Saïd Bouamama, De la galère à la citoyenneté ; Les jeunes, la cité, la société

Desclée de Brouwer, Paris, 1993, 174 p.

Jean-Jacques Boureau

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Saïd Bouamama, De la galère à la citoyenneté ; Les jeunes, la cité, la société, Desclée de Brouwer, Paris, 1993, 174 p.

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Jean-Jacques Boureau, « Saïd Bouamama, De la galère à la citoyenneté ; Les jeunes, la cité, la société », Revue Quart Monde [En ligne], 150 | 1994/1 et 2, mis en ligne le 19 mai 2020, consulté le 20 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/8976

L’agressivité, le vandalisme, l’occupation des lieux publics par des jeunes de milieux populaires interpellent le monde des adultes. Bien souvent, la peur, l’incompréhension, ou tout simplement l’ignorance dominent ces rencontres ratées. Et si l’analyse communément faite à propos des jeunes est biaisée par l’incapacité de lire leur comportement autrement que dans le cadre d’une image préétablie de la jeunesse, de la culture, du citoyen ?

Notre société est dans une période de crise et de transition, entre une décomposition et une recomposition. Le logement social, les évolutions technologiques, le développement de la télévision, la parcellisation du travail, le chômage ont profondément modifié les structures de la classe ouvrière et bouleversé ses valeurs. Des antagonismes y voient le jour : jeunes-vieux, français-émigrés, hommes-femmes. L’échec scolaire et la rareté des emplois conduisent le plus souvent à l’exclusion des jeunes. Certains gardent de leurs stages en entreprise le souvenir d’être considérés comme concurrents plutôt que comme collègues.

Bousculant les idées reçues, Saïd souligne que le travail tient une place centrale parce qu’il a été pour les générations précédentes un facteur essentiel de la socialisation, parce que ces jeunes ont hérité de leurs parents le sens de l’utilité sociale, de l’effort, de l’honnêteté. Même si beaucoup de facteurs empêchent de vivre concrètement cette valeur : dépendance économique vis-à-vis de la famille, auto-dévalorisation, etc.

Ainsi, d’après l’auteur, les jeunes ne rendent pas le monde de l’entreprise responsable de leur situation. En revanche, ils remettent en cause l’État et ses intervenants (travailleurs sociaux, police...), notamment l’école, qui ne les a pas préparés à une profession et à l’évolution des emplois réels.

« Dans les incohérences et les paradoxes de leurs comportements [...], ils appellent des changements qu’ils ne peuvent ni décrire précisément ni définir seuls. » Ils ne veulent pas être des victimes passives, mais des acteurs de la cité. Comment ?

Dans le modèle actuel, la citoyenneté n’est exercée que lorsqu’on est adulte ; elle implique une représentation et une délégation de pouvoir, par un vote, à des spécialistes ou politiciens professionnels. Sans remettre en cause le principe de l’égalité, l’auteur fait des propositions pour des citoyennetés diversifiées qui s’exerceraient dans le quotidien et au plan social. Il faut, par conséquent, reconnaître que la citoyenneté n’est pas un savoir ou un savoir-faire à enseigner à des « mineurs à éduquer », que celle-ci exige une pratique précoce, à l’école par exemple, et une expérience concrète permettant une prise de conscience de la « chose publique. »

Malgré un vocabulaire déroutant dans sa deuxième partie, dû sans doute au mélange délicat entre rigueur de sociologue et passion de militant associatif, « De la galère à la citoyenneté », qui n’est ni misérabiliste ni idéaliste, apporte un point de vue novateur. Il nous fait comprendre le pourquoi de la « galère », et nous invite à prendre au sérieux cette remarque d’un jeune : « La société aime la jeunesse mais n’aime pas les jeunes ».

Jean-Jacques Boureau

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