Football

Bruno Dabout

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Bruno Dabout, « Football », Revue Quart Monde [En ligne], 167 | 1998/3, mis en ligne le 05 janvier 1999, consulté le 28 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/2770

Au cours des matches de ce Mondial, les joueurs respectent les décisions de l’arbitre. Ils respectent les adversaires, les relèvent quand ils tombent, les félicitent ou les consolent à l’issue de la rencontre sportive. Au club de football « L’Etoile Sportive », auquel je participe, les joueurs contestent souvent l’arbitre ; les insultes, voire les échanges de coups avec l’adversaire ne sont pas rares. Mais c’est toujours pour le respect !

Les 400 enfants et jeunes viennent d’une dizaine de cités et quartiers, à quelques kilomètres du grand stade de Saint-Denis et il doit y avoir à peu près autant d’origines nationales que de pays participant au Mondial. Les joueurs de « L'Etoile Sportive » sont fiers d’une réputation de virtuose du ballon. Ils jouent flamboyant, tout pour l’attaque. Ils ont une telle soif de reconnaissance et de respect qu’ils ont parfois du mal avec les règles. Alors, être dirigeant, entraîneur ou arbitre... cela demande beaucoup de mérite.

A 6 ou 10 ans, pour entrer dans le club, pas besoin de parent pour te présenter ou t’accompagner. Tu arrives avec un copain, à moins que ce ne soit un jeune de ta cité qui t’emmène. Pas besoin de payer avant de jouer. Tu viens, tu joues. Ensuite, on voit. La cotisation annuelle, c’est le prix d’une activité pour un trimestre au centre social du quartier. En plus, ici, tu payes quand tu peux. Impossible de te faire rejeter parce que tu es trop turbulent ou que tu fais des bêtises plus ou moins graves, il y a toujours pire que toi.

Tu viens à l’entraînement, tu joues les matches. Tu ne viens pas à l’entraînement, on te dit que tu ne joues pas. Mais souvent, tu joues quand même car, à force de jouer tous les jours devant ton immeuble, tu es devenu un virtuose. A 12-13 ans, tu jongles avec un ballon de football à la manière d’un professionnel et tu récites les résultats des championnats de France, d’Italie et de la coupe d’Afrique. Les responsables des équipes sont de jeunes adultes qui veulent rendre au club ce qu'il leur a apporté étant enfants ; leur situation personnelle est souvent pleine d'incertitude : les études, les débuts d’un projet professionnel ou les petits boulots et la galère. Pas facile de tenir un engagement bénévole si on est soi-même dans la précarité.

Cette année, le plus difficile a été le transport des enfants. Pas de parents pour accompagner en voiture, ni de bus mis à disposition par la municipalité. Les équipes de benjamins, une trentaine d’enfants de 10 ans, ont pris bus, métro, train de banlieue sans avoir toujours tous les tickets nécessaires. Ils ont fait aussi beaucoup de marche à pied pour rejoindre les stades. Et ils ont dû déclarer forfait pour certaines destinations trop lointaines ou trop risquées sans billet de transport en commun.

A « L'Etoile Sportive », on se bat - de différentes manières - mais toujours pour le sport et pour le respect. Dans le club, il y a des relations d’amitié et de solidarité profondes entre ceux qui ont du mal et ceux qui s’en sortent. Mais contrairement au Mondial, l’organisation et les finances sont catastrophiques et d’une année sur l’autre, le club ne sait pas s’il pourra continuer. Cela n’empêche pas les joueurs de « L'Etoile Sportive » de se passionner pour le Mondial, devant leur téléviseur, à quelques kilomètres du Stade de France.

Bruno Dabout

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