Mères et enfants en prison dans le monde

Megan Bastick

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Megan Bastick, « Mères et enfants en prison dans le monde », Revue Quart Monde [Online], 193 | 2005/1, Online since , connection on 18 April 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/933

Les Quakers, sont engagés depuis toujours dans les questions relatives à la justice pénale et aux droits de l’homme. Ils sont l’une des voix qui expriment, aux niveaux nationaux, régionaux et internationaux leur préoccupation par rapport au nombre croissant de femmes en prison et à la situation des bébés et des enfants des mères emprisonnées. Le texte qui suit est basé sur un rapport publié en juillet 2004, “ Femmes en prison et enfants des mères emprisonnées ” [Women in Prison and Children of Imprisoned Mothers], disponible en anglais dans sa version intégrale à l’adresse http://www.geneva.quno.info/.

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Prison

Ces dix dernières années, nous avons assisté à une explosion du nombre de femmes en prison. L’évolution de la jurisprudence et l’adoption de lois répressives ont entraîné une augmentation significative de l’emprisonnement de jeunes filles mineures pour des délits en lien avec la drogue, et pour leur incapacité à payer des amendes ou des factures. Alors que les femmes sont minoritaires dans la population carcérale dans la plupart des pays (la moyenne est de 4%), on observe que dans plusieurs pays le taux d’emprisonnement des femmes a progressé beaucoup plus rapidement que celui des hommes. En Espagne, par exemple, le nombre de femmes en prison a augmenté de 800 % entre 1980 et 1994. Au Royaume-Uni, ce même taux a plus que doublé entre 1995 et 2000.

Cette explosion de l’incarcération des femmes a eu un impact considérable sur les conditions de leur enfermement. Un système pénal pensé pour les hommes ne réussit pas à prendre en considération les besoins propres aux femmes, et ne réussit pas non plus à répondre aux besoins d’une société confrontée à la criminalité féminine. Plus important peut-être, le système pénal ne parvient pas à prendre en compte les besoins des milliers d’enfants dont la maman est emprisonnée.

Avant qu’elles n’entrent en prison, les femmes étaient souvent les seules personnes à prendre soin de leurs jeunes enfants. Leur emprisonnement disloque leurs familles et leurs communautés. Dans la prison de Sao Paolo, 87 % des femmes en prison sont des mères et la moitié d’entre elles étaient le gagne-pain principal de leur famille avant leur arrestation. Aux Etats-Unis, 80 % des femmes en prison sont mères de famille dont les trois quarts ont des enfants de moins de 18 ans.

Les enfants derrière les murs

Quand une mère est emprisonnée, son bébé ou son jeune enfant reste le plus souvent à l’extérieur. Dans plusieurs pays, cependant, une maman peut être autorisée à emmener un voire plusieurs de ses enfants en prison avec elle. Les pratiques varient considérablement d’un pays à l’autre : ici, comme en Islande, on autorisera la présence d’un enfant seulement pendant ses premiers mois, jusqu’au moment du sevrage ; là, comme en Espagne, leur présence sera tolérée jusqu’à l’âge de 6 ans.

Faut-il permettre ou non cette présence des enfants auprès de leurs mères en prison ? Les arguments sont contrastés. D’un côté, séparer un jeune enfant de sa mère peut être la source d’un traumatisme émotionnel sérieux très nuisible à l’enfant. De l’autre, la prison n’est pas le lieu le plus adéquat pour le développement physique, mental et relationnel d’un jeune enfant. Dans la plupart des prisons pour femmes, les conditions sont effroyables : surpopulation, manque de nourriture adéquate, difficultés d’accès à l’eau et à tout ce dont on a besoin pour assurer une bonne hygiène. L’exemple des Pays-Bas illustre cependant ce qui peut être fait là où se manifeste un vrai engagement des autorités en vue d’offrir les commodités nécessaires aux mères emprisonnées : “ ...les enfants jusqu’à l’âge de quatre ans sont accueillis à Ter Peel... un établissement en plein bois, sans haute muraille et avec un minimum de mesures de sécurité. De ce fait, la plupart des cent deux mamans qui sont passées par ce lieu au cours de ses deux premières années de fonctionnement, sont convaincues que leurs enfants ne se sont pas rendu compte qu’ils séjournaient en prison ”

Mais même lorsque de telles unités spéciales pour les mères et les enfants existent, les recherches démontrent que les capacités des nourrissons en détention au plan psychomoteur ou cognitif déclinent rapidement après quatre mois de détention si on les compare à ceux qui restent à la garde de leurs communautés. Le personnel des prisons et les prisonniers convergent sur ce point : autoriser la présence des enfants en prison ou l’interdire, c’est choisir entre deux “ mauvaises solutions ”.

Selon le rapporteur spécial sur les prisons et les conditions de détention en Afrique, plutôt que d’aménager des facilités pour que les enfants accompagnent leurs mères en prison, il serait préférable de rechercher des formules alternatives à la détention des mères.

Les enfants hors les murs

La plupart du temps, quand une mère de famille est emprisonnée, son enfant perd la première et souvent la seule personne qui prenait soin de lui. C’est plus rare lorsque les pères sont emprisonnés : habituellement, les mères prennent alors soin des enfants. Les données de Human Rights Watch relatives aux enfants des consommateurs ou des trafiquants de drogue incarcérés nous enseignent que 88, 8 % des enfants de pères emprisonnés vivent avec leur mère ou avec un beau-parent. Ils ne sont que 0,7 % à vivre dans des institutions publiques. A l’inverse, seuls 20,4 % des enfants de mères emprisonnées vivent avec leur père ou avec un parent.

Qui alors se préoccupe des enfants des mères emprisonnées ? Selon les données disponibles pour une ville comme New York, 51, 2 % de ces enfants vivent avec un de leurs grands-parents, 23, 1 % avec d’autres proches alors que 18, 1 % d’entre eux sont pris en charge dans des institutions. En Grande-Bretagne, environ 14 % des enfants sont pris en charge par leur père ou leurs grands-parents, 24 % par leurs grands-parents, 17 % par des femmes proches de la maman emprisonnée et enfin 8 % par des institutions et agences de l’Etat. Une autre étude britannique révèle que seulement 5 % des enfants de mères en prison parviennent à rester au domicile familial pendant que leur mère exécute sa peine.

Visiter sa mère en prison

Quand un enfant et sa mère sont séparés de force par l’emprisonnement, les visites à la prison sont essentielles au maintien d’une relation entre eux. Cependant il est souvent impossible pour un enfant de rendre visite à sa mère. En effet, les prisons de femmes étant peu nombreuses, elles sont beaucoup plus éloignées du domicile que celles des hommes. Cet isolement géographique cause des problèmes particuliers aux femmes indigènes : elles doivent faire des voyages beaucoup plus longs pour rendre visite du fait de l’éloignement et de l’isolement de leurs communautés, et elles ont, par rapport à d’autres, beaucoup moins accès au téléphone et aux services postaux. Enfin, le maintien de liens avec les enfants est encore plus difficile pour les femmes emprisonnées en dehors de leur pays.

Quand les visites sont possibles, elles ont très souvent lieu dans des conditions qui sont loin d’être adaptées aux enfants : horaires très restrictifs, locaux et parloirs plutôt sordides et encombrés... Souvent, les mesures de sécurité interdisent tout contact physique entre la mère et son enfant. Les interviews de femmes australiennes décrivent à quel point ses visites sans contact physique sont une source de stress pour elles comme pour les enfants : “ Je le voyais à travers une vitre... Il m’entendait mal et je ne pouvais pas le caresser. Il semblait fâché et bouleversé. Je ne voudrais jamais lui imposer cela une nouvelle fois ”. En outre, les visiteurs peuvent être soumis à des fouilles complètes, et beaucoup se sentent offensés par les procédures et par le personnel de la prison.

Des exemples de “ bonnes pratiques ” existent. Aux Etats-Unis, les enfants et les parents peuvent en certains cas passer ensemble un week-end entier : les enfants sont hébergés dans des familles à proximité de la prison et passent toute la journée avec leur maman. Ils peuvent jouer avec elle dans une salle de visite spécialement aménagée à cette fin, spacieuse et remplie de jouets et peuvent aussi participer à nombre d’activités organisées.

Il arrive que les mères ne souhaitent pas recevoir la visite de leurs enfants. Elles ne souhaitent pas que leurs enfants les voient en prison, ou elles trouvent que la séparation que provoque, à chaque fois, la fin de l’heure des visites, est un traumatisme trop grand pour leur enfant comme pour elles-mêmes. Les enfants peuvent être honteux ou en colère contre leur mère dont ils ressentent l’attitude comme une forme d’abandon. Ceci nous amène au cœur de la question : quels droits doivent-ils être privilégiés ? Les droits de la mère à recevoir, comme tout prisonnier, des visites ou le droit des enfants à une vie familiale ? L’emprisonnement des femmes autorise-t-il l’Etat à abroger les droits de leurs enfants ?

Les effets de l’emprisonnement

Enfermer une mère en prison entraîne une série d’effets négatifs sur leurs enfants, leur famille et leur communauté. Chez les enfants dont les parents sont emprisonnés, apparaissent souvent des comportements tels que : “ ... problèmes de santé, comportement hostile et agressif, consommation de drogue ou d’alcool, école buissonnière, fugues, problèmes de discipline, repli sur soi, peurs paniques, incontinence, piètres résultats scolaires, cris, cauchemars, problèmes relationnels, anxiété, dépression et difficultés à se concentrer sur quoi que ce soit. ”

Ces problèmes semblent encore plus aigus lorsque c’est la mère, plutôt que le père, qui est emprisonné. Une étude portant sur 1 766 femmes en prison en Grande-Bretagne démontre que : “ ... 44 % des mères font état de troubles dans le comportement de leurs enfants et 30 % disent que leurs enfants leur sont devenus étrangers. ( De tels problèmes sont encore plus fréquents pour les enfants plus âgés, ceux qui ont été séparés des leurs et placés en institution.) Cela confirme d’autres recherches qui démontrent que les enfants de femmes emprisonnées ont tendance à manifester des troubles émotionnels et comportementaux, alors que les enfants dont le père est emprisonné ne manifestent que des problèmes relativement mineurs.

De telles observations suggèrent que les enfants des mères en prison courent un risque élevé d’être eux-mêmes emprisonnés un jour.

Quand la mère est libérée, il est souvent difficile pour son ou ses enfants de rétablir leurs relations. Au sein d’un groupe de mamans interviewées au Royaume-Uni, 10 % d’entre celles qui avaient vécu avec leur enfant avant de connaître la prison n’espéraient plus qu’elles puissent reprendre cette vie commune après leur libération. Il résulte clairement de tout cela que, trop fréquemment, la condamnation d’une femme à la prison entraîne une rupture complète et souvent définitive de la famille. Ce constat extrêmement négatif pour les femmes et les enfants concernés a aussi des implications négatives pour l’ensemble de notre société.

Une recherche qui se poursuit

Le besoin d’un réel engagement face à ce problème est réel. Pourquoi tant de femmes sont-elles emprisonnées ? Quelles sont les alternatives ? Dans les jugements, quelle priorité est donnée au droit de l’enfant d’avoir des relations avec sa mère ? Un vrai besoin d’analyse de tous les aspects de l’emprisonnement des femmes se fait sentir, et en particulier, l’impact de l’emprisonnement des mères sur leurs enfants, de manière à dégager des pistes pour mieux faire face à cette réalité. Le bureau des Quakers auprès des Nations unies serait heureux des apports que vous pourriez faire au travail qu’il a entrepris sur la situation des mères en prison et de leurs enfants. Si vous avez de la documentation qui peut contribuer au développement de recommandations aux autorités publiques, partagez-les avec nous. Dans le cadre de ce projet, notre bureau conduit une recherche sur le terrain. Des questionnaires destinés à recueillir l’information auprès des prisonniers, des ex-prisonniers, de leurs familles, des visiteurs de prison et des autorités publiques sont disponibles.

Si vous voulez contribuer à cette recherche et avez la possibilité de compléter vous-même de tels questionnaires ou de les diffuser à d’autres, vous pouvez nous contacter à l’adresse quno2@quno.ch.

Megan Bastick

Megan Bastick collabore au bureau des Quakers auprès des Nations unies à Genève.

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