Evaluation au Canada

Monique Morval and Benoît Reboul Salze

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Monique Morval and Benoît Reboul Salze, « Evaluation au Canada », Revue Quart Monde [Online], 202 | 2007/2, Online since 05 November 2007, connection on 23 April 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/911

Chargé d’organiser le séminaire international consacré au 17 octobre en mai 2006 à Montréal, le Mouvement ATD Quart Monde, pour s’y préparer, a entrepris une évaluation de la célébration de cette journée au Canada

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Canada

Dès le 17 octobre 1987, des individus et des organismes se sont mobilisés. Depuis, chaque année, des thèmes et des gestes symboliques sont proposés et adaptés à la réalité des groupes et des régions et cherchent à donner la parole aux personnes en situation de pauvreté. Ce sont beaucoup d’organismes de quartiers avec les habitants qui prennent en main ces propositions et organisent des rassemblements très divers : des marches, des forums, des cafés rencontres... Ils sont de plus en plus nombreux et ont gagné progressivement tout le Québec, puis l’ensemble du Canada. La responsabilité de cette journée devient progressivement collective.

Le 17 octobre s’ancre dans une réalité historique : beaucoup des personnes qui se mobilisent ont elles-mêmes connu la pauvreté à un moment ou à un autre de leur existence. Le 17 octobre s’appuie également sur l’engagement pour le respect des droits de la personne porté par tous les citoyens et qui se formalise dans la Charte québécoise des droits et libertés de la personne (1975) ainsi que dans la Charte canadienne des droits et libertés (1982).

Les liens entre l’histoire du pays et les objectifs de cette journée, symbolisés par la phrase gravée sur la place du Trocadéro (Paris), se font de façon très naturelle et très forte.

Face à cette mobilisation de plus en plus grande, le Mouvement ATD Quart Monde a été amené à organiser chaque année, depuis 2002, une rencontre d’évaluation réunissant les différents acteurs de ces manifestations, du Québec d’abord et depuis 2005 s’y joignent des représentants d’autres provinces du pays.

Un approfondissement

En 2005-2006, avec le soutien d’un comité scientifique, composé de deux professeurs de l’Université de Montréal1 et de deux membres d’ATD Quart Monde, une démarche d’approfondissement a été entreprise pour chercher à comprendre l’impact de cette journée dans l’ensemble de ce vaste pays, qui comprend dix provinces et trois territoires avec des histoires, des cultures et des langues différentes.

A cette fin, un questionnaire a été diffusé très largement auprès de personnes et de groupes qui se mobilisent pour le 17 octobre, puis trente quatre entretiens ont pu être effectués dans six villes (Edmonton, Moncton, Québec, Sherbrooke, Montréal et Joliette) de trois provinces (Alberta, Nouveau-Brunswick et Québec). Ils ont été transcrits intégralement2. Par ailleurs ont été pris en compte l’ensemble des témoignages (plus de 200) recueillis depuis les premières années où la journée a été célébrée au Canada.

Suite à une première analyse des entretiens réalisés, une série de conférences téléphoniques en français, en anglais puis bilingue ont réuni les différentes personnes ayant participé au processus d’évaluation, afin de valider les premières constatations et d’ajouter des éléments considérés comme manquants.

Le rapport définitif, rassemblant les diverses analyses, a été rédigé par la suite et mis à la disposition des délégués au séminaire international du mois de mai 2006. Il est toujours disponible.

Quelques points forts

De nombreuses personnes, en particulier celles vivant en situation de pauvreté, disent l’importance d’une telle journée et ce qu’elle signifie pour elles (honneur, dignité, prise de parole, sortie de l’isolement, libération...) Pour celles qui prennent des responsabilités dans l’organisation de l’événement, pour celles qui témoignent, l’expérience est extrêmement forte et leur donne de l’assurance par la suite.

Pour l’ensemble de la société, la rencontre, la participation des personnes en situation de pauvreté, leurs témoignages, donnent beaucoup de force à la journée et permettent une prise de conscience. Certaines villes ont reconnu officiellement la journée ; des déclarations sont faites dans des parlements provinciaux.

Pour que les messages touchent, il faut qu’ils partent du cœur, qu’ils parlent de dignité, de courage, de générosité, d’espoir. Il faut qu’il y ait une vraie rencontre entre des personnes en situation de pauvreté et des personnes d’autres milieux sociaux.

À long terme, beaucoup espèrent que ces premiers pas conduiront à un changement de l’ensemble de la situation, un changement dans la société. Le 17 octobre procure en effet une force, individuelle et collective, pour poursuivre et s’engager dans la lutte contre la misère et la pauvreté. Il apporte une sensibilisation aux questions de pauvreté, une connaissance des réalités vécues et des véritables aspirations des personnes pauvres.

Toutes les personnes rencontrées insistent sur l’importance de cette journée et estiment essentiel qu’elle continue à être pensée et organisée en partenariat avec les personnes pauvres. Le 17 octobre est aussi une journée de sensibilisation et de mobilisation. Dans cette optique, la participation d’autres citoyens, des groupes communautaires, des syndicats, des instances de décision... est fondamentale.

Plusieurs souhaitent que cette journée constitue une trêve, qui permette d’une part de faire le point, de montrer ce qui a été fait durant l’année, d’exiger des comptes sur les engagements pris à tous les niveaux, et d’autre part de s’arrêter pour penser, méditer, prendre des forces pour aller plus loin et faire avancer la société.

Conclusion

À l’issue de cet exercice d’évaluation, il est frappant de constater que le 17 octobre est un puissant outil de rassemblement et de mobilisation à travers le Canada, aussi bien pour les personnes qui vivent la pauvreté, que pour celles qui leur sont solidaires et pour les organismes qui luttent à leurs côtés.

Le colloque de conclusion du séminaire international qui s’est tenu à la Bibliothèque nationale du Québec le 26 mai 2006 a rassemblé deux cent trente personnes. Il a permis de renforcer la dynamique de la Journée mondiale du refus de la misère. Déjà des partenariats avaient été créés, d’autres se sont ajoutés au cours de cette démarche d’évaluation, entre autres avec Amnesty international (directement suite à cette journée), le mouvement Make poverty history, Chairos, Campagne 2000, le Collectif pour un Québec sans pauvreté, la Fédération des femmes du Québec, des syndicats, etc. A cela s’ajoute la mobilisation des personnes dont certaines ont été sensibilisées à travers d’autres moyens que ce réseau avec ATD Quart Monde, notamment le site internet international du 17 octobre. Tous s’entendent pour souligner l’importance de ne pas rester isolé dans son coin ou sa région, au risque de s’essouffler.

« Il faut être conscient que nos problèmes touchent l’ensemble de la société. Nos témoignages dérangent les fonctionnaires, ça touche nos vies, ça touche aussi la leur. Si on est conscient que ça touche la société, ça touche aussi la loi, ça fait avancer, il faut porter ça plus haut. »

« Que le 17 octobre ne soit pas détaché de changer les conditions de vie... Le 17 octobre doit être la fête de la détermination à être plus fort que la fatalité. »

« Si tous les regroupements sensibilisent leurs troupes, elles vont sensibiliser les gens autour d’eux, qui n’ont pas nécessairement la malchance de vivre en situation de pauvreté, qui ont des pouvoirs de parole... si tous les mouvements le font le 17 octobre, dans une même journée, qu’on soit en même temps partout, là il y a une force. »

Les journées annuelles d’évaluation nationale se révèlent donc primordiales pour soutenir l’engagement de tous et toutes. Elles se tiennent en deux langues maintenant, ce qui leur donne une forte originalité dans le contexte du pays : l’engagement contre la pauvreté fait chuter les barrières.

De l’avis des personnes impliquées dans cette dynamique, qui l’ont redit lors de la journée nationale d’évaluation du 25 janvier 2007 : le 17 octobre, pour garder sa force d’impact, doit rester lié à d’autres actions durant le reste de l’année. Cette journée est le rendez-vous public d’une démarche quotidienne le plus souvent discrète et silencieuse, elle en est le résultat mais elle est aussi à la source de commencements ou de nouvelles étapes.

1 Christopher McAll, du département de sociologie, et Pascale Dufour, du département de sciences politiques.
2 Ces entretiens ont été réalisés et transcrits par Hélène Rozet, JeanBouchard et Diego Arizala (volontaires-permanents du Mouvement ATD Quart Monde)
1 Christopher McAll, du département de sociologie, et Pascale Dufour, du département de sciences politiques.
2 Ces entretiens ont été réalisés et transcrits par Hélène Rozet, JeanBouchard et Diego Arizala (volontaires-permanents du Mouvement ATD Quart Monde)

Monique Morval

Benoît Reboul Salze

Mère et grand-mère, Monique Morval, retraitée, a été professeur en psychologie de la famille à l’Université de Montréal. Elle est aujourd’hui présidente d’ATD Quart Monde/Canada, dont elle est membre depuis 1982. Benoît Reboul-Salze, volontaire depuis dix neuf ans, a été coresponsable du Mouvement dans ce pays (2001-2006)

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