Claire et Marc Heber-Suffrin, Appel aux intelligences. Les réseaux de formation réciproque

Éditions Matrice, Vigneux, 1988, 257 pages

Bertrand Boureau

Bibliographical reference

Claire et Marc Heber-Suffrin, Appel aux intelligences. Les réseaux de formation réciproque, Éditions Matrice, Vigneux, 1988, 257 pages

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Bertrand Boureau, « Claire et Marc Heber-Suffrin, Appel aux intelligences. Les réseaux de formation réciproque  », Revue Quart Monde [Online], 128 | 1988/3, Online since 01 March 1989, connection on 19 April 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/8818

Le livre rend compte de 15 ans d'engagement de Claire et Marc Heber-Suffrin dans ce qu'ils ont appelé les « Réseaux de formation réciproque ».

Expérimentés d'abord dans le cadre scolaire, à Orly, puis dans le cadre d'un quartier à Evry et, depuis, reproduit par d'autres dans une quarantaine de villes différentes, ces « réseaux » sont une forme originale d'association, informelle au départ, plus formelle à la longue, dont l'objectif est de permettre à chacun d'apprendre à d'autres ce qu'il sait et, en échange de se former en apprenant de quelqu'un.

Le principe, pour rentrer dans le réseau, est de poser une demande d'apprentissage en même temps que l'on propose d'enseigner ce que l'on sait : ceci pouvant aller de la mécanique-auto à l'anglais, en passant par la cuisine marocaine, l'art de faire parler les perroquets, le tricot, la manière de prendre les transports en commun, etc.

Une ou des personnes servent de « central » à cet échange qui peut aussi bien se faire d'une personne à une personne qu'en groupe.

Derrière ce qui ne pourrait qu'être une forme différente d'animation se profile une autre manière de voir les personnes et les rapports sociaux :

- Chacun a quelque chose à apprendre aux autres : il n'y a pas « ceux qui savent » et « ceux qui doivent apprendre » ;

- Apprendre aux autres ce que l'on sait est une valorisation personnelle très forte, une manière dynamique de se situer dans la société qui peut remettre quelqu'un debout : les réseaux, sans avoir a priori une vocation sociale, font beaucoup pour l'insertion de ceux qui y participent ;

- Bâtir sur le principe du « partage du savoir » casse radicalement les relations « riches-pauvres » et permet un rassemblement original et vrai ;

- L'impact des réseaux dépasse ceux qui y adhèrent en créant dans un quartier, une ville, une dynamique nouvelle de rassemblement.

Concrètement, cette démarche nous intéresse d'autant plus qu'elle a été expérimentée dans des zones géographiques populaires, voire défavorisées. C'est très précisément avec l'idée d'atteindre des personnes en situation difficile et de bâtir avec eux une action qui permette à chacun d'apporter sa contribution que sont nés les « réseaux ». Mais, s'il est évident que des personnes défavorisées y participent, elles n'en sont pas le point de départ : c'est là une différence importante. Si le principe de « Partage du Savoir » est analogue à celui que nous avons appris du père Joseph et du Quart Monde, l'option de la priorité aux plus pauvres n'est pas faite explicitement. Le refus d'exclure quiconque est certainement inscrit dans les réseaux. Je ne crois pas qu'il équivaut, en soi, à la priorité aux plus pauvres...

Les auteurs ont beaucoup écouté, enregistré, écrit ce qu'ils ont appris des membres des réseaux. Leurs récits, avec celui de la naissance des « réseaux » d'Orly et d'Evry, sont la partie la plus attrayante du livre : j'ai eu envie de rencontrer ces gens, de mieux comprendre leur action.

Par ailleurs, le livre contient un effort de réflexion et de conceptualisation en référence à des ouvrages d'Edgard Morin et cette partie est beaucoup plus ardue. Reste que bien des questions qui y sont posées nous interpellent nous aussi :

- de quel savoir parlons-nous ?

- comment découvrir les savoirs des autres et leur manque de savoir ?

- comment mobiliser les savoirs ?

- quel rapport entre le partage du savoir et la construction d'une véritable démocratie ?

CC BY-NC-ND