Maurice Bellet, La seconde humanité : de l’impasse majeure de ce que nous appelons l’économie

Éd. Desclée de Brouwer, Paris, 1993,215 pages

Jean Guinet

Bibliographical reference

Maurice Bellet, La seconde humanité : de l’impasse majeure de ce que nous appelons l’économie, Éd. Desclée de Brouwer, Paris, 1993,215 pages

References

Electronic reference

Jean Guinet, « Maurice Bellet, La seconde humanité : de l’impasse majeure de ce que nous appelons l’économie », Revue Quart Monde [Online], 156 | 1995/4, Online since 20 May 2020, connection on 28 March 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/9024

Selon Maurice Bellet, l’économie est une machine folle qui conduit à la ruine de l’humanité. Elle est folle parce que dirigée par des « maîtres » non pas au service de l’humanité mais au service du « Maître des maîtres » qui est le désir des masses.

L’« éco-règne » - c’est ainsi que Maurice Bellet appelle l’économie - est construit comme un système, en expansion indéfinie, de production d’objets répondant au désir entretenu des masses. La simple survie du système exige son développement permanent. Les publicitaires en sont les agents les plus efficaces, qui stimulent le désir des futurs consommateurs selon la formule exemplaire : « Si vous en avez envie, dites que vous en avez besoin ! » (Publicité de Saupiquet).

En outre, l’économie est totalitaire en ce qu’elle ne donne la parole qu’aux décideurs et aux compétents. Elle ne pense pas son rôle mais elle montre son évidence et sa puissance comme si rien de plus haut n’existait.

La domination de l’économie conduit donc à l’impasse complète de l’oppression généralisée, par l’exclusion comme par l’exploitation : l’oppression s’exerce à l’intime de l’homme ; elle pèse sur tous ; elle se donne, perversement, comme l’inverse. Il serait donc ici beaucoup trop simple d’imaginer une répartition des humains entre oppresseurs et opprimés. Bien entendu cette opposition existe ! Elle n’est que trop manifeste. Mais elle reste seconde par rapport à une opposition bien plus fondamentale : tous sont sous la même loi. La coupure décisive passe en chaque être humain.

Comment sortir de cette folie ? L’auteur distingue trois grands « possibles » : accepter l’ordre du monde ; se retirer en deçà, le refuser ; passer au-delà, le dépasser. C’est en empruntant ce « troisième possible » (qui, en un sens, renvoie l’homme à lui-même, sans protection ni soumission) que nous pouvons nous libérer de 1’ « éco-règne ». C’est une nouvelle naissance de (et à) l’humanité. Cette « seconde humanité », dans la reprise de possession de la liberté individuelle, ne se confond absolument pas avec l’individualisme. Au contraire, cette rupture radicale s’opère dans le respect de l’homme tel qu’il est. Elle implique la recherche du « consensus majeur » qui ne peut être que dans la relation effective entre les humains, dans le respect qu’ils ont les uns pour les autres, dans l’écoute réciproque, et une écoute qui accueille même ce qu’elle ne comprend pas, ce que l’écoutant ne peut pas faire entrer dans sa façon de voir.

En pratique, dans le monde réel, l’action peut s’exercer à trois niveaux : dans l’ensemble existant, mais alors il faut prendre garde aux contradictions entre le court terme souhaitable - par exemple un emploi pour tout le monde - et le long terme recherché - par exemple la diminution de la place du travail ; dans les interstices, entre autres dans le monde associatif ; dans la marge, où toute initiative créatrice peut contribuer au progrès et engendrer l’inédit.

Ce livre est la dénonciation vigoureuse d’un économisme étroit qui reste malheureusement la pratique la plus répandue. Il est aussi un plaidoyer particulièrement stimulant pour une société qui donne priorité à l’humanité dans les actions humaines.

On peut se demander cependant si l’économie ne peut vraiment être remise à sa place au service de la société qu’en se sabordant. La construction conviviale d’une humanité solidaire dépend de nous tous, les citoyens. Et nous ne sommes pas obligatoirement condamnés à être les esclaves inconscients de nos désirs de consommation.

Notre « désir » peut aussi être plus exigeant que le simple « désir mimétique » - au sens de René Girard - des choses et des gens. Il peut être désir de construire, avec l’Autre, une humanité de plus en plus humaine. Et il peut devenir communicatif.

Jean Guinet

By this author

CC BY-NC-ND