Un enfant dans le conteneur à vêtements

Giulio Cavalli

Traduction de Alain Savary

p. 51

Traduit de :
Un bambino nel cassonetto

Citer cet article

Référence papier

Giulio Cavalli, « Un enfant dans le conteneur à vêtements », Revue Quart Monde, 255 | 2020/3, 51.

Référence électronique

Giulio Cavalli, « Un enfant dans le conteneur à vêtements », Revue Quart Monde [En ligne], 255 | 2020/3, mis en ligne le 01 mars 2021, consulté le 28 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/10031

Index géographique

Italie

Texte publié en italien dans la revue LEFT (https://left.it/), publié avec l’aimable autorisation de son auteur, et traduit par Alain Savary.

Karim avait dix ans et marchait souvent pieds nus comme ses quatre frères. Les voisins racontent qu’on les voyait pieds nus dans la rue parce qu’ils étaient trop pauvres pour porter des chaussures. Cela se passe à Boltiere, dans la province de Bergame1.

Ce 19 mai en fin d’après-midi, Karim s’est retrouvé sur la place au n° 19 de la via Monte Grappa, la rue qui traverse le village de la Bassa, après être sorti de chez lui. À cet endroit, il y a un de ces conteneurs pour la collecte de vêtements usagés et Karim a dû penser que peut-être, en cherchant bien, il aurait pu y trouver quelque chose à porter, et abandonner les savates avec lesquelles il avait traversé le village.

Grimpant sur le conteneur, il s’y est faufilé, comme font les rats à la recherche de restes alimentaires, sauf que Karim était un enfant, et que quand le couvercle du conteneur s’est refermé sur lui à hauteur d’estomac, il a dû penser que peut-être il voulait le manger. Et en fait, il l’a mangé. Karim est mort. Une femme qui travaille dans un cabinet dentaire voisin et qui était en route pour reprendre sa voiture l’a retrouvé le soir. Elle n’a vu que les jambes qui dépassaient, le corps sans vie. Pour récupérer Karim, les pompiers ont dû tout démonter, découper les tôles, et peu de temps après, Karim a cessé de respirer.

Un enfant mort en fouillant dans les poubelles pour essayer de trouver un vêtement ou des chaussures à porter est une histoire dont la morale est tout entière contenue dans les faits. Aucun commentaire n’est vraiment nécessaire. La pauvreté est facile à cacher, elle se faufile dans les égouts et les rebuts de la vie normale et on ne la remarque pas, ou presque pas. Pourtant, elle porte en elle une douleur qui devrait être nationale, elle est porteuse d’un deuil dont beaucoup sont responsables, bien avant le conteneur assassin.

De la phase 2 du déconfinement, nous garderons aussi ce souvenir-là : le feu vert donné à Karim pour aller récupérer quelques vêtements. « Tout ira bien », disent-ils. Tout ira bien.

1 Texte publié en italien dans la revue LEFT (https://left.it/), publié avec l’aimable autorisation de son auteur, et traduit par Alain Savary.

1 Texte publié en italien dans la revue LEFT (https://left.it/), publié avec l’aimable autorisation de son auteur, et traduit par Alain Savary.

CC BY-NC-ND