Je me rappelle de Sabir un jeune de 20 ans, un solide gaillard craint dans son quartier, à tort mais aussi à raison. Un jour, au cours d’une conversation, Sabir m’explique que s’il y a 10 places pour un emploi et 11 personnes à se présenter, quel que soit l’emploi proposé, il sera celui qu’on n’embauchera pas. Il cherche mon regard pour savoir si je ne le juge pas, et je sens en lui de la colère, celle d’un jeune humilié d’être jugé avant même d’avoir fait son expérience. J’en parle alors à d’autres jeunes du quartier, et je me rends compte que beaucoup pensent comme lui. Oser aborder les sujets difficiles mais tellement cruciaux dans la vie des personnes, les recevoir de façon ouverte, sans jugement, c’est le début de la construction de la confiance.
Et ensuite le chemin va être long, avec des bons jours et aussi de très mauvais. Il y a eu l’étape clé de permettre à Sabir de casser la peur qu’il inspire chez les jeunes du quartier et de pouvoir se sentir en confiance dans un groupe. Un jour, Sabir est venu déranger l’équipe d’ATD Quart Monde au milieu d’une réunion importante : il a trouvé un emploi d’intérim – charger des camions –, mais il n’y a pas de bus pour aller à la zone industrielle et c’est maintenant qu’il doit s’y rendre. Il ose nous demander de l’aide, il nous fait confiance. On lui fait confiance nous aussi, on se laisse bousculer. Sabir a été apprécié dans son premier emploi de quelques heures et, par la suite, il a toujours cherché et trouvé du travail.
Oser dire qu’on n’a pas confiance en soi, ni confiance dans les autres. Changer cela en rencontrant d’autres jeunes, des personnes plus âgées prêtes à faire un bout de chemin ensemble. Aller rencontrer des employeurs, créer des espaces pour construire la confiance avec le monde du travail, le monde de l’éducation, le monde de la santé. Changer le regard également des employeurs, du personnel des systèmes de santé et d’éducation ou autres… N’est-ce pas cela se rendre dignes de confiance pour les personnes qui font l’expérience de la pauvreté et aussi pour toutes les autres ?
Comment construire la confiance au milieu des fragmentations et fractures de nos sociétés entre élites et populations en souffrance sociale ?... Alors que les contextes de nos sociétés se tendent, il nous faut nous rassembler avec celles et ceux qui vivent les situations les plus difficiles d’exclusion sociale, rompre l’isolement social, casser préjugés, jalousies et rumeurs en faisant de la place à chacune et chacun, vivre la convivialité et la solidarité. Ce sont des conditions indispensables pour créer ensemble l’accès aux droits humains pour toutes et tous.