Le temps donne un sens à l’engagement

Véronique Painset

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Référence électronique

Véronique Painset, « Le temps donne un sens à l’engagement », Revue Quart Monde [En ligne], 194 | 2005/2, mis en ligne le , consulté le 16 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/852

Comment une mère de famille apprend à bâtir des passerelles entre des familles en grande pauvreté et son entourage.

Index de mots-clés

Engagement, Solidarité

Je dois mon engagement tout d’abord à ma belle-sœur qui était elle-même alliée du Mouvement ATD Quart Monde à Lille et à son investissement dans l’association Amitié Partage (œuvrant en faveur des plus pauvres)

Par nos rencontres, nos discussions, elle m’a ouvert l’esprit et le cœur. Elle me racontait ses rencontres avec les familles les plus pauvres, ses actions en bibliothèque de rue, ses joies mais aussi ses doutes et parfois son impuissance face à la misère. Je dois aussi mon engagement à une militante d’Atd Quart Monde avec qui j’ai fait, pendant une année, une revue de presse. Cela m’a beaucoup apporté et a été pour moi une ouverture vers des familles en grande difficulté. Elle m’a sensibilisée, à travers les articles de presse, sur la misère quotidienne vécue par de nombreuses personnes. En me faisant partager l’expérience de sa vie et ce que représentait pour elle son mouvement, elle m’a ouvert les yeux sur l’importance de ne pas être seul, de transmettre aux autres ce que l’on a reçu. Elle m’a souvent parlé du père Joseph Wresinski, du long chemin qu’elle a parcouru et j’ai profondément ressenti le combat qu’elle avait dû mener pendant toute sa vie, ses joies et ses difficultés.

Ma participation au projet de l’expo photos Belles familles1 a été pour moi un grand moment dans mon engagement : pouvoir mettre en valeur les portraits de ces familles avec le souci de l’esthétique, du “ beau ”, a contribué à leur rendre hommage et à faire comprendre ce qu’est leur vie. Parler à mon entourage de ce que représentent ces familles, de la richesse de nos rencontres et de ce qu’elles m’apportent, s’est naturellement imposé à moi. Cette expérience m’a fait vivre de grands moments d’émotion.

Temps des livres, temps de la confiance

Depuis plusieurs années je participe à une bibliothèque de rue à Montmagny. Chaque mercredi nous intervenons dans deux lieux.

Sur l’un, deux sœurs habitent en caravanes avec leurs enfants. L’année dernière le grand-père, qui vivait également là, est décédé. Lorsque les enfants voient notre voiture arriver, ils se précipitent pour nous aider à prendre nos affaires. Ils sont environ six, en majorité des garçons. Le plus jeune est très friand de livres.

Sur un autre terrain, une de leurs sœurs vit avec ses cinq enfants et d’autres familles. Nous n’avons pas contact avec toutes. Nous nous mettons devant une caravane et certains enfants viennent, un groupe en âge d’école primaire et un groupe d’adolescents. Pour les ados, la bibliothèque de rue n’est plus très appropriée mais il nous arrive de passer une partie du temps avec un livre “ Très, très, fort ”. Les ados prennent plaisir à jouer une histoire en distribuant les rôles à chacun. Ou encore nous lisons une histoire à plusieurs voix, chacun jouant un personnage. Ce sont des instants de réel bonheur et parfois une maman vient vers nous et rit de voir ses enfants passer un bon moment.

Etre avec les enfants, leur faire découvrir la richesse, la beauté des albums, tisser des liens d’amitié avec eux mais aussi avec leurs parents pour qu’ils se sentent moins exclus du monde de l’école, sont vraiment des choses qui me tiennent à cœur. Je suis toujours surprise de ce que leur apportent les livres, de leur joie à notre arrivée, de leurs attentes et des difficultés qu’ils rencontrent avec la lecture. Une relation de confiance, d’amitié s’instaure mais il ne faut pas vouloir aller trop vite et précipiter les choses. La confiance se bâtit jour après jour.

Zidane est un garçon de six ans et le dernier d’une famille de six enfants. Sa maman éprouve beaucoup de difficulté à le mettre à l’école. Pourtant il aime les livres, passe du temps à les ouvrir, les feuilleter, les montrer. Il y a maintenant une année, il a vécu quelque chose de fort avec le livre Bébés chouettes. Si je n’avais pas ce livre dans mon sac, il restait très peu de temps avec nous. Les premières séances, il n’a fait que regarder la couverture, puis la page où sont présentés la maman et ses bébés, ensuite la double page où il est écrit : “ et elle rentra ”. Il embrassait la page où l’on voit la mère. Bien souvent sa maman partait faire des courses quand nous étions là et elle laissait Zidane, tout comme la maman chouette laisse ses petits pour aller chercher à manger. Je le laissais tourner les pages, revenir en arrière, recommencer. Ces moments étaient très forts et fragiles, il ne fallait surtout pas brusquer les choses mais laisser un espace de liberté à cet enfant. Ensuite nous avons pu nommer les bébés. Je pouvais lire cette page dix à quinze fois. La troisième étape a été la page où chaque bébé prend une place sur l’arbre pour attendre le retour de la maman, la page où ils ferment les yeux et forment le vœu que la maman rentre. Zidane est un enfant très craintif, qui a peur de tout, même souvent de certains livres où l’on voit des sorcières et des monstres. C’est seulement au bout d’une année que j’ai pu lui lire ce livre dans son intégralité. Et ce n’est pas arrivé souvent. Cet enfant passe beaucoup de temps à regarder les illustrations, il voit les détails et mémorise beaucoup d’informations. Quand il regarde un livre, il a besoin de s’arrêter sur une page, d’y passer un moment et d’y revenir. Il faut lui laisser le temps de s’approprier les choses, respecter sa liberté de tourner les pages quand il le souhaite, de ne pas lire. Cette relation s’est construite au fil des semaines et continue encore aujourd’hui. Il se précipite toujours à notre arrivée : “ T’as ramené les livres ” ?

Le monde qui nous entoure

S’engager, pour moi, a pris tout son sens grâce au temps passé avec ces familles mais aussi grâce à l’équipe de volontaires d’ATD Quart Monde. Seul, on ne peut pas faire grand-chose et c’est par les rencontres diverses, le partage des expériences que l’on chemine dans son engagement.

C’est à travers les Semaines de l’avenir partagé2 auxquelles je participe depuis trois ans maintenant, les réunions entre animateurs de bibliothèques de rue, nos rencontres mensuelles à la maison Quart Monde, notre participation avec les enfants à la journée passée au Sénat à l’occasion du 17 octobre3, la vente de cartes de vœux, les interventions faites dans les écoles, la participation aux journées familiales, etc. que je peux mesurer le chemin parcouru et la prise de conscience du monde qui nous entoure. Dans mon milieu professionnel, enseignant, également, j’agis pour que les droits des gens qui vivent dans la misère soient respectés.

En ce moment, j’ai demandé aux institutrices si l’on pouvait mener une réflexion avec les enfants sur la solidarité. Que mettent-ils derrière ce mot ? Mais en le liant aussi avec la misère et les personnes qui la subissent. J’ai acheté le livre Tous les enfants ont les mêmes droits aux Journées du livre contre la misère4. Nous voulons mener, avec les enfants, une réflexion sur les droits et devoirs de chacun et voir comment eux, écoliers, ils peuvent faire reculer la misère.

Je travaille dans une école et suis amenée à avoir des échanges avec des institutrices et aussi des professeurs. Je leur parle souvent de mes rencontres avec les plus pauvres. A l’occasion de la diffusion du reportage fait par Jean-Louis Saporito Dites à nos enfants que nous nous sommes battus, des institutrices ont enregistré le documentaire et elles m’ont fait part de leurs sentiments face aux témoignages de ces familles. Une d’entre elles m’a même avoué avoir découvert à travers ce reportage que des gens vivaient dans de telles conditions juste à côté de chez elle.

Face au quotidien des familles

Je suis intervenue dans une école où un professeur d’arts plastiques donne des cours. Notre rencontre a été déclenchée par la diffusion du journal Résistances5. Ce professeur a monté avec une collègue un projet autour d’ATD Quart Monde. Je suis allée rencontrer les élèves pour leur parler du père Joseph Wresinski, de nos actions et des familles rencontrées. Ces deux classes ont fait la campagne pour les cartes de vœux d’ATD Quart Monde et en ont vendu 255. Par ailleurs le professeur d’arts plastiques et sa collègue ont participé à la journée familiale de Noël. Nous allons poursuivre ces échanges et nous cherchons la suite que nous pourrions donner à cette première intervention.

Aujourd’hui, s’il fallait que je fasse le point sur mon engagement je dirais que la lutte contre la misère s’organise chaque jour. On n’a pas le droit d’ignorer ce que vivent ces familles exclues dans la société de consommation. Par de petites actions, de petits pas, on peut faire bouger les choses dans son entourage familial, professionnel et dans sa ville.

Par exemple, en sortant d’une réunion dans ma commune j’entendais une personne critiquer les gens du voyage installés sur un parking. Je lui ai dit qu’elle n’avait pas le droit de juger ces personnes qu’elle ne connaissait pas. Le lendemain cette personne me laissait un message sur mon répondeur, me disant qu’elle s’excusait parce qu’elle était consciente de m’avoir blessée.

L’engagement, on le construit au fil du temps. Bien sûr, il est difficile de mesurer le chemin parcouru mais je pense qu’en informant son entourage, il prend conscience de l’importance de ne pas être indifférent au sort des personnes très pauvres.

Mon regard a changé sur certaines personnes et en particulier sur les gens du voyage qui me faisaient très peur car j’ignorais leur façon de vivre. J’ai appris à les connaître et la confiance s’est établie petit à petit. J’aurais du mal maintenant à ne plus être en relation avec eux. J’ai également appris la patience qu’il faut pour pouvoir construire une relation avec ces familles. Mais ce qui me semble le plus important avant tout c’est l’humilité que nous devons avoir devant ce que vivent ces familles au quotidien.

Cependant la question de l’école reste permanente pour moi : comment permettre à ces familles et à leurs enfants de comprendre l’importance d’aller à l’école ? Et quel est l’avenir pour ces enfants dans notre société d’aujourd’hui et de demain ?

1 Cette exposition de photos réalisées par Jean-Louis Saporito a donné lieu à un album du même titre, aux éditions Les Arênes, 2002.
2 Pendant l’été, temps de rencontre dans les quartiers défavorisés, à partir des enfants et d’activités diverses.
3 Le 17 octobre 2004, Journée mondiale du refus de la misère, 300 enfants Tapori (branche enfance d’Atd Quart Monde) ont été reçus au Sénat, à Paris.
4 Les 18èmes Journées du Livre contre la misère ont eu lieu les 4, 5, 6 février 2005, à la Cité des sciences et de l’industrie de La Villette, Paris.
5 Numéro exceptionnel publié à l’occasion du 17 octobre.
1 Cette exposition de photos réalisées par Jean-Louis Saporito a donné lieu à un album du même titre, aux éditions Les Arênes, 2002.
2 Pendant l’été, temps de rencontre dans les quartiers défavorisés, à partir des enfants et d’activités diverses.
3 Le 17 octobre 2004, Journée mondiale du refus de la misère, 300 enfants Tapori (branche enfance d’Atd Quart Monde) ont été reçus au Sénat, à Paris.
4 Les 18èmes Journées du Livre contre la misère ont eu lieu les 4, 5, 6 février 2005, à la Cité des sciences et de l’industrie de La Villette, Paris.
5 Numéro exceptionnel publié à l’occasion du 17 octobre.

Véronique Painset

Secrétaire médicale de formation, Véronique Painset, mariée et mère de trois enfants, est alliée du Mouvement ATD Quart Monde depuis 1998 dans la région parisienne.

CC BY-NC-ND