Pour un droit à la formation culturelle

Joseph Wresinski

p. 59-60

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Joseph Wresinski, « Pour un droit à la formation culturelle », Revue Quart Monde, 254 | 2020/2, 59-60.

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Joseph Wresinski, « Pour un droit à la formation culturelle », Revue Quart Monde [En ligne], 254 | 2020/2, mis en ligne le 01 décembre 2020, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/8804

Nous reproduisons ici le message adressé aux États généraux du Chômage et de l’Emploi, tenus à Paris, les 5 et 6 mars 1988. (Texte rédigé par le père Joseph Wresinski et lu en son nom aux États Généraux, quelques semaines après son décès.)

Droit au travail et droits humains

L’importance des États généraux du Chômage et de l’Emploi, des questions qui y seront débattues est évidente. Ils compteront pour les travailleurs et travailleuses actuellement sans emploi ou menacé d’en être privés. Mais bien au-delà, ils compteront pour toute une société aujourd’hui au défi de repenser l’égalité du droit au travail et à la participation dans de cadre de la réalisation de l’ensemble des Droits de l’Homme. Ces États Généraux auront, en effet, valeur de progrès dans la mesure où ils sauront examiner les réalités du droit au travail dans le contexte de l’indivisibilité de l’ensemble des libertés et des droits de l’Homme et du Citoyen.

Où en sommes-nous à cet égard ?

L’insuffisance d’un « traitement du chômage »

Dans une société où gagner sa vie par le travail était progressivement devenu le principal moyen - le moyen quasi absolu - de manifester sa dignité d’homme et de citoyen, nous n’avons nullement veillé, pendant plusieurs décennies, à ce que le droit à l’occupation professionnelle soit concrètement assuré jusqu’au plus bas de l’échelle sociale. Plus grave, au pied de l’échelle étaient également inaccessibles les systèmes de sécurité permettant aux chômeurs de garder leur statut de travailleur et une protection pour leur famille. Ces manques de garantie, qui existaient avant le ralentissement et les grandes mutations économiques, ont permis qu’avec la progression du chômage de longue durée, particulièrement parmi les hommes et les femmes les moins qualifiés et parfois illettrés, progressa aussi l’état d’exclusion du statut et des droits acquis des travailleurs.

On peut dire qu’aujourd’hui, le nombre des intéressés augmentant, les failles dans notre application des droits de l’Homme reconnus par la Constitution sont devenues plus visibles. Elles choquent de plus en plus opinion qui les avait ignorées pendant quelques décennies. Aussi, aujourd’hui, il ne peut plus être question d’un « traitement du chômage ». Puisque n’importe quel « traitement » ad hoc, temporaire, par le moyen d’un « travail minimum » ou d’une formation technique qui ne donne pas accès au marché de l’emploi ni à la participation, ne contribue pas à rétablir des droits.

Le double devoir de l’État 

Il restera toujours vrai que la création d’emplois et la mise en place de moyens de formation professionnelle d’envergure demeurent un devoir absolu de l’État. Ce devoir ne peut pas continuer de dépendre de la seule bonne volonté ou de l’idéologie de tel ou tel parti au pouvoir. Il faut un consensus national qui ne permette plus de faire du chômage l’enjeu de rivalités politiciennes changeantes.

Mais il faut aussi un autre consensus de la nation, pour ce qui concerne la valorisation réelle du temps où les travailleurs n’auront pas d’emploi. Des fonctionnaires, des employés, des cadres, des instituteurs, des travailleurs indépendants parlent de plus en plus de la nécessité, dans la vie professionnelle moderne, d’années sabbatiques, de temps de recyclage libre, de mise en congé volontaire... Ils revendiquent et obtiennent avec raison ce temps destiné, non pas du tout à une formation plus poussée dans leur champ professionnel strict, mais à un élargissement significatif de leur formation culturelle plus générale.

Ainsi, ceux qui sont encore dans la course pour la participation la plus large à la vie économique de demain ne se trompent pas sur l’exigence de base que représente un enrichissement culturel solide. Malheureusement, ce moyen, plus nécessaire encore aux chômeurs de longue durée, qui sont souvent déculturalisés ou trop peu cultivés, leur manque totalement. La culture au sens large est ce dont, d’une manière générale, le monde ouvrier a toujours été privé. Il a dû se bâtir et sortir de la pauvreté à la force de ses poignets et grâce à son organisation. Les travailleurs en grande pauvreté n’ont pas cette possibilité. La culture est désormais pour eux un besoin et un droit absolus.

Aussi, un second devoir inexorable de l’État est de mieux asseoir les droits et libertés de l’Homme, en prenant les mesures pour que le temps de chômage, lorsqu’il ne peut être évité, soit transformé en un temps sabbatique. En un temps où les intéressés puissent réellement se ressourcer, acquérir des formations, maîtriser de nouvelles techniques mais surtout, à travers tout cela, acquérir une culture universelle qui leur a toujours manqué pour obtenir une situation d’égalité, dans la vie économique et dans la vie tout court.

[…]

Aussi, le Mouvement international ATD Quart Monde demande-t-il aux États généraux du Chômage et de l’Emploi d’exiger, pour les chômeurs de longue durée, pour tous les chômeurs et pour tous les travailleurs de niveau de formation modeste et menacés de chômage, le droit à la culture. D’exiger que des mesures significatives soient prises pour que le double droit au travail et à la culture soit ancré de façon irréversible dans les devoirs de l’État.

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