Histoire et projet créatif de l’Atelier
Corinne : Avant la pandémie, j’allais à Nativitas, un centre d’accueil de jour, rue Haute à Bruxelles, animer un atelier créatif. Lors de la pandémie, les gens restaient chez eux. On allait les voir avec Cédric B. du Mouvement. On se mettait devant chez eux. Nous tournions dans les différentes communes de Bruxelles. On voulait garder des liens. Sur une toile posée sur une petite table, ils pouvaient peindre leur main et y mettre un message. Ils savaient ainsi qu’on ne les oubliait pas.
En 2017, on avait commencé à ATD, rue V. Jacobs, avec des militants surtout, un atelier de Lanternes faites de papier japonais collé sur des bambous, en vue du Cortège aux flambeaux du 17 octobre1 à Bruxelles. Cela a eu lieu deux années.
Puis on a commencé des impressions de linogravure, de petits ateliers simples avec quelques alliées. On fabriquait des poupées en tissu. Le thème était celui du Corps et la fidélité au textile était proposée. Aujourd’hui, au cours du temps, nous avons appris pas mal de techniques comme : l’impression végétale sur des sacs en tissu, la broderie et le tissage avec Émilie S., la fabrication de bijoux avec des perles, le travail de la soie pour confectionner des oiseaux en 3D, et le boutis en réalisant des initiales et des motifs en relief sur un tissu blanc. Tout cela afin d’être à l’aise afin que chacun.e réalise, l’année prochaine, une œuvre pour le 17 octobre 2024 : un personnage en 3D de 50/60 cm environ dont le corps, la peau, les habits seront traités grâce à l’apprentissage de toutes ces techniques. Un projet ambitieux !
L’Art et l’Atelier, c’est quoi pour toi ?
C’est la question que Corinne pose à chacun des participants aujourd’hui… militant·e·s et allié·e·s2 qui se sont engagé·e· s dans l’atelier. Chacun.e répond à sa manière.
Grégory, militant : « Quand Corinne m’a invité à l’atelier, avec Julie, ma compagne, je me suis dit : ‘C’est quoi ça ? Qu’est-ce qu’on va faire ? La couture, c’est pour les filles, ça va être con !!!’ Mais maintenant, c’est bien. J’ai tout de même appris des choses ».
Corinne : « Les gens ont appris à faire quelque chose du début à la fin, avec ténacité ».
Grégory : « Faut dire qu’on n’avait pas le choix ! »… (Rires dans l’atelier. Il fait allusion à une certaine discipline demandée).
Corinne : « Vous avez dû choisir ce que vous vouliez faire… Mais dis-moi ce que veut dire pour toi ton silence à l’atelier… Il y a des moments où on ne t’entend pas… » (Grégory est assez bavard).
Grégory : « Ça veut dire que je boulotte… T’as vu les belles choses que j’ai faites ? »
Catherine, militante, qui se déplace de très loin pour venir à l’atelier (elle se lève à 6 h 30 pour être là à 10 h 30) dit à Corinne : « Quand tu m’as demandé, comme je suis curieuse de nature, je me suis engagée. Pour ma première broderie, j’ai mis beaucoup de temps. Au début, on m’a un peu aidée car ici, on s’entraide. J’en suis fière maintenant !
Quand on va au Forem3, on te dit que ce n’est pas un métier d’être artiste, que c’est une passion. Mais tout de même, moi je trouve que c’est un métier ! Pas bien reconnu ! »
Julie, militante, dit : « Moi, à chaque fois que je viens, j’aime tout… Au début, je trouvais ça difficile, je pensais que je n’y arriverais pas mais… le résultat est là (elle montre les œuvres au mur). Tout est beau ! C’est magnifique ! Et pendant les vacances scolaires mon fils (7 ans) adore venir car il apprend des choses que je ne sais pas faire avec lui à la maison.
Nous, on fait de l’art ici mais nous, on est ‘en bas’ (elle fait le geste) et eux (les artistes connus), ils sont là, (elle fait le geste) ‘en haut’, ils sont dans les Musées… »
Corinne : « Même si tu n’es pas dans un Musée, ça t’apporte quoi de venir à l’atelier ? »
Julie : « Le lundi, je suis pressée d’être là, je suis libre (sans enfant), je ne pense pas aux soucis (ils sont évacués), je fais mon atelier et voilà ! Des fois je dis : ‘ Je vais pas y arriver’ et j’y arrive. Je suis très fière de ce que je fais, après, à la fin.
Quand je couds à la machine, je me sens ‘un petit prof’ (elle explique à d’autres). Je n’ai pas oublié ce que j’ai appris à l’école ».
Fernande, militante, dit de l’atelier : « Quand on est tous réunis ici, on accepte tout le monde. Personne n’est ‘obligé’ de venir. On est libre. On rigole tout le temps… »
Patrick, allié : « Deux choses : la première, c’est que j’ai découvert le repassage et la couture. Je pensais que c’était pour les femmes. Au début, j’étais content qu’on m’aide car je n’y arrivais pas. J’ai bien aimé aussi nos conversations et écouter les préoccupations de tout un chacun. La seconde : quand je regarde ce qu’on a fait, je suis émerveillé par la créativité de tous. Il y a des tas d’idées joliment réalisées. Pour moi, c’est de l’Art. Il y a beaucoup de goût ! »
Ariane, alliée, épouse de Patrick, nous dit : « Quand Corinne a annoncé un atelier-broderie, c’était neuf. D’une part, on ne voit pas encore beaucoup d’art textile dans les Musées. (Cela correspond à des nouvelles recherches contemporaines dont le grand public n’est pas très au courant). D’autre part, on sait que cet art de la broderie correspond à des Traditions qui ne sont pas réservées aux artistes seuls.
Le fait d’être en atelier est très agréable, on apprend de nouvelles techniques et puis, on peut parler entre nous. Nous, les retraités, nous sommes souvent seuls. Être ensemble, ça crée du lien. Il y a eu des moments à l’atelier où on était tous très concentrés sur ce qu’on faisait. C’était calme. Cependant, cela ne nous empêchait pas de parler, d’échanger. Il y a une bonne ambiance ».
Annie, la maman de Julie, nous a rejoints il y a peu. « Au début, dit-elle, j’imaginais ATD comme une grande salle où on ne faisait que parler. Mais ici, à l’atelier, on fait des choses. Cela me met la joie au cœur ! Couturière de métier, élevée à l’ancienne, c.-à-d. femme à la maison à qui on demandait toujours de faire des choses pour les autres, je suis sortie de ma bulle ! Maintenant je fais des choses pour moi. C’est dur de faire le premier pas pour soi !
Ce qu’on fait ici c’est de l’Art spontané. Et ici à ATD, il y a du respect. C’est très bien car quand quelqu’un parle, tout le monde l’écoute. On ne le coupe pas ! Il y a du respect dans notre atelier ».
La facette culturelle du projet : les visites d’expositions
Rose-Marie, alliée : « En plus de l’Atelier créatif s’est développée une autre facette de nos activités : le partage des richesses culturelles du passé et du présent. Nous faisons de temps en temps des sorties culturelles, allons voir des expositions. Elles sont bien préparées. Nous en parlons ensemble avant, au cours d’une séance de présentation de photos, pendant laquelle les militant.e.s peuvent s’exprimer et poser des questions. Tout le monde reçoit un petit dossier imprimé ».
Corinne, volontaire : « Nous avons visité, au cours de ces dernières années, plusieurs expositions. Notamment une exposition consacrée à Niki de Saint-Phalle à Mons, et, à Bruxelles une exposition immersive sur Breughel l’Ancien, l’exposition sur les Hyperréalistes à Tour et Taxis4, le Musée Magritte et deux expositions immersives sur Frida Kahlo ».
Des expositions dont on se souvient et qui font réfléchir
Corinne nous rappelle combien Niki de Saint Phalle était moderne. « C’était une artiste qui parlait du Corps et de la féminité. Le corps est un thème difficile à aborder. Lors de notre visite au Musée de Mons, parmi les militants, il n’y avait qu’une seule femme. Tous les autres étaient des hommes. C’était très intéressant : ces militants hommes ont découvert que les femmes artistes pouvaient parler de la féminité à travers leur art ».
L’exposition immersive sur Breughel l’Ancien nous a enchanté·e·s.
Catherine, militante, se dit toujours curieuse de tout : « Je préfère voir des tableaux de la Renaissance plutôt que des tableaux abstraits avec des taches qui ne ressemblent plus à rien… Car là (chez Breughel) il y a l’Histoire. Je me rappelle un tableau avec une scène de patinoire et un autre avec un repas populaire peint par Breughel. Les couleurs sont magnifiques ! J’avais acheté après l’expo La Tour de Babel en magnets pour ma fille ! »
On avait aimé les Hyperréalistes à Tour et Taxis à Bruxelles.
Fernande, militante : « La présentation était très bien faite… Quand on arrivait, il y avait tous ces personnages grandeur nature. Je me suis posé la question : Comment ont-ils fait pour faire des personnages si ressemblants aux personnes réelles ? Par exemple, le très gros bébé de 4 mètres ? J’ai été impressionnée aussi par ce SDF enfoui dans ses cartons ! Heureusement, il y avait de petites affiches : on décrivait ce qu’était le personnage (et les matériaux employés) ».
Corinne : « Est-ce que les corps nus ou dénudés t’avaient gênée ? »
Fernande : « Pas du tout ».
Catherine, militante, qui vient d’avoir un petit-fils : « La sculpture représentant une grand-mère et un bébé ; pour moi, c’est un grand souvenir. J’aimais bien aussi ce monsieur tout maigre qui avait l’air de sortir de terre et la série des dames en maillot, et le SDF. J’ai été choquée par le bébé mal formé avec un nez d’éléphant, et par la jeune fille assise avec des poils plein ses jambes ! »
À propos du Musée Magritte de Bruxelles :
Julie, militante : « J’aimais bien le côté surréaliste des œuvres de Magritte. Mais je n’aimais pas quand dans l’expo il faisait trop sombre, c’était mal éclairé ».
Une réflexion tolérante sur le goût des autres :
Julie, militante : « Je n’aime pas les œuvres abstraites, ce n’est pas mon goût. Les autres, eux, ils peuvent aimer autre chose ».
Annie, sa maman ajoute : « Je lui ai appris qu’on ne peut pas aimer ce que tout le monde fait, mais qu’on doit les accepter ».
Un atelier accueillant
D’autres militants fréquentent de façon intermittente l’atelier : Serge B. et Marie-Ange L.
Paul est un jeune stagiaire allemand. Il travaille beaucoup avec nous et nous accompagne lors des expos.
Trois jeunes non-européens de l’Association Eilo5 se sont joints à nous récemment.
Mirvat, syrienne, dit : « J’aime beaucoup cet atelier parce qu’il y a de la créativité. Tu fais comme tu veux. Pour moi, l’art c’est important dans la vie. Cela aide à s’en sortir, par exemple quand on est triste ».
(Catherine, militante, reconnaît dans le dessin réalisé par celle-ci le thème de la Paix et de la liberté).
Javier, salvadorien, ajoute : « Pour moi, l’art c’est l’expression des sentiments, des idées, de ce que tu aimes, de ton imagination… Normalement, je suis timide, mais ici, merci pour l’ambiance, c’est très bien ! »
Lui aussi a réalisé un beau dessin. Tous deux s’essaient à la peinture.
Youness est marocain. Pour sa part, il coud comme un pro à la machine et aide tout le monde à l’atelier.