Jeunes, entre rejet et sursaut communautaire

Péguéwendé Savadogo

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Péguéwendé Savadogo, « Jeunes, entre rejet et sursaut communautaire », Revue Quart Monde [Online], 193 | 2005/1, Online since , connection on 28 March 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/984

La prison souligne un acte négatif et il est très facile, pour l’opinion publique, d’indexer un jeune qui est en prison, d’humilier sa famille et de l’exclure définitivement d’une possible réinsertion dans la communauté au sein du village après sa libération. Seul un sursaut communautaire est salvateur.

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Prison

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Burkina Faso

Mon expérience, comme visiteur agréé auprès des mineurs de la maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO) depuis 1989, m’enseigne que chez les jeunes plus que chez d’autres, un séjour carcéral peut créer une rupture avec la famille et la communauté. Selon les personnes, il peut conduire à un rejet encore plus accentué ou signifier un possible sursaut communautaire alors salvateur. La prison souligne un acte négatif et il est facile de ne voir toute la vie du jeune qu’à travers son délit. Cela s’ajoute souvent à l’échec scolaire et/ou la précarité sociale des parents. La plupart de ces jeunes ont dû quitter les bancs de l’école parce que leur famille n’arrivait plus à payer les frais et les fournitures scolaires.

Je pense à un jeune d’une famille démunie, que j’ai connu à la maison d'arrêt et de correction de Ouagadougou. Appelons-le Boulaye, il a 15 ans. Il a quitté l’école après le cours primaire et il aidait un grand jeune dans la revente de ferraille, de vieilles chaises et de tissu, dans la rue. Mais il n’y trouvait pas son compte. Depuis le décès de son père, quelques mois auparavant, Boulaye disparaît parfois pendant plusieurs jours avec des copains. La maman le met en garde sur ses mauvaises fréquentations. Mais rien n’y fait et avec d’autres jeunes de son quartier, il est impliqué dans un vol avec effraction. A ce moment-là, le jeune Boulaye avait disparu de sa famille et celle-ci n’a pas été informée de son arrestation. Il a été détenu à la police deux semaines durant et a été déféré à la prison centrale pendant cinq semaines, sans jugement, sans aucune visite ; sept semaines de rupture avec sa famille et son milieu.

Lors de ma première visite, Boulaye me confie : “ Je pleure parce que, comme notre père est mort et que je suis en prison, les gens et les voisins vont dire du mal de moi et de ma famille. Je veux qu’on vienne me voir. ” Ses multiples explications me permettent de rejoindre sa mère qui vend du riz dans un quartier périphérique de la ville. Elle me raconte longuement l’histoire de son fils. Boulaye me demandait souvent si j’étais allé voir sa maman et ce qu’elle avait dit.

Une visite de la mère

Le jour où je suis allé chercher la maman avec la moto pour aller à la MACO visiter son fils, je les ai laissés ensemble, le temps qu’ils communiquent, qu’ils se parlent, qu’ils se regardent et s’écoutent. Il n’y a pas eu de grands discours. Avant de repartir, elle lui a remis 500 FCFA (0,8 euros), ce qui est beaucoup d’argent pour elle mais il est nécessaire à son fils pour pouvoir s’acheter de quoi manger. Un détenu me disait : “ Ici, on peut tout acheter, il suffit d’avoir l'argent.”. Chacun rassure et se rassure. Boulaye reprend courage. La famille aussi. Par cette visite, tout un monde relationnel en risque de perdition s’est soudain remis en route. Des copains sont venus le voir, ils lui ont apporté un sac de couscous parce qu’ils savent que dans cette prison les détenus reçoivent seulement un repas par jour et que ceux et celles qui ont des visites des leurs apprécient favorablement ce qu’ils leur apportent. Ces apports extérieurs permettent aussi aux détenus de cuisiner eux-mêmes, ce qui est meilleur que le repas de la prison. Boulaye a bénéficié aussi du repas offert à Noël et à Pâques par la commission catholique qui soutient et encourage les visites aux prisonniers.

Plus tard, j’ai rencontré son grand frère. Il n’est pas venu voir Boulaye en prison mais quand celui-ci est libéré, six mois plus tard, il a accepté de le prendre avec lui pour faire du petit commerce. Mais la situation reste fragile.

Quand des jeunes comme Boulaye sont mis en prison, il y a des réactions dans la famille et dans la communauté. Dans certains cas, le jeune, qui était déjà rejeté et représentait un danger pour la communauté, sera encore plus rejeté et sa famille indexée. S’il était déjà un peu inséré dans un tissu communautaire, le sursaut de la communauté se poursuivra. Et si personne ne vient voir le jeune, il s’enferme dans une logique négative. Le plus grave, c’est quand il a le sentiment d’être abandonné et rejette à son tour la communauté parce que celle-ci n’aurait pas entendu ses appels au secours. C’est pourquoi, j’essaye toujours de repérer les jeunes qui n’ont pas de visites et de leur permettre de renouer des liens avec leur famille.

Visiter un détenu pendant sa détention, c’est déjà faire le choix du non-jugement et de la réhabilitation possible. Mais ce n’est pas toujours facile. Chez certains parents très pauvres, il y a la peur de se présenter à la police ou en prison. Si le jeune ne se sent pas complètement rejeté, s’il entrevoit des gestes de médiation d’un oncle, d’un aîné pour recréer des liens avec sa famille et obtenir le pardon, il pourra retrouver une place dans la communauté. Parfois, certains adultes préfèrent que le jeune qui sort de prison soit écarté un temps de sa communauté d’origine. Ils le confient alors à un parent dans une autre ville, par exemple.

Des liens pour l’avenir

Il arrive aussi qu’un jeune arrêté dans un village, à plus cent kilomètres de Ouagadougou, soit amené directement à la prison en ville où il ne connaît personne. Si personne n’intervient au niveau de l’enquête préliminaire, il y a de grands risques que ce jeune soit coupé durablement de son milieu et qu’il ne puisse pas s’en sortir.

Devant de telles situations, nous ramons souvent à contre-courant. Les préjugés sont forts : “ Il y a des gens qui ont faim et vous, vous allez donner à manger à des voleurs, à des criminels...  ” Je réponds que ceux qui sont mis en prison sont souvent les plus démunis, ceux qui n’ont pas de relations ou qui n’ont pas pu se débrouiller.

Je reste convaincu qu’à la situation du détenu doit correspondre un geste posé à l’extérieur de la prison. Si le jeune, détenu, pense qu’il est seul à réfléchir à son avenir, sans écho de l’extérieur, rien ne changera pour lui.

Nous avons tous un rôle à jouer pour être des bâtisseurs de liens communautaires, au-delà des rejets et de toutes formes d’exclusions.

Péguéwendé Savadogo

Péguéwendé Savadogo est Burkinabè. Ami d’ATD Quart Monde, il a une formation d’éducateur spécialisé. Il est actuellement chargé de programme au sein d’une ONG internationale qui travaille avec des enfants vivant dans la rue, à Ouagadougou, au Burkina Faso.

CC BY-NC-ND