Marguerite Duras, La pluie d’été

Edition P.O.L., 1990, 157 pages

Jacqueline Konrad

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Marguerite Duras, La pluie d’été, Edition P.O.L., 1990, 157 pages

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Jacqueline Konrad, « Marguerite Duras, La pluie d’été », Revue Quart Monde [Online], 140 | 1991/3, Online since 18 May 2020, connection on 19 April 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/8921

Un cadre : Vitry-sur-Seine. Une toute petite maison reléguée, avec pour tout jardin un arbre.

Une famille : parents immigrés depuis vingt ans, chômeurs, semi-alcooliques, s’occupant avec tendresse de leurs sept enfants, enfants ayant la hantise que leurs parents découragés de tant de pauvreté les abandonnent.

Ernesto et Jeanne, les aînés, très intimement liés, affectueux, attentifs avec leurs frères et sœurs.

Un thème : la connaissance en tant qu’accès à un statut social. Et pourtant… les aînés ne veulent pas aller à l’école. Mais, par une sorte d’apprentissage sans peine, Ernesto deviendra un savant de stature internationale avant de mourir… ou de disparaître dans le vaste monde.

Ne surtout pas chercher dans ce très beau récit un reportage sur la misère et l’illettrisme : à travers les faits décrits, tout est transcendé, symbolisé.

Ernesto refuse l’école car, dit-il : « On m’apprend des choses que je sais pas. » Jeanne lui emboîte le pas. Mais Ernesto développe un formidable appétit de savoir représenter par la lecture « religieuse » de la Bible - trouvée dans une poubelle par le père, brûlée en son milieu, donc sujette à interprétation. Et l’arbre de leur « jardin » pourrait bien être celui de la connaissance de la Genèse. L’amour familial - qui se consomme dans l’inceste des deux aînés - est le ciment de cette inexorable poussée vers le savoir.

Mais tout cela n’est pas si clair dans le roman - écrit après la réalisation par Marguerite Duras du film Les Enfants en 1984 - comme l’explique l’auteur dans une postface éclairante.

La famille ressemble fort dans sa vie matérielle quotidienne à une famille du Quart Monde, mais la fiction crée de constantes échappées hors de ce contexte.

Marguerite Duras semble dire que la connaissance n’est pas l’apanage de l’école : des discussions avec la famille, l’instituteur sort quasiment ridiculisé. En tout cas, la connaissance dépasse le savoir : « On ne peut pas en faire le dessin. Parce que c’est comme un vent qui ne s’arrête pas. Un vent qu’on ne peut pas attraper, qui ne s’arrête pas, un vent de mots de poussière, on ne peut le représenter, ni l’écrire, ni le dessiner », explique Ernesto (p. 58) Veut-elle dire aussi que la connaissance a une dimension spirituelle ?

L’ascension intellectuelle et sociale d’Ernesto doit-elle être interprétée comme un rêve, un idéal ?

En tout cas, la présence des parents a son importance, même si les aînés semblent humainement les dominer : petites « cuites » en amoureux qui les aident à assumer, plaisanteries du père, chansons douces de la mère.

La langue est chatoyante : parler familier, poésie des versets de la Bible et des chansons, souffle de la pensée, finesse du discours des enfants.

Il ne paraît pas possible de « tirer » ce récit vers le Quart Monde. Mais il pourra peut-être procurer une base privilégiée de réflexion sur tout ce qui court dans le récit et qui en fait la trame vigoureuse : connaissance, parole, vie et mort, cohésion familiale. De grands problèmes humains tout simplement qui concernent donc le Quart Monde

Jacqueline Konrad

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