Binka Le Breton, Le piège, Les esclaves d’aujourd’hui

Ed. du Cerf, Paris, 2003, coll. L’histoire à vif, 335 p.

Clémence Boyer

Bibliographical reference

Binka Le Breton, Le piège, Les esclaves d’aujourd’hui, Ed. du Cerf, Paris, 2003, coll. L’histoire à vif, 335 p.

References

Electronic reference

Clémence Boyer, « Binka Le Breton, Le piège, Les esclaves d’aujourd’hui », Revue Quart Monde [Online], 190 | 2004/2, Online since 01 October 2004, connection on 28 March 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/9215

L’auteur, Brésilienne, est ancienne pianiste et professeur d’anglais en divers pays. Depuis 1989, dans la forêt amazonienne avec son mari, elle a entrepris une série d’enquêtes « sur le vif » et d’entretiens pour dépister l’esclavage de travailleurs ruraux brésiliens, saisonniers, mais tombés dans un « piège » en pleine forêt amazonienne, les difficultés d’organismes sociaux et fédéraux pour les libérer, l’immunité presque totale de leurs employeurs « bourreaux ».

Ces travailleurs agricoles, sans ressources et sans terre mais souvent avec une famille à charge, se laissent attirer par des promesses de salaires importants pour aller défricher des forêts tropicales dans les Etats de Parâs, du Mato Grosso et de Maranhâo surtout. Les recruteurs à la solde de grands fermiers, leur offrent transport, outils, nourriture et même avance de salaires - le tout devant être remboursé, avec majoration, sur leurs salaires en diminution. Cet endettement les lie, à cause de leur sens de l’honneur, de la peur, des menaces, de l’isolement, à leurs conditions serviles de travail très pénible. Ils endurent en effet les nuisances de la forêt tropicale : chaleur, boue, insectes, paludisme, doublées par le manque d’hygiène, de routes, et par la présence de gardes armés qui les surveillent et n’hésitent pas à les abattre en cas de fuite, à les faire disparaître, les corvées finies. Sans doute, les recruteurs font preuve de plus ou moins d’honnêteté, tant à leur égard qu’à celui de leurs patrons absents.

Mais tous se dérobent aux poursuites judiciaires : les victimes par peur et perte du sens de leur dignité humaine, minées par l’alcool, les pulsions agressives ou les plaisirs faciles ; les recruteurs qui déplacent les travailleurs des chantiers, en cas d’alerte et se retranchent derrière l’avarice de leurs patrons. Ceux-ci au contraire s’indignent du comportement de leurs subalternes (comme un directeur d’une ferme modèle financée par une grande firme étrangère) et menacent de chômage en cas d’application de lois tatillonnes. D’autres profitent des saisonniers, tout en leur ménageant un peu de chaleur humaine, entre deux chantiers : les tenancières de pensions, de bars, où sévit l’esclavage de filles entraînées aussi par l’appât du gain à la prostitution et à la drogue.

Pourtant, une lutte héroïque car dangereuse contre cet esclavage des « peoes » est engagée, depuis les années 1970, d’abord par l’Eglise, avec les communautés de base ; puis par les autorités fédérales, qui envoient sur les sites des groupes mobiles d’inspecteurs du travail, assistés de policiers (mais contestés par les autorités locales et les gros fermiers qui en 2002 ont obtenu l’exclusion des policiers fédéraux, c’est-à-dire encore plus d’immunité) ; enfin par le Mouvement des sans terre, surtout à la suite du projet de mise en valeur de l’Amazonie, en 1985, accaparée par des gens d’affaires, au mépris des agriculteurs qui commençaient à défricher et cultiver, et campent désormais à côté pour résister ; enfin par des syndicats de travailleurs ruraux, des associations internationales et des familles de victimes qui s’obstinent à rechercher fils, maris disparus ou à récupérer des salaires.

Ce procès en règle de l’esclavage actuel se fonde sur une authentique instruction, investigation vécue, lucide et documentée au point de vue historique, politique et psychologique.

Clémence Boyer

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