Obstacles à l’enregistrement

  Équipes ATD Quart Monde

p. 3-7

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  Équipes ATD Quart Monde, « Obstacles à l’enregistrement », Revue Quart Monde, 273 | 2025/1, 3-7.

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  Équipes ATD Quart Monde, « Obstacles à l’enregistrement », Revue Quart Monde [En ligne], 273 | 2025/1, mis en ligne le 01 septembre 2025, consulté le 12 septembre 2025. URL : https://www.revue-quartmonde.org/11603

Les obstacles au droit à l’identité légale ont été étudiés lors de la table ronde organisée le 17 octobre 2024 par le Mouvement international ATD Quart Monde, à Dakar, en interaction avec des participants à travers le monde par visioconférence.

Depuis de nombreuses années, dans différents pays du monde, durant les réunions avec les parents du Mouvement ATD Quart Monde, ces derniers revenaient systématiquement sur l’exclusion des enfants lors de l’inscription à l’école, ou encore au moment de passer les épreuves des examens et des concours, faute de document prouvant leur identité.

• En RCA, Abraham n’a pas été autorisé à passer les épreuves des examens à l’école, parce qu’il n’a pas d’acte de naissance. Découragé, il ne poursuit pas son parcours scolaire. Il dit : « Ne pas avoir d’acte de naissance, c’est comme si tu n’existais pas en tant qu’enfant, en tant qu’être humain. » L’impossibilité de passer ses examens à cause du fait qu’il n’ait pas un acte de naissance le propulse dans la légion des « sans diplômes », des « non formés », de tous ceux qui, tôt ou tard, seront confrontés au chômage faute de qualification, ce qui ne fera qu’aggraver les conditions de vie déjà précaires.

• Au Burkina Faso, Jean-Marie Dabika, militant Quart Monde, rappelant l’habitude classique d’identification par témoignage de deux témoins fiables, souligne aussi l’utilité quotidienne d’un document écrit pour les transactions modernes : « On peut aussi utiliser la carte d’identité pour les transactions d’argent. Ou si tu as eu un accident et que personne autour ne te connaît, on peut t’identifier à travers ta pièce d’identité. »

• À la rencontre à la Mairie de Grand Yoff (Sénégal), le 16 octobre 2024, Makan Sy met en garde contre les fausses certitudes concernant l’identification d’une personne : « Beaucoup de gens pensent qu’avec le passeport on peut vous identifier ; ce n’est pas une pièce d’identification. Le permis de conduire n’est pas non plus une pièce d’identification. C’est à partir de l’acte de naissance que vous pouvez avoir votre carte d’identité et votre document de voyage qui est le passeport. C’est avec votre pièce d’identité que vous pouvez avoir votre permis de conduire qui est un brevet. »

Les droits humains et l’existence légale

L’existence légale permet en premier lieu de jouir de tous ses droits en vertu des lois en vigueur dans chaque pays et favorise aussi l’accès aux différents services publics de base.

L’obtention des documents d’état civil demeure une condition sine qua non pour tout être humain. L’acte de naissance est primordial pour accéder aux services des administrations. Sans lui, toute inscription ou démarche officielle est compromise, que ce soit dans le domaine de l’éducation, de la santé ou de l’emploi, pour ouvrir un compte bancaire ou passer un contrat, pour l’obtention d’une pièce d’identité, pour accéder à un héritage ou encore se déplacer à l’étranger. C’est par lui aussi qu’il est possible d’établir un certificat médical en cas d’incapacités physiques ou sanitaires. Quant aux droits civiques et politiques, les documents de l’existence légale jouent un rôle important dans le processus électoral. Disposer d’une carte électorale permet de participer aux votes, c’est-à-dire d’être électeur et d’être éligible. Les actes de naissance ont aussi cet avantage de fournir les données statistiques et démographiques, enjeu majeur dans un pays, notamment pour la planification aux niveaux des établissements scolaires ou de la santé publique.

Les défaillances de l’administration

Or en Afrique, en Haïti, aux Philippines, dans une société qui fonctionne encore sur le mode oral « où les papiers importent moins que l’oralité1 », les procédures d’enregistrement à la naissance ne sont pas toujours jugées utiles par les parents, elles ne sont surtout pas bien connues par la population. Pire, il n’y a pas de centre d’enregistrement des naissances dans chaque lieu de naissance. L’éloignement de ces centres, le coût des démarches sont dissuasifs. S’ajoutent à cela des difficultés réelles de communication avec les agents, des allers-retours multiples et coûteux imposés pour arriver à finaliser la procédure. Tout cela conduit souvent à l’arrêt de la démarche, l’urgence des familles étant ailleurs. Enfin, ces démarches sont soumises à de nombreuses erreurs et parfois à des pratiques frauduleuses qui trompent un public non averti. De surcroît, la rectification des erreurs n’est facile ni pour les personnes lésées ni pour les tribunaux.

Enfin, les personnes n’ayant pas eu accès à l’éducation minimale rencontrent encore bien d’autres difficultés pour faire enregistrer la naissance de leurs enfants. Il arrive qu’elles ne sachent pas lire et donc ne peuvent remplir les documents demandés. Lorsqu’elles essaient de faire comprendre leurs situations aux agents, elles ne sont pas écoutées. Comme elles ne supportent pas d’être humiliées devant tout le monde, elles finissent par renoncer aux démarches pour obtenir les documents d’état civil. C’est de cette façon que l’exclusion se perpétue.

L’administration se révèle donc trop souvent défaillante. Ainsi en témoigne-t-on à la table ronde du 17 octobre 2024.

Aux Philippines, Berna, membre du Mouvement ATD2, signale : « Quand tous les jours tu dois payer pour des choses, pour l’école, pour le quotidien, et payer pour des urgences qui arrivent toujours, il est difficile d’avoir de l’argent en plus. Et à l’état civil, ils m’ont dit que je devais moi-même faire la dernière démarche de transmettre l’acte de naissance à PSA3 et que ça me coûterait 3 000 PHP (pesos philippins). Alors j’ai arrêté. »

• Au Burkina Faso, Élise, militante et membre du mouvement ATD Quart Monde, analyse les situations : « Beaucoup de personnes ne connaissent pas les procédures administratives concernant l’établissement d’un acte de naissance, par exemple : les documents à fournir, les délais à respecter, l’endroit où se rendre pour l’établissement, etc.

  • Quand tu ne maîtrises pas les procédures administratives, tu peux subir des paroles blessantes et te sentir exclu. Parfois, l’administration constitue un obstacle en ne prenant pas le temps d’écouter les gens. Si tu insistes parce que tu ne maîtrises pas bien le français pour une meilleure compréhension, tu seras malmené ; ou de devoir attendre encore plus longtemps, cela pousse certaines personnes à avoir peur et elles ne continuent pas les démarches.

  • L’établissement de l’acte de naissance se fait à l’état civil du lieu de naissance de l’enfant. Beaucoup de centres d’enregistrement des naissances sont dans des endroits reculés et pour s’y rendre, cela nécessite les moyens financiers. Une personne vivant dans l’extrême pauvreté aura du mal à trouver les fonds nécessaires pour faire les démarches. »

Au Burkina Faso, Anne-Marie Faide, membre d’ATD, raconte : « À l’hôpital, il y avait une maman qui est venue accoucher, et après l’accouchement elle a demandé l’acte de naissance. On doit donner 2 000 FCFA pour l’avoir, mais il faut remplir un document. Elle ne savait ni lire, ni écrire. Malgré qu’elle ait parlé pour que le médecin le remplisse pour elle, il n’y a pas eu de suite. C’était une maman à côté qui l’a aidée. Après avoir laissé le document, on lui a demandé de partir. Pour trouver l’acte de naissance elle a dû faire des va-et-vient pendant un mois ; à chaque fois on lui disait de revenir. Elle se disait qu’elle allait abandonner, car il n’y avait personne qui l’écoutait. Imagine si la personne dans cette situation abandonne la recherche de ce document, comment l’enfant va aller à l’école, comment l’enfant peut avoir une identité légale ? »

Au Sénégal, Édouard Sène, maire de Ndondol, s’est exprimé la veille, dans le même sens : « L’extrait de naissance est un droit fondamental de l’enfant parce que sans cela, l’enfant n’existera pas. Exister légalement, c’est avoir un extrait de naissance qui te permettra d’aller à l’école, de grandir, d’être un citoyen, et de participer à la vie politique de ton pays, avoir une carte d’identité et accéder à la propriété. Pour voyager, acheter une maison, il faut une pièce d’identité. Il faudrait que les parents, la famille en premier soient impliqués. Je fais partie de ceux qui pensent que c’est une négligence, la pauvreté n’est qu’un alibi. Là où on demande 1 000 FCFA pour avoir un acte de naissance, chaque jour, les gens vont à des fêtes où ils dépensent beaucoup d’argent. Donc, je pense que c’est d’abord la famille. On achète un mouton pour le baptême de son enfant et on ne peut pas donner 1 000 FCFA pour déclarer son enfant. C’est d’abord la famille ; alors il faut qu’on change de paradigme en se disant la vérité. La famille avec tous les acteurs, car si elle fait son travail, la collectivité fera sa part. Mais à ce niveau, il y une responsabilité des collectivités territoriales et en particulier les mairies. D’abord l’accessibilité ; ce n’est pas normal qu’une mère ou qu’un père de famille viennent déclarer et qu’on leur dise : revenez demain ou après-demain ou la semaine prochaine. Il faut un service public de qualité ; aujourd’hui, il y a trop de problèmes. Tout cela est fortement lié aux conditions de travail des agents, parce qu’il faut reconnaître que dans les mairies il y a énormément de bénévolat, c’est-à-dire des gens qui n’ont aucune responsabilité. Il faut que nous, en tant qu’autorités locales, nous sécurisions l’état civil, qu’on ne permette pas à des courtiers de se faire de l’argent. Au niveau des mairies, il y a des gens qui rôdent autour en proposant des services qui vont nuire à la population et cela c’est la responsabilité des maires, des conseils municipaux et des responsables de l’état civil. »

L’insécurité autour des actes d’enregistrement

Les malversations autour des actes de naissance et de la déclaration en vue d’obtenir un document d’identité ne sont pas rares, et ceci dans tous les pays. Elles sont même très fréquentes.

• En Haïti, Mogène témoigne à la table ronde du 17 octobre : « La corruption qui gangrène les institutions étatiques constitue une barrière pour les familles les plus pauvres. Beaucoup d’entre elles ont tenté et n’arrivent pas à avoir l’acte de naissance de leurs enfants en dépit du fait qu’elles ont dépensé beaucoup d’argent. C’est le cas d’une famille qui se présentait au bureau de l’état civil et s’est adressée à un membre du bureau qui lui réclamait dix fois plus que ce qu’elle devrait payer. Du coup la personne est retournée sans acte de naissance et abandonne la démarche. Autre type de corruption, les intermédiaires, des personnes qui ont une certaine connexion avec les responsables des bureaux, qui réclament de fortes sommes d’argent et qui délivrent des faux. Il y en a d’autres qui font semblant de vouloir aider ; après avoir reçu toutes les données et l’argent, elles sont introuvables. »

• Au Sénégal, Oumy Dione, militante et membre du mouvement ATD Quart Monde, explique : « Nous sommes victimes des faux actes de naissance qui nous sont délivrés par le service de l’administration. Une militante a vu le numéro de registre de l’acte de naissance de son enfant être attribué à une autre personne. Il a fallu deux ans de souffrance avec des va-et-vient incessants pour régler ce problème. Et si elle a résisté, c’est grâce à l’accompagnement et l’encouragement de l’équipe d’ATD Quart Monde du Sénégal. L’argent que certains agents de l’administration d’acte de naissance nous demandent ne nous permet pas d’aller jusqu’au bout parce que nous n’en avons pas du tout. Un jeune, militant pour obtenir un acte de naissance, a eu à débourser 14 000 FCFA pour un agent qui les avait exigés s’il voulait que le dossier soit traité. D’ailleurs cet agent lui avait livré un faux extrait de naissance, profitant de son ignorance de la procédure. Il y a encore plusieurs autres qui subissent ce genre de choses. Quand on va au bureau d’actes de naissance, nous les plus démunis, on nous reçoit avec négligence et mépris. Une militante était déjà dans le bureau pour demander des renseignements. L’agent du bureau, au lieu de prendre le temps pour lui expliquer les démarches, a fait entrer un homme qui lui avait téléphoné et a dit à cette militante de quitter le bureau et d’attendre à l’extérieur. Elle n’a pas pu rentrer dans le bureau ni retourner encore un autre jour. »

• Au Burkina Faso, Aboubacar Sidiki Ouédraogo, jeune en situation de rue, relate ce jour-là : « Un enfant peut vouloir demander sa pièce d’identité, mais au niveau de l’administration, on le malmène. Il finit par se décourager… Je suis allé établir ma pièce d’identité et après avoir fini les procédures, on m’a dit que j’allais l’avoir dans deux semaines. Après deux semaines, je suis retourné et on m’a dit d’attendre, car la machine qui fait les pièces d’identité est tombée en panne. Il n’y a qu’une seule machine qui fait les pièces pour tout le monde et cela peut prendre du temps. On m’a dit d’aller voir un autre service et une fois là-bas, on m’a ramené d’où j’ai quitté. Pour avoir ma pièce, j’ai mis cinq mois au lieu des deux semaines qui sont prévues par l’administration.

Il y a un autre problème. Tu peux venir engager des procédures, mais on ne va pas respecter l’ordre d’arrivée. Celui ou celle qui donne une certaine somme d’argent va être reçu avant toi ; cela est aussi un défi. »

1 Selon les propos du maire de Ndondol, le 16 octobre 2024.

2 Extrait d’un petit film vidéo projeté lors de la table ronde. Voir par ailleurs l’article très détaillé de Élodie Petit et Gabbie Clemente, paru

3 PSA est l’Autorité statistique des Philippines.

1 Selon les propos du maire de Ndondol, le 16 octobre 2024.

2 Extrait d’un petit film vidéo projeté lors de la table ronde. Voir par ailleurs l’article très détaillé de Élodie Petit et Gabbie Clemente, paru dans Revue Quart Monde N° 271, sur le thème des maltraitances institutionnelles (« Le droit à une identité et à un acte de naissance »), pp. 24 et suivantes.

3 PSA est l’Autorité statistique des Philippines.

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