Territoires zéro chômeur de longue durée a été introduit en 2016 dans la perspective d’agir en faveur de la réintégration dans l’emploi des personnes au chômage depuis au moins un an. Cette expérimentation nationale est triplement innovante : elle promeut une conception originale du travail et repose sur des principes qui dérogent aux normes véhiculées par les politiques de l’emploi ; elle met en œuvre des méthodes et des instruments de réinsertion novateurs ; elle développe une approche du marché du travail qui tient compte des spécificités du territoire. Les premiers résultats montrent que, contre le chômage de longue durée, tout n’avait pas encore été essayé. Ils indiquent également que chercher à garantir l’emploi est une utopie réaliste aboutissant à réinsérer les personnes durablement exclues du marché du travail.
Contre le chômage de longue durée, avait‑on vraiment tout essayé ?
Un marché du travail à bout de souffle et des politiques de l’emploi à la peine
Le taux de chômage a été multiplié par plus de deux depuis la décennie 1970. En l’espace de vingt ans, il est passé de 3,8 % en 1975 à 10,2 % en 1996. Celui-ci n’a jamais été inférieur à 7 % depuis le début des années 2000. Ce phénomène touche davantage les catégories de la population qui rencontrent des difficultés particulières à s’insérer (jeunes, femmes, séniors, immigrés). La même tendance s’observe au niveau du chômage de longue durée. Bien que trois fois plus bas que le taux de chômage global, ce dernier n’est pas descendu en-dessous de la barre des 3 % depuis le milieu des années 2000. Les chômeurs de longue durée représentent par ailleurs le quart de l’ensemble des chômeurs. Leur nombre a doublé depuis la fin des années 2000 (500 000 en 2008, près d’un million en 2016). Le marché du travail français est ainsi caractérisé par un fort chômage, notamment de longue durée, et par de fortes inégalités d’accès à l’emploi.
Pour remédier à cette situation, les pouvoirs publics agissent au travers de l’institution de politiques actives de l’emploi (aide à la reprise d’un travail)1, en complément de politiques passives de l’emploi (indemnisation du chômage essentiellement)2. Alors que les politiques actives du marché du travail ont pour objectif de permettre aux chômeurs de retrouver un travail, les politiques passives du marché du travail consistent pour leur part à garantir le maintien des revenus des personnes temporairement ou définitivement privées d’emploi.
Ces politiques n’ont toutefois pas eu les effets escomptés. Les dépenses en faveur de l’emploi et du marché du travail ont en effet très fortement progressé ces vingt dernières années : elles ont été multipliées par plus de trois (58 milliards € en 2000 ; 184 milliards € en 2020) et ont toujours été supérieures à 4 % du PIB depuis le début des années 2000. Ces sommes sensiblement importantes engagées dans la lutte contre la privation d’emploi n’apparaissent pourtant pas suffisantes pour endiguer le phénomène du chômage, notamment de longue durée. Certes, le nombre de chômeurs de longue durée décroît depuis 2016 (1 million en 2016 et 555 000 en 2023, selon l’INSEE), de même que sa part dans l’ensemble des chômeurs (de 43,5 % à 24,5 % sur la période considérée). Ce type de chômage reste tout de même élevé et la privation d’emploi demeure relativement coûteuse3. Le « chômage d’exclusion » est en effet estimé à un coût compris entre 36 et 43 milliards €4, ce qui représente une dépense annuelle par chômeur de longue durée de l’ordre de 15 400 à 18 000 €5. La privation d’emploi mobilise par ailleurs des fonds publics qui pourraient servir à « financer des emplois en CDI, à temps choisi, pour l’ensemble des personnes concernées, sans supplément de dépenses budgétaires à la charge de la collectivité » par « la réaffectation des coûts directs, indirects et induits par la précarité et le chômage d’exclusion »6. Qui plus est, le montant moyen relatif au traitement du chômage de longue durée est équivalent au montant mensuel du SMIC, ce qui signifie qu’il est aussi coûteux pour la collectivité de maintenir une personne à l’écart du marché du travail que de la rémunérer pour qu’elle travaille !
Le constat de la relative inefficacité des dépenses consacrées à lutter contre le chômage de longue durée a conduit de nombreux experts de l’insertion à repenser la question du travail et à s’interroger sur la nécessité de solutions alternatives aux réponses « classiques » des politiques d’emploi7. C’est le cas du projet Territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD).
L’expérimentation TZCLD, une solution originale contre le chômage de longue durée
Produit des réflexions menées au milieu des années 1990 par l’entrepreneur social Patrick Valentin, Territoires zéro chômeur de longue durée a été concrétisé sous la forme d’un projet porté à partir de 2011 par l’association ATD Quart Monde. Ce projet a par la suite été institutionnalisé par les pouvoirs publics au travers du vote parlementaire de la loi d’expérimentation de 2016 et la création, la même année, de l’association TZCLD. Visant à lutter contre le chômage de longue durée à l’échelle territoriale, TZCLD peut être considéré comme une forme de politique active de l’emploi en faveur des personnes éloignées du marché du travail, qui apporte une réponse indifférenciée à un public hétérogène8.
L’originalité de TZCLD est au moins triple. D’une part, il repose sur trois convictions, défendues par les promoteurs du projet. La première est que « personne n’est inemployable », ce qui signifie que tout individu dispose des capacités nécessaires pour être embauché si l’emploi qui lui est proposé est adapté à ses compétences et à ses aptitudes. La seconde est que « le travail ne manque pas », ce qui renvoie au fait que les pénuries d’emplois n’existent pas dans la mesure où de très nombreuses activités utiles ne sont pas réalisées. La troisième est que « l’argent ne manque pas », ce qui suggère que la création d’emplois n’est pas plus coûteuse pour la collectivité que le chômage de longue durée.
D’autre part, l’expérimentation TZCLD opère un renversement de perspective par rapport aux politiques « conventionnelles » de l’emploi, puisqu’elle affirme qu’il est possible d’offrir un emploi permanent, à temps de travail choisi, à toute personne durablement privée d’emploi et, de surcroît, qu’il est également possible de développer des activités utiles pour le territoire, sans surcoût significatif pour la collectivité9. Cette idée centrale défendue par TZCLD se matérialise au travers de cinq grands principes que sont l’exhaustivité territoriale, l’absence de sélection à l’embauche, la qualité de l’emploi, la supplémentarité des emplois et la « soutenabilité économique » du projet10.
Enfin, TZCLD met en œuvre une démarche expérimentale assise sur trois règles fondamentales11. Cette démarche se déploie tout au long des trois grandes phases du projet et elle consiste à observer et évaluer l’impact de l’expérimentation sur le territoire local, ainsi que ses bénéfices en termes humains, sociaux et économiques. L’expérimentation expose une nouvelle philosophie du travail qui conduit à repenser l’emploi en tant que « commun » construit collégialement par l’ensemble des acteurs concernés12.
Garantir l’emploi contribue à insérer les personnes durablement exclues du marché du travail
TZCLD ou la promesse d’un droit à l’emploi effectif
L’objectif central de TZCLD est de faire de l’emploi un droit effectif, applicable sur tout territoire et pour toutes les personnes privées durablement d’emploi souhaitant travailler. Dans TZCLD, ce droit à l’emploi se traduit toutefois par le fait que les personnes au chômage de longue durée ne peuvent occuper des emplois que sur des activités qui ne font pas concurrence à celles des entreprises privées locales. Ces activités, qu’elles soient de production ou de services (aux entreprises, aux commerçants, aux agriculteurs ou encore aux associations ainsi qu’aux collectivités locales), sont financées à la fois grâce à la réaffectation des coûts et des pertes de revenus dus au chômage de longue durée, mais aussi via les revenus générés par l’Entreprise à but d’emploi (EBE) au travers de la facturation de ses produits ou services.
Le « droit à l’emploi » que promeut l’expérimentation TZCLD vient renforcer le principe de l’activation et, en même temps, le renverser. D’un côté, le projet s’inscrit dans la logique de l’activation des dépenses passives en mobilisant les budgets publics pour subventionner les emplois plutôt que pour financer les prestations chômage et les minima sociaux. D’un autre côté, il s’oppose à la logique de l’activation des allocataires assise sur la contrainte et l’acceptation conditionnée d’un emploi puisque le retour au travail se fait sur un poste en adéquation avec les aptitudes et les souhaits du salarié recruté dans l’EBE. Aussi, la réorientation des coûts de l’aide sociale et de l’assurance chômage vers le financement des emplois qui manquent sur le territoire se conjugue-t-elle avec des embauches de personnes éloignées du marché du travail qui contribuent à stimuler la création d’emplois tout en réduisant le chômage.
Des impacts positifs tant sur l’emploi que sur l’insertion
Les premières évaluations de TZCLD ont été réalisées en 2019, à mi-parcours de la première phase d’expérimentation (2016-2021). Les observations réalisées sur les dix premiers territoires concernés montrent plusieurs effets positifs sur l’emploi et l’insertion. Via le CDI qu’il propose, TZCLD parvient à garantir une sécurité et une stabilité économiques aux personnes au chômage depuis plus d’un an, sans toutefois les inscrire dans des « parcours professionnels » marqués par une logique de retour à l’emploi non subventionné sur le marché du travail ordinaire13. De plus, il permet de redonner aux salariés recrutés en EBE le sens au travail et un sentiment d’utilité tout en améliorant leurs situations individuelle et professionnelle14. Les publics de TZCLD ont ainsi trois fois plus de chance de retrouver un emploi durable que ceux n’ayant pas pu intégrer le projet, leurs conditions de vie s’améliorent et ils parviennent à se projeter davantage ainsi qu’à établir à nouveau des liens sociaux15. Par ailleurs, les perspectives professionnelles des bénéficiaires de l’expérimentation sont réelles et les activités développées par le projet sont considérées par ces derniers comme répondant effectivement à la satisfaction des besoins existants sur le territoire16. Enfin, la situation sur le marché du travail des publics recrutés en 2019 se maintient, alors qu’elle se serait dégradée s’ils n’avaient pas participé au projet17.
Ces impacts globalement positifs à l’échelle nationale s’observent au niveau local. Sur le territoire de Lille Métropole, par exemple, les CDI signés avec l’EBE offrent aux salariés une stabilité professionnelle et un minimum de ressources économiques qui améliorent leur quotidien grâce, entre autres, à l’accès à la consommation et les conduisent également à s’investir dans la vie sociale, voire à s’engager politiquement et syndicalement18. À Colombelles, les salariés recrutés en EBE expriment s’épanouir professionnellement et affirment remarquer une amélioration de leur qualité de vie par rapport aux étapes précédentes de leur carrière19. À Jouques, l’expérimentation a conduit les salariés à accroître leurs compétences et à s’engager dans de nouveaux projets professionnels, et même pour certains d’entre eux à pouvoir rompre leur isolement tout en reprenant un rythme de vie20. À Prémery, la majorité des bénéficiaires jugent positivement l’expérience, la considérant comme un projet ambitieux et positif qui leur a permis de reprendre confiance en eux21.
Les données collectées à mi-parcours de la seconde phase d’expérimentation (2021-2026) viennent confirmer ces bons résultats. Pour l’ensemble des territoires habilités, le bilan établi sur la période allant de janvier 2021 à décembre 2023 indique des effets positifs en termes de qualité de l’emploi, celle-ci s’étant en effet nettement améliorée comparativement au dernier emploi occupé par les bénéficiaires avant qu’ils intègrent l’EBE, mais aussi en termes d’insertion au regard des nombreuses sorties du système d’indemnisation chômage et du RSA22.
Premiers résultats probants
Projet original de lutte contre le chômage de longue durée, TZCLD vise à accroître l’employabilité et l’insertion des personnes éloignées durablement du marché du travail. Les premiers résultats des études menées sur ses effets montrent que la participation à cette expérimentation conduit effectivement à améliorer la qualité de vie et les conditions matérielles des bénéficiaires, qu’elle permet de sécuriser et stabiliser leurs situations et trajectoire professionnelles, qu’elle contribue au développement de leurs compétences et leur offre de réelles opportunités de carrière, enfin qu’elle les aide à reconstituer des liens sociaux et à rompre leur isolement.
