Ivan Stoliaroff, Un village russe

Coll. Terre humaine, Plon, Paris, 1992, 440 pages

Catherine Firdion

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Ivan Stoliaroff, Un village russe, Coll. Terre humaine, Plon, Paris, 1992, 440 pages

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Catherine Firdion, « Ivan Stoliaroff, Un village russe », Revue Quart Monde [En ligne], 151 | 1994/3, mis en ligne le 20 mai 2020, consulté le 16 avril 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/8993

L’ouvrage est composé de deux parties. La première contient le témoignage inédit d’un paysan russe, Ivan Stoliaroff, "fils d’un paysan pauvre de l’un des plus pauvres villages, du plus pauvre district de la province de Voronej, à quelque 500 Km au sud de Moscou : Karatchoune."

Fidèles à leurs traditions et aux préceptes de la religion orthodoxe, les habitants de Karatchoune, illettrés pour la plupart, obstinément attachés au « mir » (communauté villageoise) restent à l’écart du progrès technique. Stoliaroff, né en 1882, partage leurs croyances simples et leurs travaux jusqu’au jour où il va être admis dans une école d’agriculture. Non violent, il n’admet pas la chasse que les « cent noirs » font aux révolutionnaires dans les campagnes, pas plus qu’il n’admet les brimades et les violences que font subir, à l’école, les garçons de la ville.

Epris de justice, il nous fait découvrir la misère du peuple des campagnes et le puissant mouvement de justice sociale, avorté en 1905, précurseur de la grande révolution d’octobre 1917. Il passe de la révolte à la révolution. Arrêté et libéré provisoirement, il se consacre à la propagande en faveur de l’Union des paysans russes dont il est un des fondateurs. Arrêté une seconde fois et libéré par les paysans, il doit s’exiler définitivement en France, où le petit paysan analphabète deviendra ingénieur agronome et où il mourra en 1953.

La deuxième partie du livre est constituée de quatre autres témoignages : d’un paysan, d’un prêtre orthodoxe, d’un médecin de campagne, d’un secrétaire de tribunal. Ces récits de la même époque et de la même région donnent une image à la fois plus complète et plus contrastée de la paysannerie russe : misère, faim, humiliations avec châtiments corporels, crasse, violence, mortalité infantile...

Enfin suivent, en complément, quatre études de Pierre Pascal, témoin inégalé de la Révolution russe, de 1917 à 1927, qui s’interroge sur la civilisation paysanne et la révolution soviétique dans les campagnes. Son analyse du drame russe nous renvoie à l’actualité économique européenne.

Depuis quelques années, la politique du GATT, relayée par la Commission européenne, a pour conséquence la disparition progressive des exploitations agricoles de type familial tel qu’il en existe en France, en Italie, en Belgique et en Allemagne... C’est ainsi qu’on assiste à la mise à mort d’une vie rurale et de sa sagesse.

« Il fallait lutter contre les hommes qui avaient créé et soutenaient des conditions de vie anormales et injustes. Il fallait détruire le système sur lequel cet ordre légal reposait. Combattre ces hommes et supprimer les injustices, ce n’était possible qu’en inculquant aux masses l’idée qu’il était nécessaire de lutter ensemble, en formant des groupes révolutionnaires. J’étais arrivé à cette conclusion en se fondant sur ma propre expérience de la vie. Il était nécessaire de poursuivre un travail actif au sein du peuple pour que hommes et femmes prennent conscience de leurs droits, indépendamment de leur lieu de naissance et du milieu auquel ils appartenaient. » (p. 192)

De vraies questions se posent alors à la lecture de ce témoignage capital. Face à la montée de la pauvreté, à quoi sert le progrès technique s’il n’est pas inspiré par un dessein spirituel ? Un nouveau contrat social est à inventer où comme le rappelle le Mouvement ATD Quart Monde, chaque citoyen, en priorité le plus démuni, ait sa place.

Catherine Firdion

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