Fantastique

Isabelle Pypaert Perrin

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Isabelle Pypaert Perrin, « Fantastique », Revue Quart Monde, 259 | 2021/3, 1.

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Isabelle Pypaert Perrin, « Fantastique », Revue Quart Monde [En ligne], 259 | 2021/3, mis en ligne le 01 septembre 2021, consulté le 19 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/10386

Fantastique, je ne vois pas qui d’autre que ce jeune homme intelligent, courageux et sensible, pourrait porter ce prénom ! Il pousse sa charrette de toutes ses forces dans les rues encombrées de Bangui, transportant sacs de riz ou de ciment pour ses clients. Ses parents sont décédés alors qu’il était encore adolescent. Partageant la responsabilité de ses petits frères et sœurs avec un oncle, il s’est retrouvé à vivre et travailler dans la rue, dans l’insécurité permanente, se cachant pour dormir, marchant pour chercher la vie et louer ses bras à qui pourrait l’embaucher pour quelques heures. Tenaillé par la faim, harassé par le poids des jours, toujours habité par l’angoisse, il subissait violences et mépris. Un jour, avec sa charrette, dans une rue bondée, il a heurté Niek, volontaire-permanent d’ATD Quart Monde en Centrafrique. Rencontre improbable ! Ils se sont revus et avec le temps, la confiance s’est créée. Fantastique a commencé à fréquenter la Cour du Mouvement à Bangui, se liant peu à peu à d’autres amis, résistant comme lui à la misère qui ne laisse aucun répit : John, Barclay, Sylvain, Nadège, Gisèle, Bob, Parfait… Avec la sécurité que vous apporte le respect, le fait de compter pour des amis et de vous engager pour les autres, Fantastique a gagné un tout petit peu de stabilité. Il est arrivé un jour à acquérir sa propre charrette, à pouvoir louer une petite chambre. Au plus fort de la crise sanitaire, il a fait partie de l’équipe qui s’est rendue dans des lieux oubliés de la ville pour y amener des lavoirs à mains mobiles, avec de l’eau et du savon, pour permettre aux habitants de faire face au coronavirus. Récemment, il partageait son histoire à une personne de passage à la Cour. « Je vois bien ce que tu dis ; moi aussi, je connais des difficultés », lui répondit celle-ci. « Je te crois, reprit Fantastique, mais il y a encore une différence entre difficultés et souffrance ». L’intelligence artificielle et ses algorithmes qui envahissent de plus en plus notre quotidien, jusque dans les politiques sociales dans les pays du Nord, seront-ils assez fins pour nous aider à saisir cette nuance essentielle ? Ou feront-ils taire ceux que forge l’expérience radicale de la violence de la misère ? S’ils étaient une fois de plus réduits au silence, qui alors pourrait nous mener sur le chemin d’une humanité réconciliée ?

Isabelle Pypaert Perrin

Isabelle Pypaert Perrin est déléguée générale du Mouvement international ATD Quart Monde.

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