Etre connu et reconnu

Daniel Fayard

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Daniel Fayard, « Etre connu et reconnu », Revue Quart Monde [Online], 203 | 2007/3, Online since 05 February 2008, connection on 18 April 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/1048

Ce dossier est consacré pour une large part à une contribution de Gérard Bureau. Volontaire d’ATD Quart Monde engagé depuis plus de trente ans, il a voulu s’entretenir avec les parents de trois familles ayant connu à divers degrés et de différentes manières les affres de la grande pauvreté en France durant ces dernières années. Il a tenté de comprendre avec eux comment et en quoi ils avaient été mis en échec dans leurs aspirations et leurs projets de vie familiale, dans quelles circonstances ils avaient pu résister au malheur et entrevoir néanmoins un avenir meilleur.

Trois récits donc. Trois illustrations de ce qui est vécu aujourd’hui au bas de l’échelle sociale. Une analyse aussi des processus qui ont façonné ces destins au regard des droits de l’homme. Une réflexion enfin sur les liens sociaux de solidarité qui, selon qu’ils sont ou non recherchés et promus avec leur exigence de réciprocité et de respect mutuel, peuvent libérer de la misère ou pérenniser aussi bien une exclusion inavouable qu’une assistance ségrégative.

Nous sommes là interrogés sur la nature même de nos communautés au nom des valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité que nous professons, et par conséquent sur l’ambition du contrat social qui devrait nous mobiliser.

Aux antipodes, un historien australien, Mark Peel, a tenté lui aussi de recueillir la mémoire de leurs trajectoires que conservent en leur for intérieur des personnes habitant dans des quartiers défavorisés de son pays. Il met en valeur la qualité des relations établies avec elles dans cette entreprise de relecture. Cette écoute de ceux qui sont au « dernier échelon » renvoie l’historien à la mission de témoin qui lui est conférée par ses interlocuteurs : « Dis leur ce que nous t’avons dit... Ils doivent savoir tout ça, parce que nous, nous ne pouvons pas changer les choses. »

Il nous faut donc apprendre à regarder ces « choses » différemment si nous voulons agir plus efficacement. C’est ce à quoi nous invite Jean-Baptiste de Foucauld dans son appréhension de la lutte contre l’exclusion, qui est au cœur de notre idéal démocratique et qui doit donc orienter l’élaboration et la mise en œuvre de nos politiques publiques. De même, en historienne, Agnès Callu réfléchit sur le possible renouvellement d’une écriture historique de la pauvreté à partir de la relation à l’argent des familles très pauvres.

En historienne, Agnès Callu, réfléchit sur le possible renouvellement d’une écriture historique de la pauvreté à partir de la relation à l’argent des familles très pauvres.

Xavier Godinot, volontaire, prolonge la réflexion sur l’un des aspects de ce contrat social : la relation entre dignité, travail et grande pauvreté, vécue par les travailleurs à la marge.

En écho à ce dossier et pour l’éclairer, on trouvera une réflexion philosophique de Jean-Marc Ferry, qui commente une intervention du père Joseph Wresinski sur « le droit d’être un homme ». Etre un homme, c’est être capable d’aimer, précisément de « changer les choses ». Reconnaître cette capacité chez « le plus oublié », c’est restaurer en lui sa propre estime, c’est le reconnaître « à égalité d’importance » avec les autres hommes, c’est lui reconnaître « les mêmes préoccupations majeures » que les nôtres, c’est le reconnaître comme un frère.

Sans cette reconnaissance-là, qui peut prétendre connaître en profondeur les réalités vécues de la grande pauvreté et de l’exclusion sociale ?

Daniel Fayard

Daniel Fayard, sociologue, est volontaire du Mouvement ATD Quart Monde

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