Paul Baudiquey, Un évangile selon Rembrandt

Ed. Mame, Collection. « Un certain regard », 1989, 96 pages

Michèle Grenot

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Paul Baudiquey, Un évangile selon Rembrandt, Ed. Mame, Collection. « Un certain regard », 1989, 96 pages

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Michèle Grenot, « Paul Baudiquey, Un évangile selon Rembrandt », Revue Quart Monde [Online], 138 | 1991/1, Online since 18 May 2020, connection on 29 March 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/8916

Merci à Paul Baudiquey pour ce beau livre, tant au niveau de l’iconographie que de la poésie du texte et de la profondeur du contenu. Grand connaisseur d’art, il aime particulièrement Rembrandt « parce qu’il donne à voir. Il m’aide à vivre. » Grâce à lui, nous pénétrons dans l’intériorité de l’œuvre dite « La pièce aux cent florins », pièce maîtresse de l’œuvre gravée de Rembrandt. Achevée vers 1649, après quatorze ans de travail, c’est dire qu’elle était chère à l’artiste. Pour l’auteur, elle est à elle seule tout un « évangile selon Rembrandt. »

Au centre de l’œuvre, le Christ. Puis, d’un côté le groupe des Docteurs, « des suffisants », debout en pleine lumière, mais comme aveuglés par elle. De l’autre, les misérables, « les suppliants », à genoux, caressés par un jeu d’ombre et de lumière, « mais non obscurcis par la pénombre. » Les deux groupes convergent vers le Christ, les bras ouverts, au regard doux et humble, qui accueille d’une main, bénit de l’autre. Ainsi, par ce geste, il souligne l’interdépendance des deux groupes dans leur humanité.

A une époque où le port d’Amsterdam domine le monde par sa richesse, Rembrandt non seulement « ose » graver les portraits des laissés-pour-compte, mais révèle leur dignité : « les visages en disent long sur leur rude expérience de la vie, de ses duretés, ses injustices » ; « les mains parlent autant que les visages. » Mains offertes ; mains qui disent le courage, « le courage ancestral qui fait immémoriale la tradition des pauvres » ; mains qui disent la tendresse, comme celles de cette vieille femme prenant celles de son vieux compagnon aveugle ; mains qui disent le respect, comme celle tournée vers le gisant étendu sur une brouette. Une brouette qui prend ici un sens nouveau : « On devine le gémissement de cette vieille roue, l’inarticulé de sa plainte : elle est la voix des sans-voix. D’objet usuel, elle devient en quelque sorte objet spirituel, réalité sacrée. »

Etre enterré dignement est une constante de l’histoire des pauvres. Un permanent du Mouvement ATD Quart Monde aux Pays-Bas (c’est une coïncidence) racontait récemment que dans le cadre d’une enquête sur l’utilisation de la garantie de ressources, beaucoup de familles pauvres souhaitaient utiliser une part de cet argent pour se payer une assurance afin d’être enterré dignement. Et cela a été contesté par le service social qui verse la prestation.

« Ce qu’ils mendient n’est rien au regard de ce qu’ils sont », écrit l’auteur. Pour lui, l’Evangile selon Rembrandt ne présente en rien une vision manichéenne de la société : « La frontière entre le bien et le mal, entre la lumière et les ténèbres, ne passe pas par des catégories de gens, mais à l’intérieur du cœur de chaque homme. »

Cette œuvre n’est-elle pas une invitation à la compréhension de ceux qui souffrent ? La pauvreté n’est pas une vertu évangélique en elle-même, mais un mal à combattre tous les jours. Rien ne peut changer sans la reconnaissance de l’humanité, de la dignité des très pauvres, répétait le père Joseph Wresinski. Sans ce regard-là, comme dans le tableau, notre suffisance nous fait tourner le dos, nos mains restent fermées, comme celles de l’humaniste Erasme, nous voulons aller trop vite comme l’apôtre Pierre, nous restons abattus comme le jeune homme riche de l’Evangile.

Michèle Grenot

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