Alain Faure (dir.), Les premiers banlieusards. Aux origines des banlieues de Paris (1860-1940)

Collection « Rencontres à Royaumont », Edit. Créaphis, Paris 1991, 285 p.

Régine de Guillebon

Bibliographical reference

Alain Faure (dir.), Les premiers banlieusards. Aux origines des banlieues de Paris (1860-1940), Collection « Rencontres à Royaumont », Edit. Créaphis, Paris 1991, 285 p.

References

Electronic reference

Régine de Guillebon, « Alain Faure (dir.), Les premiers banlieusards. Aux origines des banlieues de Paris (1860-1940) », Revue Quart Monde [Online], 150 | 1994/1 et 2, Online since 30 May 2020, connection on 23 April 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/8973

Ce travail d’historiens a été réalisé à la suite d’une rencontre tenue à Royaumont en mai 1989, dans le cadre du Programme ethnologique de la Fondation Royaumont.

A travers sept monographies, rassemblées dans cet ouvrage, se dessinent des constantes et des convergences à propos du développement des banlieues de Paris, et des conditions d’installation des entreprises et des familles. Il n’y a pas de cause unique à cette expansion. La banlieue est en effet à la fois rejet d’habitants, d’activités, hors de Paris, et à la fois conquête d’un nouvel espace.

En 1860, la banlieue de Paris est la partie du département de la Seine non annexée à la capitale, laquelle vient d’absorber la dizaine de communes se trouvant à l’intérieur de l’enceinte fortifiée. En 1886, la banlieue représente déjà 21,2 % de la population totale du département, chiffre qui va croître très rapidement.

Le terme « banlieusard », né à la fin des années 1880, est d’abord un terme méprisant. La banlieue était à l’origine au service de Paris, comme en témoignent les activités horticoles et arboricoles ainsi que la blanchisserie (« la bourgeoisie parisienne a toujours fait laver son linge sale en banlieue. ») Les travaux pénibles y étaient réalisés, par des manœuvres et ouvriers des champignonnières, briqueteries et carrières à plâtre ; l’exploitation était maximale (« la banlieue, c’est le bagne. ») D’autres industries s’y installèrent progressivement - notamment l’imprimerie et les fabriques de pianos et d’orgues - attirées par des terrains moins chers, des ouvriers moins bien payés qu’à Paris et moins revendicatifs. Cependant, les auteurs n’ont décelé, à la base de ces nouvelles implantations, aucune volonté étatique d’un « redéploiement industriel » sous-tendu par un développement des infrastructures fluviales, routières ou ferroviaires.

Quant à l’implantation des familles dans la banlieue, elle est provoquée aussi par la détresse, car il fallait échapper aux taudis et aux quartiers insalubres de Paris. Petit à petit s’est créée, dans ces nouveaux lieux de vie, une nouvelle identité collective. C’est ce que montre une monographie que Patrick Gervaise consacre aux « passages » à Levallois-Perret. Elle décrit la vie des très pauvres rejetés à la fois par la bourgeoisie et le monde ouvrier, dans sa rudesse, sa misère mais aussi à travers un quotidien fait de cultures de quartier, du sens de la fête.

S’arracher à ses racines parisiennes pour aller en banlieue était une prise de risque. C’était affronter la spéculation immobilière et ses escroqueries, se débrouiller avec les mécanismes du lotissement. Cette banlieue-là, même « noire », était déjà une conquête, du moins sous son aspect « vert ». Ce retour à la nature se faisait de préférence par l’acquisition du pavillon et d’un espace privilégié autour de la maison : le jardin.

Alain Faure résume ainsi les conclusions de l’ensemble des travaux qui composent ce livre ; « L’espace suburbain de la capitale fut bel et bien un espace d’exclusion, le lieu du rejet d’une population démunie, vouée à un habitat dégradé, mais il en fut de ces communes si vite poussées au flanc de la ville comme des faubourgs traditionnels de l’intérieur qu’elles se contentaient de prolonger (...). La banlieue pauvre fut simplement un des territoires de la misère humaine de l’époque et témoigne du même mode de vie populaire fait de violence et de profonde entraide ».

Un style alerte, servi par des témoignages et de nombreuses photos, rend passionnante la lecture de cet ouvrage riche de documents d’archives et d’analyses chiffrées.

CC BY-NC-ND