Je laisse dire
Quand on vit en caravane, on nous prend pour des gens du voyage, ce n’est pas toujours vrai, mais je laisse dire. Avec le RMI, on n’a pas assez pour être en HLM. Je ne pouvais pas travailler parce que j’avais deux enfants à élever. Je préférais les élever moi-même plutôt que de travailler et les mettre en nourrice, et de toute manière je n’aurais pas eu assez. Je craignais de demander de l’aide parce qu’on m’avait dit que si je demandais trop, on me retirerait les enfants. Vous savez ? Ma voisine, Mme X, avait demandé de l’aide avec ses enfants et elle l’a payé très cher. D’atteintes multiples et durables à son droit « au respect de la vie privée et familiale » selon l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme : à son égard et aussi à l’égard des enfants dont l’enfance s’est trouvée en grande partie détruite. Plus de deux cents mille enfants se trouvent en France détruits dans ces situations de placement d’enfants. Ceux qui réussissent leur vie dans de telles conditions sont vraiment parmi les plus chanceux. Moi, en achetant ce terrain, je voulais finir ma vie ici, à Herblay, sur mon terrain avec mes enfants.
Le 12 février 2004, par un beau matin, un régiment de policiers arrive dans nos cours. Ils nous demandent une pièce d’identité. On croyait qu’ils cherchaient quelqu’un. Mais c’était parce que le maire voulait nous expulser. Ça fait vingt-quatre ans que je suis ici et voilà qu’il me demande de partir. Pour aller où ? Je n’ai aucun autre endroit où habiter. On est passé au tribunal de Pontoise, le maire a perdu une fois, il a fait appel et il a gagné ; et après, tout est allé très vite... Tribunal, procès, avocats, dossier d’aide juridictionnelle... un tas de choses auxquelles il faut penser maintenant pour pouvoir se défendre.
Quand on a acheté le terrain en 1981, on avait été à la mairie pour demander un permis de construire, on nous a dit que ce n’était pas possible mais qu’on pouvait mettre un chalet démontable. On n’a pas voulu nous faire de papier. J’ai fait mettre un compteur d’eau, à mes frais, j’ai l’électricité. C’est inadmissible d’être expulsée de mon terrain. C’est mon bien, je l’ai acheté. Il n’y a que moi qui habite dessus, je ne vois pas en quoi ça gêne. Avec cette histoire, j’ai de la tension et du diabète. Depuis 2004, on est sur ce combat, ça crée des angoisses, inquiétude, souffrance, on est dans l’incertitude de bâtir un projet pour mieux s’installer. Ma santé en paie le prix maintenant : le médecin me dit qu’il ne faut pas que je m’angoisse pour ça, mais je ne peux pas faire autrement.
Ce terrain est devenu un enfer pour nous. Qu’est-ce qu’on n’a pas subi ? Des humiliations de toute part. Ils ont mis des grosses buttes de terre pour qu’on ne nous voie pas. Les résidants en ont sûrement marre qu’il y ait beaucoup de caravanes. Le maire est exempté de faire des aires d’accueil parce qu’il a déjà beaucoup de caravanes sur sa commune. Je n’ai pas reçu ma carte d’électeur cette fois-ci. A la poste, on m’a dit que c’était normal que je ne reçoive plus mon courrier parce que j’étais expulsée.
On aurait pu trouver des solutions
Je ne croyais pas que ça marcherait, cette réclamation collective. En Afrique, au Tibet et dans beaucoup d’autres pays, les gens ne peuvent pas ouvrir la bouche. Nous, en France, on a beaucoup de chance de pouvoir faire cette chose-là. Dans d’autres pays, on aurait pris une balle dans la tête. En France, on a les droits de l’homme, on est reconnus. On a la liberté de parole. Si le droit au logement n’a pas été respecté, au moins le droit à la parole l’est. On a eu un procès juste. Pour le maire, il fallait qu’on dégage, et il ne voulait rien proposer. C’est le préfet qui a fait des propositions. Le maire n’a jamais voulu nous recevoir : pourtant on aurait pu trouver des solutions ensemble, ça aurait évité les actions en justice. Ça aurait été plus simple et on aurait évité tout ce temps d’épuisement. Des familles comme la mienne habitent encore ce terrain, elles n’ont aucune solution à ce jour, surtout celles qui ne conçoivent pas leur vie dans des murs et qui veulent maintenir leur style de vie sur un terrain familial. Les familles qui sont parties sont à ce jour encore dans l’errance, elles ne trouvent aucune solution. Les présidents, ils signent des déclarations mais c’est à nous de nous bouger, c’est comme la réclamation collective, il y a les condamnations, mais c’est à nous, le peuple, de nous bouger.
Le lundi 17 septembre 2007, nous étions une trentaine à nous rendre à la Cour européenne des droits de l’homme et au comité européen des droits sociaux. Et devant le portail, j’ai monté les escaliers, le cœur battant. Les gardiens m’ont remis un badge à mon nom et quand je suis entrée dans la salle, je tremblais, je me suis assise pour écouter. On avait porté plainte contre la France pour non-respect du droit au logement. Moi, vraiment, à ce moment-là, je voulais leur dire que je veux vraiment rester dans mon mobile home et sur mon terrain. Mais je n’avais pas le droit. Après avec les gens d’ATD Quart Monde, on se réunit dans une autre salle pour dire nos impressions, là tout le monde pouvait parler et quand ce fut mon tour, j’ai parlé en pleurant, ... j’avais tellement d’émotions. C’était grandiose. J’étais fière d’être là. C’est la première fois qu’on m’a dit que j’avais raison !