeunes qui en manquent terriblement…

D’autres activités sont tout aussi importantes pour retrouver confiance en soi et fierté de sa personne :

  • un « atelier philo » hebdomadaire, animé par Annie, leur permet d’échanger sur leurs valeurs, leurs cultures, dans l’écoute et la bienveillance,

  • des sorties culturelles (théâtre, expos, etc.),

  • un atelier artistique où, avec l’aide d’un plasticien, ils travaillent la matière (pneus, ferraille) autrement,

  • des Portes Ouvertes où ils présenteront leurs réalisations artistiques.

Autour de la vie en groupe, une grande vigilance est portée sur les savoir-être : respecter un engagement (arriver à l’heure à l’école, par exemple), respecter l’autre, se concentrer sur son travail (les portables sont proscrits dans l’atelier), mettre en œuvre des règles de politesse (accueil des visiteurs par exemple), accepter la médiation de l’adulte dans la résolution de conflits, en particulier celle du Directeur qui assure le lien avec les parents, les éducateurs.

Le suivi des jeunes

À l’issue de leur cursus à ECCOFOR (deux à trois ans), 50 % des élèves poursuivent leur formation vers un Bac Pro, via des contrats d’apprentissage classiques, ce qui leur permet aussi d’avoir une rémunération et donc de commencer à gagner en autonomie financière. Les autres s’insèrent, sans difficulté, dans la vie professionnelle, souvent par la voie de l’intérim, comme beaucoup de jeunes aujourd’hui.

Nous conservons un contact avec la plupart des anciens élèves, notamment pour trouver une entreprise pour leur formation par alternance. Nous les encourageons également et les soutenons dans leurs démarches administratives ou professionnelles. Il est surprenant de voir que quelques « anciens » viennent consacrer du temps, bénévolement, à ECCOFOR pour soutenir (et témoigner) devant leurs pairs d’aujourd’hui. Actuellement, l’un d’entre eux participe chaque semaine à un cours de renforcement en technologie.

Acquérir son autonomie par l’insertion professionnelle et le savoir‑être

Avec un taux de réussite à l’examen de 85 % à ECCOFOR (comme dans la plupart des Écoles de Production), nous constatons, après ces sept années d’existence, que nos élèves repartent grandis d’une maturité personnelle, professionnelle et sociale qui leur permet réellement de trouver un emploi ou de poursuivre leur formation en apprentissage.

Si eux reprennent confiance en eux, ils remettent en cause aussi nos capacités d’appréciation et nous devons faire preuve d’agilité pédagogique. Ils changent notre regard sur les capacités et les talents cachés de l’Humain.

François Foucquart

François Foucquart est président d’ECCOFOR et administrateur de la Fédération nationale des Écoles de production (FNEP).

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