« Je suis né, j’existe, ajoutez-moi à la liste. »
Les propositions des délégués des différents pays sont les suivantes :
Rendre accessibles les démarches administratives pour tous
En premier lieu il faut organiser l’accessibilité des démarches administratives pour tous :
-
Par la création de centres d’octroi d’actes de naissance gratuits et proches de la population (centres d’état civil secondaires), comme l’expérience faite au Cameroun dans les régions frontalières avec la RCA.
-
Par la création de postes d’agents de liaison (cellules ambulantes de l’état civil) entre le tribunal et les familles ayant des difficultés pour se déplacer.
Organiser un compagnonnage et des campagnes de sensibilisation
• L’exemple de la Tanzanie : « Dans la démarche de soutenir les familles dans l’enregistrement des enfants et l’octroi d’actes d’identité légale, le Mouvement et les familles en situation de pauvreté en Tanzanie se sont familiarisés avec les responsables de l’agence RITA1 afin d’atteindre plusieurs familles qui ont des difficultés dans l’enregistrement de leurs enfants. Aussi, ils ont travaillé avec les hôpitaux et les écoles afin que les enfants accèdent avant le commencement de leur parcours scolaire, pré-scolaire et primaire. Plusieurs enfants ont pu obtenir leurs actes de naissance. Cette coalition sensibilise les familles à se mobiliser pour couvrir leurs droits les plus fondamentaux. RITA a lancé une étude pilote dans les cinq régions de Tanzanie pour rechercher les obstacles qui freinent les familles à terminer les démarches pour obtenir les actes d’identité légale. » (Shabani, militant, membre d’ATD Quart Monde en Tanzanie)
• L’exemple de la Centrafrique : « En Centrafrique, afin de répondre à une forte demande d’actes de naissance de parents rencontrés dans douze différents quartiers de Bangui, une commission ‘documents administratifs’ a été créée par l’équipe d’ATD Quart Monde. Avec les représentants des familles des quartiers, la commission a enregistré au total 245 enfants pouvant participer à cette campagne. La commission a organisé un grand nombre de rencontres avec des partenaires très divers : familles défavorisées, matrones, autorités locales, maires, chefs de quartiers, Ministère de l’administration du territoire, de la décentralisation et du développement local, Direction générale de l’État civil, le tribunal pour l’enfant et la coordination de CIVIPOL. Elle a réussi à les faire travailler ensemble pour finalement obtenir les actes de naissances pour 218 enfants de 0 à 14 ans, issus de familles vivant l’extrême pauvreté. » (Nina, militante et membre du Mouvement en RCA)
• L’exemple du Sénégal : « Quand l’enfant est né, nous, les délégués et les imams demandons aux parents d’aller déclarer ; malheureusement, certains parents sont négligents. C’est vrai que la pauvreté est l’une des causes mais il y a une négligence alors que c’est quelque chose de très facile qui ne prend même pas trois minutes. À mon niveau, je le fais, j’accompagne parfois des gens à l’état civil et l’officier d’état civil peut le confirmer. » (Elhadji Moutapha Diop, représentant des délégués de quartier, Sénégal)
Obtenir la gratuité des procédures et la mise en échec de la corruption
Il faut que les collectivités s’assurent que la gratuité de la déclaration de naissance soit vraiment effective pour tous. Qu’elles s’assurent également que les démarches soient dépourvues decorruption ou de tout autre abus et évitent ainsi que des personnes se voient attribuer de faux documents.
• L’exemple de la Tanzanie : « Le partenariat d’ATD avec les gouvernements locaux a permis la suppression des frais de signature et a permis aux enfants d’être inscrits. » (Shabani, militant, membre d’ATD Quart Monde en Tanzanie)
• L’exemple du Sénégal : « Je travaille à la maternité de Grand Yoff mais en 2019 nous avons connu une inondation qui a détérioré plusieurs papiers, mais nous avons une infirmière chef de poste très courageuse. Elle a tout fait pour que le tribunal prenne en compte les papiers qui s’étaient détériorés et les gens ont pu se procurer le certificat d’accouchement. C’est elle qui a fait toutes les démarches pour régulariser cela. Pour ceux qui ont un papier détérioré, elle leur donne un papier qu’ils remettent à l’officier d’état civil pour le certificat de non inscription. À Grand Yoff, nous n’avons pas ce problème car ceux qui n’ont pas de certificats d’accouchement, s’ils viennent à la maternité, c’est moi qui les reçois. Nous donnons même des certificats de confirmation aux gens. Si les gens passent par la bonne voie, ils ont souvent gain de cause. Le problème, c’est les déclarations tardives, lorsque les gens restent plus de 6 mois sans déclarer leurs enfants. Cela fait un peu mal car beaucoup d’enfants naissent sans être déclarés, mais à notre niveau, toute personne qui se signale, nous l’accompagnons. Je vais jusqu’au tribunal pour décrocher des audiences foraines2 pour les enfants. D’ailleurs, le 9 janvier, j’ai décroché deux audiences au tribunal départemental pour Dieynaba, qui est là avec nous. Il ne demande rien au tribunal mais mon plaidoyer, c’est de demander à ce qu’ils nous accordent des audiences foraines pour que tous les enfants aient des actes de naissance. ATD doit nous soutenir dans ce sens car il l’avait réussi et cela fait plusieurs années maintenant que nous n’avons plus cette chance. Ils doivent porter ce plaidoyer aux grandes instances et à l’État. En outre, je souhaiterais qu’on subventionne les tests ADN car ils coûtent cher alors qu’ils permettent que les enfants soient déclarés à la naissance. » (Bajen Goth et la conseillère municipale Diabou Touré, Sénégal)
Réaliser une formation appropriée des agents des services et /ou une collaboration entre ONG et services de l’État
Suite à la démarche entamée en RCA et en Tanzanie, il s’avère important d’instaurer des coalitions entre tous les acteurs (familles vivant la pauvreté, agences gouvernementales, ONG, hôpitaux, matrones, agents sanitaires, écoles, chefs de villages, tribunaux, etc.) afin d’aboutir à une politique publique de l’état civil qui permette l’octroi d’actes de naissance pour tous et toutes. Les différents corps de métier et les personnes concernées s’enrichissent mutuellement en croisant leurs savoirs, donnant lieu à de nouvelles perspectives sur la réalité de l’accès à l’existence légale. Les organismes ou organisations proches des personnes concernées jouent un rôle important pour faciliter l’identification des personnes n’ayant pas d’acte de naissance.
• L’exemple de la Tanzanie. En Tanzanie le gouvernement a mis en place par le biais de différentes coalitions avec des organisations non gouvernementales (ONGs) et l’Agence gouvernementale RITA un système d’aide à l’acquisition de documents d’identité. Cette coalition a abouti à un projet de délivrance des actes de naissance aux familles tanzaniennes pour les soutenir dans les nombreuses démarches. Aujourd’hui, on constate que cette coalition a contribué à sensibiliser les familles à se mobiliser pour leurs droits civiques et à l’action active en tant que membre de la communauté. Grâce à ce projet de coalition, de nombreux enfants ont réussi à obtenir l’acte de naissance avant même qu’ils commencent leur parcours scolaire en pré-primaire et primaire. De nombreux parents des quartiers ont compris les procédures à suivre et savent demander les documents aux bureaux de RITA. Le Mouvement et les familles ont eu l’occasion de se familiariser avec les responsables de RITA, ce qui a permis de faire fonctionner le projet et d’atteindre beaucoup plus de familles dans les quartiers. Ensemble, ils ont décidé de travailler en étroite collaboration avec les hôpitaux et les écoles. Par exemple, RITA fournit actuellement des actes de naissance aux enfants qui doivent les remplir et ainsi entamer le processus auprès des directeurs d’école. RITA a également lancé une étude pilote dans cinq régions de Tanzanie pour rechercher les obstacles de l’accès aux documents vitaux.
Créer un registre et/ ou instaurer la numérisation des procédures
Les problèmes de sécurisation des données et d’archivage devront être traités.
« Je pense que la sécurisation est un premier pas. L’archivage est la deuxième chose car dans les centres, il n’y a aucune organisation. Ce qui fait que c’est très difficile de trouver des documents et en fin de compte, on demande de l’argent. Je pense que la numérisation3 permettra de régler ce problème. Au niveau de ma commune, les instructions données c’est qu’il n’est pas acceptable qu’une demande d’extrait de naissance fasse perdre du temps à la population ; avant de rentrer, on rentre avec son extrait. On ne demandera jamais à un père où a une mère de famille de revenir demain (…) Je demanderai à chaque acteur de remplir le rôle qui est le sien. » (Édouard Sène, Maire de Ndondol, Sénégal)
• L’exemple du Sénégal. Dans l’optique de lever les obstacles dans les villages et les lieux les plus éloignés, l’état civil au Sénégal a facilité la tâche de la population en donnant un cahier ou registre aux chefs de village afin qu’ils enregistrent les naissances avant d’aller les déclarer à l’état civil. C’est cela qui a amené Monsieur Lamine Ngom, chef de village de Ngogob (région de Diourbel, Sénégal), à dire :
« Au village, la population est confrontée au quotidien à plusieurs éventualités. C’est la raison pour laquelle il est avantageux d’enregistrer les enfants chez les chefs de village, puisqu’il sera facile de retrouver des traces en cas de perte ou d’incendie. Le 3 août 2023, nous avons organisé ici une audience foraine car nous sommes très conscients de ces problèmes, et 700 voire 800 personnes ont été enrôlées. Nous sommes à un taux de 85 % de déclarations de naissance dans notre commune. »
Pour lever les obstacles liés aux actes de naissance, de nombreuses mesures ont été prises par des états d’Afrique et par l’Union africaine, ainsi que dans d’autres continents. Si nous prenons l’exemple de certains pays en Afrique, un projet de digitalisation4 a été mis en place pour faire face aux problèmes d’archivage, de fraude, de corruption ou d’erreurs matérielles. Le Sénégal est l’un des pays qui a entrepris ce processus d’évaluation et de création d’une stratégie de digitalisation nationale pour l’état civil.
La Commission Documents administratifs au Sénégal veut continuer à orienter ses actions dans l’accompagnement des familles en situation difficile. Elle prévoit également d’étendre son action sur l’état civil dans les villes provinciales où le Mouvement est déjà présent aux côtés des familles.
La République centrafricaine veut se doter d’une Politique nationale de l’État Civil (PNEC). Du 23 au 25 avril 2024, le Mouvement ATD Quart Monde en Centrafrique était invité comme partenaire technique par le Ministère de l’administration du territoire, de la décentralisation et du développement local, à prendre part à l’atelier de validation du document d’orientation de la PNEC.
Améliorer les audiences foraines
Les autorités compétentes pourraient lancer des audiences foraines pour l’octroi des actes de naissance aux enfants de moins de 18 ans.
Édouard Sène, maire de Ndondol (Sénégal) : « Le problème, c’est aussi les gens qui demandent des jugements tous les deux ou trois ans ; ce n’est pas possible qu’on ait des gens qui ont trois ou quatre extraits de naissance. On ne peut pas se permettre de remplir des registres qui ne servent absolument à rien. Un extrait de naissance est délivré une seule fois dans la vie ; ça ne peut pas être délivré X fois en fonction des intérêts, des conjonctures ou des situations. Il faudrait que nous ayons une posture de vérité par rapport à nous-mêmes, à nos responsabilités et par rapport aux populations qu’on est censé administrer. »
Créer un observatoire dans la région Afrique
Ne serait-il pas opportun de réfléchir à la création d’un observatoire sur l’état civil ? Ses objectifs pourraient être de conscientiser, inspirer, faire rayonner, documenter, proposer de bonnes pratiques et évaluer les avancées dans les pays de la région Afrique. Il s’agirait d’un groupe d’une dizaine de personnes composé de décideurs, de chercheurs, de personnes en situation de pauvreté et de partenaires. Cet observatoire pourrait avoir un mandat de plusieurs années et soumettrait annuellement son rapport.
Rédiger un manuel d’inventaire des situations complexes
La préparation de cette rencontre nous montre qu’il y a une richesse énorme d’expériences quand il s’agit de l’obtention des actes de naissance. Les expériences positives restent trop souvent dans l’ombre et inconnues. Ne faudrait-il pas rédiger un manuel rassemblant les succès, les bonnes pratiques ainsi que des situations complexes où des obstacles ont été surmontés ?