Personne ne les prend dans les bras

ACER Russie

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ACER Russie, « Personne ne les prend dans les bras », Revue Quart Monde [En ligne], 209 | 2009/1, mis en ligne le 05 août 2009, consulté le 10 décembre 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/3108

Les volontaires de l’association russe « Otkazniki », soutenus par l'association Acer- Russie, sont présents dans les hôpitaux du pays qui accueillent les enfants orphelins, sans existence légale, ou refusés de partout. Ils sont témoins des conditions effroyables dans lesquelles ces petits sont obligés de grandir. La récession économique et le manque de moyens aggravent encore la situation. Le Comité de rédaction du bulletin Acer-Russie nous autorise à en reproduire des extraits évocateurs.1

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La Russie est entrée en récession depuis déjà deux trimestres. Depuis la fin de l’année 2008, les fonctionnaires russes et le gouvernement se déclaraient impuissants à endiguer une très forte hausse des prix. Cette situation est aggravée par une importante fuite des capitaux, la Banque centrale de Russie l’estime à 100 milliards de dollars pour 2008.

Les classes moyennes apparues dans les grandes villes russes sont fragilisées et touchées par le chômage ; que dire alors des millions d’habitants vivant déjà sous le seuil de pauvreté avant la crise.

Dans les grands centres urbains, en province, des familles disloquées par la misère, brisées par l’alcool ou les stupéfiants, abandonnent leurs enfants à la rue ou les déposent dans un orphelinat.

Des enfants sans protection

En 2007 le ministère de l’Education russe dénombrait 742 000 orphelins. A titre de comparaison, après la deuxième guerre mondiale le pays n’en comptait que 680 000.

Le nombre d’enfants abandonnés, comme lors des épidémies au cours des siècles passés, s’accroît avec l’insécurité et l’instabilité d’un pays. Les guerres et les récessions économiques jettent les gens à la rue ou sur les routes laissant derrière eux des enfants sans protection.

Cependant, 80% des orphelins ont au moins un parent en vie qui les rejette ou qui est dans l’incapacité de prendre soin d’eux. Macha K., une journaliste, s’est fait embaucher dans un orphelinat de la région de Moscou pour enquêter sur les conditions de vie dans les institutions. Elle a eu la surprise de voir des parents rendre visite à leurs enfants. Démunis, sans travail, ils préfèrent abandonner leur enfant pour qu’il ait à manger chaque jour et reçoive une éducation.

Chaque année le nombre de personnes déchues de leurs droits parentaux augmente. La précarité entraîne des comportements violents ou addictifs de plus en plus fréquents dont sont victimes les enfants. C’est ainsi qu’ils viennent grossir les rangs des enfants des rues ou qu’ils sont pris en charge par les services sociaux.

Condamnés à vivre à l’hôpital

Pour l’accueil des enfants orphelins, la Russie dispose d’environ 2 000 institutions sous forme d’orphelinats municipaux, orphelinats familiaux, foyers, maisons de jeunes enfants. Des bâtisses parfois immenses, pouvant accueillir jusqu’à 700 enfants, se dégradent depuis cinquante ans. Depuis longtemps les budgets d’entretien ont disparu. Un toit ou une chaudière ne sont souvent réparés que grâce à l’imagination du directeur de l’établissement.

Un phénomène inquiétant a vu le jour en Russie : des enfants abandonnés à leur naissance et qui vivent dans un hôpital. Ces enfants parfaitement en bonne santé grandissent à l’hôpital dans l’atmosphère confinée de la maladie et du désinfectant, mangent de la nourriture pour malades, passent leurs journées alités. Ils ne reçoivent aucun des soins et encore moins l’affection nécessaires à leur épanouissement. Ils se retrouvent dans cette situation principalement pour deux raisons : le manque de place dans les maisons d’enfants, c’est-à-dire les orphelinats qui accueillent les enfants de la naissance jusqu’à l’âge de trois ans, ou l’absence de situation administrative claire.

Ainsi de Maria, deux ans, qui « n’existe pas » officiellement. Comme il n’y a aucune trace de sa naissance, elle n’a aucun statut. Elle est née à Moscou et sa mère qui a disparu était déclarée à Lioubertsy. Les fonctionnaires des organes de tutelle se sont transformés en détectives depuis plusieurs mois mais à l’heure actuelle, Maria n’a toujours aucune preuve de sa naissance. Maria est donc condamnée à vivre à l’hôpital, sans papiers, elle ne peut ni intégrer une maison d’enfants, ni rejoindre une famille.

Il est difficile d’estimer leur nombre mais ils sont sans doute quelques milliers. Chaque grand hôpital pédiatrique a ses « otkazniki » (enfants refusés), nombreux dans les grands centres urbains, - 180 ont été dénombrés dans un hôpital de Voronej, mais parfois un ou deux dans les régions excentrées-. C’est un flux très mouvant car de nouveaux arrivent, d’autres obtiennent une place dans une maison d’enfants, sont placés dans une famille d’accueil ou adoptés. A certaines périodes, le phénomène s’amplifie, après les fêtes de Noël par exemple. Ou bien des circonstances particulières entraînent une recrudescence du nombre d’ «otkazniki ». En 2006, lorsque la Russie a décidé de ralentir l’adoption internationale, aucune place ne se libérait plus dans les maisons d’enfants et les enfants abandonnés se retrouvaient systématiquement à l’hôpital comme à Ekaterinbourg et à Tomsk.

Le profond désarroi qui a gagné la Russie dans les années quatre-vingt-dix est toujours prégnant dans les couches les plus fragiles de la société. Un phénomène assez récent est l’augmentation du nombre de très jeunes mères de quinze ou seize ans qui abandonnent leur enfant sous la pression familiale. Selon la loi, un enfant abandonné à la naissance doit subir un examen médical complet avant son entrée dans une structure d’accueil. Il est donc envoyé de la maternité à l’hôpital et si aucune solution de placement n’est possible, il y reste. C’est ainsi que de nombreux nouveau-nés y échouent.

S’il est difficile, dans les conditions actuelles, d’envisager une politique sociale efficace et respectueuse de l’individu, quelques mesures pourraient néanmoins être prises dans un délai raisonnable pour améliorer le sort de ces enfants abandonnés. Le développement du placement familial et de l’adoption nationale permettrait de sortir ces enfants des hôpitaux très rapidement. Créer une instance unique semble indispensable pour gérer rapidement chaque cas sur le plan administratif et trouver une solution rapide pour chacun des enfants.

Des « consignes » pour orphelins

Mais des enfants arrivent aussi des orphelinats et maisons d’enfants qui sont surpeuplés. La milice amène des enfants des rues ramassés dans des gares, des parents laissent leur enfant parce qu’il souffre d’un handicap, etc. Personne n’a l’air choqué d’abandonner un enfant dans un hôpital, dans un lieu fermé régi par des règles très strictes. Par exemple, les visites sont interdites, à l’exception de celles des sœurs de charité. Le personnel médical n’a ni le temps, ni la formation pour s’occuper de ces enfants qui représentent une charge supplémentaire. C’est la raison pour laquelle ces petits enfants sont bien souvent livrés à eux-mêmes, enfermés dans une chambre, parfois attachés à leur lit ou bâillonnés. Certains ne connaissent pas d’autre environnement que les quatre murs de leur chambre, ignorent ce qu’est un jouet, ne savent pas ce qu’est un câlin.

C’est ainsi que certains hôpitaux pédiatriques se sont transformés en « consignes » pour orphelins.

La déchirante histoire qui s’est produite à Orekhovo-Zouevo a frappé l’opinion publique alors que ne s’est pas encore calmé le scandale d’Ekaterinbourg où l’on collait du sparadrap sur la bouche des bébés.

Des médecins et des infirmières de la région de Moscou, pour s’occuper de Nastia, un an et demi, et d’Artiom, deux ans, les attachaient aux barreaux de leurs lits avec des draps. Et ce n’est pas un cas isolé. Le problème ne concerne pas les qualités morales de telle ou telle infirmière mais les conditions de vie dans des hôpitaux d’orphelins en âge d’être adoptés. Selon les documents officiels du ministère de la Santé, jusqu’à l’âge de trois ans, les enfants qui n’ont pas trouvé de nouvelle famille doivent, après examen médical, être transférés dans une maison pour enfants ou un foyer. Dans la pratique, ils continuent à vivre à l’hôpital où il n’est pas prévu que le personnel s’occupe d’eux. Mieux encore, les soins aux orphelins n’entrent en aucun cas dans les attributions du personnel des hôpitaux.

Il y a aussi des miracles

Le témoignage de Karina Naraevskaya a été publié par Novye izvestia le 17 avril 2007.

« Kimry, une petite ville de la région de Tver. Un bâtiment en béton est entouré de petites maisons en bois sculpté et ne ressemble en rien à un hôpital. Un palier banal, une cage d’escaliers ordinaire, juste une inscription sur la porte ‘Service pédiatrique’ montre que nous sommes arrivés. Entrer est facile mais fermer la porte est très dur - elle est fendue -. Le chauffage n’est d’aucun secours même avec la porte fermée. Les courants d’air passent par les fenêtres. Dans les toilettes, un robinet qui goutte entouré d’un chiffon, dessous un seau en aluminium. Le sol est recouvert d’un linoléum datant de la période du socialisme développé. Sur le côté, une petite chambre - ici on l’appelle « l’aquarium » - dans laquelle les bénévoles entreposent l’alimentation pour bébés et les couches. Moscou-Kimry c’est loin, c’est pourquoi les bénévoles ne viennent qu’une fois par mois avec de grandes quantités de tout ce qu’ils peuvent rassembler.

Le médecin-chef de l’hôpital explique à Novye izvestia qu’il n’est pas rare que les enfants arrivent en pleine forme et qu’ensuite ils se replient sur eux-mêmes : ‘Il y avait une petite fille de six mois qui voulait déjà apprendre à marcher, qui balbutiait ses premiers sons. A son arrivée, elle s’est arrêtée de gazouiller et a même cessé de répondre. Ca arrive souvent’.

Mais il y a aussi des miracles. Il est arrivé que soit adopté un petit garçon séropositif de quatre ans, et avec lui sa sœur. Pour adopter la petite Varia âgée d’un an, il y avait toute une queue. C’est grâce aux bénévoles mais à l’encontre de la politique du gouvernement, ou plus exactement d’un manque de politique claire. Le médecin-chef de l’hôpital de Kimry dit que tous ces malheurs sont dus au manque de personnel dans les hôpitaux. »

Les enfants sont condamnés à passer des jours et des nuits allongés sur leurs lits, enveloppés dans des couvertures poussiéreuses, à avaler une soupe de pommes de terre avec des légumes trop cuits et se laver à l’eau froide. « Nous allons les voir parce qu’à part nous, personne ne va les promener, jouer avec eux, les prendre dans les bras. » raconte Marina Andreeva, une bénévole du mouvement « Otkazniki ». «  Beaucoup de petits ne savent même pas sourire. »

Une association réagit

« Otkazniki » (enfants refusés) est une association russe qui a décidé de réagir. Des bénévoles s’organisent pour visiter les hôpitaux, apporter une aide psychologique, matérielle et éducative à ces enfants.

Sa présidente, Elena Alchanskaya, philosophe de formation, a créé un groupe de soutien aux enfants dans les hôpitaux après avoir vu elle-même les conditions déplorables dans lesquelles ils étaient accueillis. Elle pense qu’il faudrait avant tout réformer le système d’accueil des orphelins dans des familles : « Ce ne sont pas les organismes de tutelle mais de tout autres institutions, des centres de formation et d’accompagnement des familles, qui doivent s’occuper du placement familial. On doit créer un département unique qui répondra des orphelins ; une des raisons des défaillances est que trois ministères plus une administration locale (les organes de tutelle) répondent d’eux. La conséquence en est que chacun répond un peu, et personne pour la situation dans sa globalité. »

« Otkazniki » a reçu le statut d’association en février 2007. Jusqu’à cette date, l’association s’est développée de façon non officielle sous forme d’un mouvement de bénévoles, sans bureau et sans frais de fonctionnement. En quelques années, les membres de l’association ont réussi à couvrir une centaine d’hôpitaux qui hébergent des enfants.

Aujourd’hui, l’association continue à être une organisation principalement composée de volontaires. Elle dispose d’un site Internet qui sert de « bureau » aux membres.

1 Pour l’association Acer-Russie, voir le site : www.acer-russie.org
1 Pour l’association Acer-Russie, voir le site : www.acer-russie.org

CC BY-NC-ND