Le maintien des liens familiaux

Commission nationale consultative des droits de l’homme

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Commission nationale consultative des droits de l’homme, « Le maintien des liens familiaux », Revue Quart Monde [Online], 193 | 2005/1, Online since , connection on 25 April 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/938

Le 11 mars 2004, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (France) adoptait une Etude sur les droits de l’homme dans la prison. Voici des extraits du chapitre : “La protection du droit au respect de la vie privée et familiale”.

Index de mots-clés

Famille, Justice, Prison

Les visites au parloir

Les relations familiales des personnes détenues sont placées sous la protection de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. (...)

Les restrictions apportées par les autorités (...) constituent des ingérences qui doivent, dès lors, répondre à un besoin social impérieux et ne pas être disproportionnées au regard des nécessités de l’ordre public invoquées(...) Les organes de la Convention européenne estiment que “ le fait de détenir une personne dans une prison éloignée de sa famille à tel point que toute visite s’avère en fait très difficile peut constituer une ingérence dans sa vie familiale, la possibilité pour les membres de la famille de rendre visite au détenu étant un facteur pour le maintien de la vie de famille ”. L’article 8 astreint d’autre part l’Etat à prendre les mesures nécessaires pour permettre aux intéressés de mener une vie familiale normale. La Cour européenne considère à cet égard qu’il est essentiel “ que l’administration pénitentiaire aide le détenu à maintenir un contact avec sa famille proche ”.

Par ailleurs, la Convention internationale sur les droits de l’enfant énonce que “ dans toutes les décisions qui concernent les enfants (...) l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ”. Par conséquent, les autorités administratives ne doivent pas (...) porter atteinte à l’intérêt supérieur de l’enfant, y compris lorsque ce dernier n’en est pas le destinataire direct. L’autorité parentale, comme le droit pour un enfant à voir ses liens familiaux maintenus avec son parent et à voir celui-ci conserver envers lui une responsabilité effective, sont également protégés. S’agissant de l’enfant privé de liberté, la Convention affirme qu’“ il a le droit de rester en contact avec sa famille par la correspondance et les visites, sauf circonstance exceptionnelle ”.

Le Code de procédure pénale énonce qu’“ en vue de faciliter le reclassement familial des détenus à leur libération, il doit être particulièrement veillé au maintien et à l’amélioration de leurs relations avec leurs proches, pour autant que celles-ci paraissent souhaitables dans l’intérêt des uns et des autres ”. Il prévoit un minimum d’une visite par semaine pour les condamnés et trois pour les prévenus.

Dans la pratique toutefois, “ la réponse de l’administration pénitentiaire face à cet impératif de maintien des liens familiaux paraît, à bien des égards, peu satisfaisante ”. Les proches des détenus se heurtent fréquemment à des “ obstacles matériels souvent démesurés pour des familles défavorisées ”. La difficulté la plus importante à laquelle elles peuvent être confrontées est l’éloignement du lieu de détention. S’agissant des prévenus, ils sont en principe incarcérés dans la maison d’arrêt du ressort du siège de la juridiction saisie de l’affaire pénale. Les condamnés, quant à eux, peuvent être affectés en établissement pour peines sur décision du ministère de la Justice ou d’une direction régionale de l’administration pénitentiaire. Faute de disposition contraignante, le critère du lieu de résidence des proches des intéressés ne revêt qu’une importance relative au regard des considérations de sécurité ou encore des impératifs de gestion de places. La circulaire du 9-12-98 relative aux procédures d’orientation et aux décisions d’affectation des condamnés affirme pourtant que les opérations de transfert en vue de désencombrer un établissement, “ en dépit de l’urgence qui le plus souvent s’y attache, doivent être guidées par le même souci d’individualisation qui prévaut à toute affectation et se fonder, autant que possible, sur le volontariat des personnes concernées. Ainsi, doit être évité le transfert de détenus recevant des visites fréquentes ”.

Le problème de l’éloignement peut également résulter d’un transfert imposé au détenu durant l’exécution de sa peine. Ce type de mesure demeure couramment utilisé à titre de sanction occulte à l’encontre d’individus jugés difficiles. Un responsable syndical indiquait ainsi devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale que l’administration avait pour habitude de “ pratiquer le tourisme pénitentiaire, c’est-à-dire le déplacement des détenus d’un établissement à l’autre ”. Dans la prise de ses décisions (...) l’administration pénitentiaire refuse encore aujourd’hui de recueillir les observations du détenu dans le cadre du débat contradictoire prévu pourtant par la loi du 12-04-00. Dans ces conditions, la situation familiale des destinataires est souvent ignorée par l’autorité administrative. Quel que soit le motif de l’éloignement du proche incarcéré, les coûts des déplacements pour se rendre au parloir peuvent s’avérer très élevés pour les familles. Certaines d’entre elles sont contraintes de parcourir la France entière dans les deux sens pour une visite effective d’une demi-heure.

Parallèlement, l’inaccessibilité d’un certain nombre d’établissements pénitentiaires et les horaires des parloirs peuvent également contraindre les familles à restreindre leurs visites. En maison d’arrêt, il n’est généralement possible de rencontrer les prévenus que durant la semaine (...) Un tiers des prisons ne sont pas desservies par les transports en commun les jours de parloir. Enfin, de fortes disparités se font ressentir dans l’organisation des parloirs selon les établissements. La durée des visites varie fortement d’une prison à l’autre, même de catégorie identique. Quant aux modalités de réservation des parloirs, elles se révèlent souvent fort problématiques (...)

Les conditions fort peu satisfaisantes dans lesquelles les détenus entretiennent actuellement des relations avec l’extérieur rendent indispensable une intervention législative en ce domaine. Il convient de garder à l’esprit que non seulement la famille ne doit pas être frappée par la sanction prononcée contre l’individu incarcéré, mais encore que le maintien des liens familiaux est une donnée essentielle pour le retour dans de bonnes conditions à la société libre. Ainsi que l’a souligné le Comité de prévention de la torture du Conseil de l’Europe (CPT), “ permettre aux détenus de maintenir des relations affectives avec leurs proches contribuerait à préserver leur bien-être psychologique et, partant, à alléger la tension inhérente à la privation de liberté, en particulier lorsque celle-ci se prolonge ”. Aussi bien, “ le principe directeur en cette matière devrait être de promouvoir le contact avec le monde extérieur ; toute limitation de tels contacts devrait être fondée exclusivement sur des impératifs sérieux de sécurité ou sur des considérations liées aux ressources disponibles ” (...).

L’enfant d’un parent détenu

Concernant l’ensemble des dispositions relatives au maintien des liens entre parents détenus et leurs enfants, l’intérêt de ces derniers doit prévaloir sur toutes autres considérations. Cette préoccupation doit être présente à l’esprit du législateur d’autant que “ chaque année, plusieurs dizaines de milliers d’enfants, entre 70 et 80 000, sont confrontés à la séparation imposée par la détention d’un de leurs parents ”. En outre, l’incarcération des parents de jeunes mineurs, et particulièrement des mères de mineurs de cinq ou six ans, doit être exceptionnelle et, conformément aux recommandations européennes, limitée aux situations où la mère est considérée comme dangereuse pour son enfant ou lorsqu’elle a porté atteinte à ses propres enfants. La séparation de la mère et de l’enfant ne doit plus être fixée à l’âge de dix-huit mois, mais étendue, comme dans d’autres Etats, à trois ans, et être très progressive.

L’accès au téléphone

Aujourd’hui, seuls les condamnés détenus en établissement pour peines peuvent téléphoner. La périodicité des communications autorisées est en théorie d’une fois par mois dans les centres de détention et exceptionnelle dans les maisons centrales. L’usage s’est cependant répandu de permettre aux détenus de téléphoner au moins une fois par semaine dans ces deux catégories d’établissements, même si les chefs d’établissement tendent actuellement à revenir sur cette tolérance. Pour le reste (...) la pratique est fort variable selon les sites. Dans un certain nombre, les détenus peuvent téléphoner presque sans limitation. Dans d’autres, quelques-uns bénéficient d’un traitement de faveur vis-à-vis de l’ensemble de leurs codétenus.

En revanche, les détenus des maisons d’arrêt n’ont pas la possibilité de téléphoner. Cette interdiction est une exception au regard des situations généralement en vigueur en Europe. A quatre reprises, le CPT a demandé aux autorités françaises de revenir sur cette interdiction. Il “ considère que le refus total de contact téléphonique est inacceptable, notamment à l’égard des détenus qui ne reçoivent pas de visites régulières de membres de leur famille, à cause de la distance séparant celle-ci de la prison ”. Il relève également “ qu’une telle approche s’éloigne de celle suivie dans d’autres pays européens ” (...).

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