« Enfant pendant la guerre d’Algérie, j’ai haï les harkis traîtres à mon pays. Vingt ans après, en France, je suis devenu ami-frère d’un fils de harki. Il m’a ému, m’a raconté l’histoire de son père, sa famille, leur exil comme le nôtre. J’ai écrit son histoire. » C’est en ces termes que Mehdi Charef révèle la raison d’être de son roman, à l’occasion de sa troisième réédition, trente-cinq ans après sa première publication.
Pourquoi 400 000 Algériens se sont-ils laissé enrôler comme soldats dans l’armée française ? En 1959, dans l’ouest de l’Algérie, Azzedine est si pauvre qu’il lui est impossible d’imaginer un avenir. Il s’y engage, ni par conviction politique ni par opportunisme, mais pour pouvoir manger et fonder une famille, sans autre considération, sans envisager la possibilité que l’Algérie obtienne un jour son indépendance ni qu’il aura l’obligation de tirer sur ses compatriotes, pour qui son destin fait figure de trahison. Mais la lecture de ce destin adoptée ici est affirmée avec force par Meriem, la femme d’Azzedine, lorsqu’elle répond à son jeune fils qui lui demande : « C’est quoi un harki ? » : « C’est quelqu’un qui a eu le courage de tout perdre pour faire vivre sa famille. »
Car, du courage, il en aura fallu à cette famille pour faire face aux injustices de la société coloniale, aux stigmatisations de son entourage, à quoi s’est ajoutée, avec l’exil forcé en France en 1962, la mise à l’écart dans des lieux dédiés, ses membres étant toujours aux prises avec le sentiment de ne pas être considérés comme des citoyens à part entière, malgré leurs efforts d’intégration. La perspective d’un retour d’un harki à son pays d’origine ne semble pas envisageable tant que perdurent les blessures occasionnées par la guerre d’Algérie. Comme en témoigne le refus d’y accueillir le cercueil d’un fils de harki décédé en France.
Malgré tout, Azzedine aura la joie de voir sa fille Saliha devenir infirmière, se marier avec un ambulancier d’origine marocaine et mettre au monde deux jumeaux. Une nouvelle génération qui n’aura peut-être pas à être perçue comme des enfants de harki.