André Vexliard, Le clochard

Editions Desclée de Brouwer, 1998 (1ère édition 1957), 493 pages. Texte présenté par Laurent Mucchielli. Préface de Xavier Emmanuelli.

Daniel Fayard

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André Vexliard, Le clochard, Editions Desclée de Brouwer, 1998 (1ère édition 1957), 493 pages. Texte présenté par Laurent Mucchielli. Préface de Xavier Emmanuelli.

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Daniel Fayard, « André Vexliard, Le clochard », Revue Quart Monde [En ligne], 170 | 1999/2, mis en ligne le 27 mai 2020, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/9481

Comment ne pas se réjouir de cette réédition de la thèse de doctorat d’Alexandre Vexliard, oeuvre de référence aujourd’hui encore pour appréhender le monde de la misère, d’autant plus qu’elle est introduite par une remarquable présentation en 60 pages de Laurent Mucchielli. Ce dernier a su restituer l’originalité de cette approche, la personnalité de son auteur (1911-1997) et le combat qui a été le sien pour changer le regard de la société et des sciences humaines sur « le clochard ».

Son étude repose sur des entretiens individuels dans un contexte « libre » (dans la rue ou dans l’arrière-salle d’un café). Il a recueilli ainsi des centaines d’histoires de vie (une soixantaine seulement sont restituées et analysées), beaucoup plus riches pour comprendre que tous les tests dits de personnalité. Il montre que la population des clochards ne forme pas un groupe social homogène, distinguant le vagabondage d’origine sociale de celui où prédominent des aspects plus personnels, voire des déficiences psychologiques. Décrivant les processus de désocialisation, il met en valeur les qualités d’ajustement des personnes (même si elles apparaissent à certains asociales, voire antisociales), mais aussi l’ambivalence de la société qui manie alternativement répression et assistance au nom de la valeur travail ou du culte de la liberté : ce sont moins les handicaps que les réactions de l’entourage aux handicaps qui entraînent l’individu dans la désocialisation. « Le soutien social d’une part, l’absence de ce soutien d’autre part conservent un rôle prépondérant dans la destinée de la plupart des hommes » (page 322).

Remettant en cause des catégories utilisées habituellement par des psychiatres et des psychologues qui ont tendance à enfermer les individus dans une conception pathologique de la déviance, cette thèse ne fit pas l’unanimité en Sorbonne alors qu’elle fut saluée par certains commentateurs comme “ faisant honneur à l’université ”. Par sa tentative inédite de construction d’un modèle psychosociologique de la personnalité, Alexandre Vexliard a été un pionnier en ce sens qu’il a donné une clef d’interprétation et d’action, concernant au-delà du clochard la lutte contre la misère elle-même : la qualité de l’interaction individu-société.

« Le clochard, lui, est seul sur le chemin de la vie » (page 151). « Il a été privé, non seulement de nourriture et d’abri, mais aussi de justice et d’affection ; il a été non seulement privé, mais aussi rejeté » (page 415). « Ce n’est pas tant Joachim qui dispose de moyens limités, ce sont les moyens d’utilisation des individus par la société qui sont enfermés dans des limites étroites » (page 354). « Si l’on veut s’attaquer à ce problème sur le plan pratique, c’est par le développement des besoins qu’il faudrait commencer et non par la rééducation à l’effort » (page 427). « Ce qui fait le clochard, c’est le fait de n’avoir personne à aimer » (page 465).

Daniel Fayard

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