Simone Weil, Réflexion sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale

Gallimard, Folio-Essais, 1998, 150 pages.

Daniel Fayard

Bibliographical reference

Simone Weil, Réflexion sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale, Gallimard, Folio-Essais, 1998, 150 pages.

References

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Daniel Fayard, « Simone Weil, Réflexion sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale », Revue Quart Monde [Online], 172 | 1999/4, Online since 26 May 2020, connection on 20 April 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/9449

C’est à l’âge de 25 ans, après son agrégation de philosophie en 1931 et juste avant son engagement comme ouvrière chez Renault (1934-1935), que Simone Weil a écrit ces « Réflexions ».

Les voici donc rééditées. Elles permettront au lecteur de mesurer l’acuité du regard critique avec lequel cette femme exceptionnelle a analysé son temps, une époque désertée par l’esprit révolutionnaire et privée d’avenir, où l’angoisse tient lieu d’espérance. Le tableau qu’elle en dresse d’entrée de jeu n’est pas dénué de signification pour notre propre génération.

« La période présente est de celles où tout ce qui semble normalement constituer une raison de vivre s’évanouit, où l’on doit, sous peine de sombrer dans le désarroi ou l’inconscience, tout remettre en question. Que le triomphe des mouvements autoritaires et nationalistes ruine un peu partout l’espoir que de braves gens avaient mis dans la démocratie et dans le pacifisme, ce n’est qu’une partie du mal dont nous souffrons ; il est bien plus profond et bien plus étendu. On peut se demander s’il existe un domaine de la vie publique ou privée où les sources mêmes de l’activité et de l’espérance ne soient pas empoisonnées par les conditions dans lesquelles nous vivons. Le travail ne s’accomplit plus avec la conscience orgueilleuse qu’on est utile, mais avec le sentiment humiliant et angoissant de posséder un privilège octroyé par une passagère faveur du sort, un privilège dont on exclut plusieurs êtres humains du fait même qu’on en jouit, bref une place. »

Aujourd’hui comme hier, de quelle liberté dispose l’individu quand les conditions de vie l’assaillent comme autant d’oppressions et de servitudes ? Que ce soient celles de la nature ou des autres hommes, celles de la production ou de la collectivité, celles de l’ignorance ou de la science, celles des pouvoirs ou des superstitions !

La liberté est à rechercher du côté de la pensée, méthodique et rationnelle, qui offre une autre représentation des réalités sociales et ouvre de la sorte des portes pour l’action. Car la liberté véritable se définit par un rapport viable entre la pensée et l’action. Elle est un idéal inatteignable en lui-même mais, à la différence du rêve, aux prises avec le réel. A contrario, « un homme serait complètement esclave si tous ses gestes procédaient d’une autre source que sa pensée ».

150 pages d’une réflexion continue, à peine scandée par quelques titres : (Critique du marxisme ; analyse de l’oppression ; tableau théorique d’une société libre ; esquisse de la vie sociale contemporaine). On prendra plaisir à les lire, à condition toutefois de s’y atteler avec une attention soutenue et, surtout peut-être, avec la même passion que celle de l’auteur : celle de celui qui cherche à appréhender ce qui le rend libre au cœur même de ce qui l’opprime. (Daniel Fayard)

Daniel Fayard

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