Le fait d’être infirmière hospitalière et alliée du Mouvement ATD Quart Monde a influencé ma vie professionnelle et ma vie personnelle. J’ai connu personnellement deux familles très défavorisées auprès de qui je me suis engagée avec d’autres pour leur trouver un logement. A l’hôpital, j’ai mesuré les conséquences de certaines pratiques dans les soins prodigués aux personnes en situation de grande pauvreté. Ces dernières ne sont pas spontanément considérées comme des partenaires. C’est pourtant ce type de relations que j’ai essayé de bâtir avec elles. Auprès de mes collègues et à l’occasion des formations organisées dans les Instituts en soins infirmiers (ISI), j’ai sans cesse cherché à combattre l’ignorance ambiante en témoignant de ce que vivent les familles en grande pauvreté et en attestant leur quête de citoyenneté et de dignité.
Récemment j’ai rendu un travail de recherche pour l’obtention d’un diplôme de Santé publique qui a pour titre « L’hôpital public et l’accueil des populations défavorisées : quelles pratiques pour quelle prise en charge ? Résultats d’une enquête auprès des services de soins infirmiers1. » J’ai procédé à des entretiens de groupe semi-directifs avec huit équipes issues des unités de soins conventionnelles en médecine et en chirurgie, au centre hospitalier universitaire de Strasbourg. Il s’agissait d’apprécier dans quelle mesure les personnes démunies pouvaient compter sur le soutien des professionnels pour exercer leurs droits fondamentaux. Il s’avère en effet que ces professionnels se sentent souvent en situation d’échec vis-à-vis de ces personnes tant pour leur prodiguer des soins appropriés que pour leur transmettre un certain savoir relatif à la santé, par ignorance ou méconnaissance de leurs conditions de vie, par manque aussi de moyens structurels et humains.
Une rencontre avec un groupe du programme « Quart Monde Partenaire »2 à la Maison Quart Monde d’Alsace m’a permis d’entendre ce que des personnes très pauvres avaient à dire sur leur expérience de malades hospitalisés : le regard de certains professionnels, leurs jugements, leur manque d’écoute et de dialogue, l’insuffisance de leurs explications sont ressentis comme des comportements portant atteinte à la dignité et créant une insécurité. Elles éprouvent de la peur face à ce qui leur arrive, manifestent de l’agressivité ou au contraire se replient sur elles-mêmes. « La parole pour comprendre, c’est important. Il faut nous aider à exprimer ce que nous ressentons et nous parler avec des mots que nous pouvons comprendre. Nous avons le sentiment que nous ne sommes pas considérés, que l’on nous croit incapables de comprendre. Alors nous n’insistons pas. Pourtant pour bien soigner il faut bien informer. »
J’ai souvent entendu de tels propos dans les Universités populaires Quart Monde. J’ai pu les transmettre à mes collègues de travail et en faire part lors de l’accueil à l’hôpital de personnes de milieu défavorisé. L’impact de ces témoignages est réel. Si nous en tenons compte, nous pouvons nous engager à agir autrement.
La vraie difficulté survient quand nous ne parvenons pas à aller jusqu’au bout de la démarche des soins : lorsque le malade les refuse, lorsque le personnel est déstabilisé par sa misère. Et quand cette personne est hospitalisée une nouvelle fois parce que son état de santé s’est encore dégradé, alors nous prenons conscience de l’incapacité de notre société à prendre en charge une partie de sa population. Mais certains professionnels ont tendance à considérer que certaines personnes ne veulent pas ou ne savent pas se prendre en charge.
Il faut dire que l’organisation des soins à l’hôpital n’est pas toujours adaptée à l’accueil des personnes défavorisées. Le temps et la disponibilité qui seraient nécessaires font souvent défaut dans la conjoncture actuelle : manque de personnel, manque de formation à la connaissance des populations défavorisées, relais extérieurs inefficaces pour les soins de suite.
En application de la loi relative à la lutte contre les exclusions du 29 juillet 1998, le service public hospitalier a pourtant mission de participer à la lutte contre l’exclusion sociale (cf. article 155). Les établissements doivent même s’assurer « qu’à l’issue de leur admission ou de leur hébergement, tous les patients disposent des conditions d’existence nécessaires à la poursuite de leur traitement » (cf. article 73).
Dans mon établissement une réflexion est engagée avec le groupe de pilotage de la Permanence d’accès aux soins (PAS) pour faire évoluer nos pratiques de façon à assurer une meilleure prise en charge des populations défavorisées.