Cela nous donne de l’énergie de les voir grandir. Notre affection leur donne la force de se battre pour réussir dans la vie. Nous voulons qu’ils sachent que nous les aimons. Nous tâchons de leur transmettre du mieux que nous pouvons les valeurs que nous avons reçues de nos propres parents, par exemple, le respect des autres. S’il n’y a pas de respect, c’est la décadence parce que les enfants n’ont plus de repères. Nous voulons aussi leur apprendre à prendre leurs responsabilités.
D’autres n’ont pas connu leurs parents, ils cherchent alors leurs repères ailleurs. « C’est sur ma grand-mère que j’ai pris exemple. Je pense que l’amour que j’ai aujourd’hui, c’est elle qui m’a appris à le donner. »
« Je compare l’éducation de mes grands quand j’avais 20 ans et l’éducation de mes petits que j’ai maintenant. Je gâte les petits en compensation du fait que je n'ai pas pu gâter les grands. Je vais leur donner plus de chances. Quand ma grande fille a voulu arrêter l’école, je lui avais dit : “Vas-y, arrête”. Pour moi, c’était son choix. J’avais plutôt pitié d’elle. Mais maintenant je me dis que j’aurais dû la pousser. »
« Nous avons souvent une vie difficile. Malgré tout, nous essayons d’avoir des temps de joie, de bonheur. »
Nous vivons ou avons souvent vécu dans des conditions très difficiles à cause des rentrées d’argent irrégulières ou même inexistantes ou parce que nous vivons dans un logement insalubre ou en caravane.
« Avant, j’étais en caravane. C’est la vie qui a fait comme ça. Alors tu es mal vu. J’avais une situation assez difficile et j’ai mis les enfants à l’école tardivement. Mon garçon ne voulait pas y aller et je ne l’ai jamais vraiment poussé. Ma fille était intelligente, mais avec la vie que je menais, elle a fait 7 écoles en une année scolaire. Elle s’est toujours débrouillée. »
« Quand la vie est vraiment très difficile, nous avons tellement peur pour nos enfants que nous en sommes très proches... Quand j’étais toute seule, je devais faire la mère et le père. J’ai vécu avec un alcoolique et après je me suis retrouvée toute seule... Je regardais dans le porte-monnaie et comptais ma petite monnaie pour acheter une baguette ou du lait... Le soir, je faisais garder les enfants et je faisais des ménages à droite et à gauche... J’allais sur les marchés, je ramassais tous les légumes qui étaient restés. »
« On vivait en squat, c’était la misère. Je vivais dans le noir, sans l’eau courante, sans électricité, sans rien. Mais mes gosses étaient toujours propres, ils étaient toujours à l’école, toujours polis. Des fois je me retrouvais toute seule, je pleurais. Quand mes enfants arrivaient, nous allions manger au restaurant. Nous rentrions le soir, et nous nous amusions quand même : nous dansions, nous chantions. »
« Quand la vie devient trop difficile, nous demandons de l’aide. Mais les solutions que l’on nous impose ne sont pas celles que nous attendions. »
Quand la vie est très difficile, nous nous rendons compte que cela peut être intenable pour les enfants. Nous nous serrons les coudes tant que nous pouvons dans la famille mais parfois les bagarres éclatent. Et puis l’alcool n’est jamais très loin, les ruptures et l'isolement peuvent arriver...
Nous demandons de l’aide. Un signalement est fait par l’école ou par les services de santé ou par les voisins. Et les solutions qui sont proposées ne sont pas toujours celles que nous espérions : « Nous vivions avec les deux enfants de un et deux ans dans un garage, sans eau, sans électricité, sans WC, sans rien. Alors les enfants ont été placés. Nous attendions un logement, le chauffage, de l’argent pour manger et un travail pour que les enfants soient fiers de nous. Mais au lieu de cela, on nous a kidnappé nos enfants. En février 1999, nous avons été convoqués par le juge et nous avons pu récupérer les enfants tous les quinze jours. Ça se passe très bien, les enfants sont très heureux, et ils ne veulent plus quitter la maison. Pour les décisions qui concernent les enfants, nous sommes mis au courant de tout et nous donnons notre avis. »
Les enfants de ce couple, qui ont 13 et 14 ans aujourd’hui, ont témoigné eux aussi : « On est venu nous chercher pour nous mettre dans une famille d’accueil. On a dit à mes parents que nous en aurions pour un ou deux ans. Et maintenant j’ai 13 ans et je suis toujours dans la famille d’accueil très gentille. Mais depuis le 25 février 1999, je suis chez mes parents tous les quinze jours et je voudrais bien y aller toutes les semaines. Mon père travaille depuis février 1999 et c’est grâce à ça que nous pouvons aller chez eux. »
« Quand l’enfant est placé, nous vivons un grand déchirement. »
Parfois le placement est bénéfique pour les enfants. Il arrive que nous demandions nous-mêmes que nos enfants soient placés parce que nous savons que nous n’y arrivons pas tout seuls. Des adultes qui ont été placés dans leur enfance disent qu’ils ont pu apprendre à travailler, à « faire quelque chose de leurs doigts ». Pour nous les parents, la période où les enfants ne sont pas à la maison peut nous donner l'occasion d’apprendre, de nous préparer à leur retour. Mais la période du placement crée quand même de grandes souffrances.
Nous avons trop souvent l’impression que nos enfants sont placés pour nous punir. Rien ne nous est expliqué, même pas les raisons du placement.
L’absence, le vide créé par le départ des enfants, est insupportable parce qu’on ne nous dit pas toujours où ils ont été emmenés.
« Quand on nous retire des enfants, c’est comme si nous perdions la vie. Et puis nous nous battons constamment pour eux. Quand nous allons au tribunal ce sont des crises d’angoisse : qu’est-ce que nous allons leur dire ? Qu’est-ce qu’ils vont penser de nous ? Nous mettons nos enfants au monde mais c’est la Justice qui décide. »
« Le placement crée une rupture. S'il dure plusieurs années, il est de plus en plus difficile de reconstruire les liens. »
Le placement est la rupture du lien entre les parents et les enfants. Après plusieurs années de séparation, nous devons nous réadapter les uns aux autres. Nous devenons comme des étrangers, c’est une nouvelle souffrance : « Je me rappelle les premiers moments du retour de ma fille. Je ne la reconnaissais pas. Et nous avons eu du mal à nous adapter toutes les deux. »
Le placement ne donne que la sécurité matérielle. Quand on dit que l'enfant est en danger, il est en danger par rapport à quoi ? C'est parce que nous vivons à cinq dans un deux-pièces ? Ou bien est-ce parce que les parents sont au chômage ? La solution serait alors de trouver un travail et un logement. Il se peut qu'on reproche à certains d'être alcooliques. Mais ça ne veut pas dire que nous n'aimons pas nos enfants. La solution n'est pas de placer les enfants mais de soutenir les familles.
Quand les enfants reviennent à la maison pour les week-ends ou pour les vacances, nous les gâtons pour leur montrer que nous les aimons. Avant de repartir, ils nous demandent parfois pourquoi ils ne reviennent pas définitivement. Nous n’avons pas toujours le courage de leur expliquer. Ils vivent cela comme une trahison. Et il arrive que nous n’ayons pas la force de les renvoyer, ce qui nous met encore en défaut. Nous n’avons plus rien à dire, c’est le juge ou l’éducateur.
« Quand un enfant est placé, ou qu’il y a une AEMO, nous nous sentons surveillés. »
Quand la vie est difficile, nous pensons que nos enfants vont être placés : nous connaissons tous des familles à qui c’est arrivé. Alors nous essayons de ne pas nous faire remarquer. « Quand j’étais en vadrouille avec mes gosses, j’ai toujours eu peur de demander de l’aide au niveau social, parce que qui dit social, dit placement. Je voulais vivre cachée. Je les mettais à l’école parce qu’il le fallait. Si tu demandais de l’aide, ils demandaient des papiers... J’avais peur de faire voir des papiers parce que dès que je me déclarais, j’étais repérable. Mes enfants le savaient, ils le voyaient. Mais ils sont géniaux parce qu’ils ne se sont jamais plaints de la vie de bohème que nous avons eue. Ils n’ont pas toujours bien mangé, ils n’étaient pas toujours bien fringués. Tout ce qui comptait pour eux, c’était qu’ils étaient avec maman. »
Quand nous sommes suivis par un éducateur en AEMO, nous avons peur de mal faire, nous avons peur de nous défendre. Et pourtant il y aurait de quoi dire non, car « il y a des éducateurs qui vont vous faire subir même ce que le juge ne demande pas. Normalement une éducation en milieu ouvert c'est un accompagnement pour les parents, c'est pour les aider, ce n'est pas pour les enfoncer. L'éducatrice, elle arrive ici et elle vous dit : "Si vous ne faites pas ça, moi j'en réfère à la juge." Vous avez l'éducatrice et la juge qui décident pour vous. »
Nous nous sentons surveillés. « Plus ils me disaient que je faisais mal certaines choses, plus je le croyais. Je croyais que j'étais une mère indigne. » Et puis l’éducateur ou l’éducatrice nous questionne pour savoir ce qui se passe dans la famille. Nous avons droit à nos petits secrets avec nos enfants. Parfois l’intrusion dans notre vie est insupportable, alors certains s’énervent et insultent le juge ou l’éducateur. Mais ça se retourne toujours contre nous.
Quand les relations sont bonnes, qu'il y a de la confiance entre nous et l'éducateur, l'AEMO devient vraiment un soutien et on peut dialoguer.
Quand les relations sont mauvaises, c'est toujours nous qui sommes punis : les enfants ne nous sont pas rendus ou l'AEMO est prolongée. Nous sommes accusés de ne pas coopérer. Nous n'avons aucun moyen de changer les choses. Quand nous demandons de changer d'éducateur ou de nourrice, la plupart du temps le juge confirme la mesure.
« Le placement ou l'AEMO, nous les vivons comme un engrenage. »
Tant que nous ne sommes pas repérés par les services sociaux, tout va bien. C'est pour ça que beaucoup préfèrent ne rien demander. Mais si nous nous faisons connaître, alors nous avons l'impression de mettre le doigt dans un engrenage. Nous ne maîtrisons plus rien.
Nous avons trop souvent l'impression que ce qui intéresse les éducateurs ce sont les enfants et ils ne voient pas la famille. C'est trop souvent le droit des enfants contre le droit de vivre en famille. Et pourtant l'un ne va pas sans l'autre.
« Ce que nous demandons : être écoutés et soutenus. »
Nous voulons que les juges nous conseillent, nous orientent. C'est normal qu'ils nous disent ce que nous avons fait. Il faut qu'ils nous écoutent et qu’ils nous laissent nous défendre.
Nous ne parlons pas la même langue, nous ne sommes pas du même monde. Les juges ne comprennent pas ce que nous disons parce qu'ils ne nous connaissent pas. Trop souvent, ils ne s'appuient pour prendre leurs décisions que sur les rapports des services sociaux. Quand nous arrivons devant le juge, nous ne pouvons pas nous expliquer. La décision est déjà prise et nous n'avons plus qu'à écouter le verdict. Nous nous sentons condamnés.
Nous savons que nous pouvons être défendus par un avocat. Beaucoup d’avocats ne nous comprennent pas toujours. Ils parlent comme les juges.
Il est même arrivé qu’une audience ait lieu sans la présence des parents alors que ceux-ci avaient demandé un report d’audience pour pouvoir désigner un avocat.
« Il faudrait que des gens qui connaissent notre vie soient formés au langage de la Justice : des médiateurs. »
Pour les rencontres avec le juge, nous avons besoin de médiateurs qui comprennent ce que nous vivons. Nous pourrions alors comprendre une mesure prise et nous pourrions dialoguer. Il faut qu’on nous fasse confiance.
Il y a une autre solution : c'est que tous les services qui peuvent être en relation avec des familles pauvres reçoivent une formation complémentaire. Nous pensons aux juges, aux avocats, mais aussi aux travailleurs sociaux, aux médecins, aux enseignants, à la police. Nous sommes trop souvent jugés sur une première impression sans que nous puissions nous expliquer.