Au Québec aussi, des citoyens demandent une politique globale de lutte contre la pauvreté. Le montre cette lettre virulente adressée au ministre de l’Education et publiée dans le quotidien Le Devoir, le 10 octobre. Son auteur a bien voulu la transmettre à l’équipe d’ATD Quart Monde qui travaille à Montréal :
M. le Ministre, en cette journée du Sommet mondial de l’Enfance, je me souviens… Dans les années quarante, mon père disait « Vendredi, ventre nous retire », allusion au repas à prendre sans viande. Je me souviens aussi des bouteilles d’huile de foie de morue reçues en cachette à l’école, de mon père découragé d’avoir perdu son dernier emploi de journalier, de ma mère qui jonglait avec les maigres revenus, des dîners au gruau de ma famille quand j’étudiais pour devenir professeur. Je me souviens aussi de l’humiliation de ma mère, quand « en dernier recours », elle devait demander de l’aide ! ! !
En 1991, « Ventre nous retire », après le loyer et le chauffage payés, ce sont les derniers jours du mois ! Votre solution ? Le programme d’aide alimentaire pour des milliers d’enfants de nos écoles à Montréal et à Québec. Vous en êtes fier ! Moi, j’ai honte et il me faut le dire, honte que comme société québécoise, nous en soyons rendus collectivement à ce « dernier recours »… pour nos enfants, pour les familles !
Quand un écolier a faim, le frère de trois ans a faim, sa mère aussi ! Le 6 septembre dernier, vous avez parlé de votre volonté « de donner à tous les enfants une chance égale de réussir à l’école »… La chance égale, ça commence tout petit ! Dans votre programme d’aide, rien pour les familles ! Pourquoi ne pas avoir opté pour une aide directe à la famille ?
M. le Ministre de l’Education, quand vous parlez « …d’aide significative aux parents dans l’élaboration du budget familial et la composition de menus équilibrés... » êtes-vous en train de dire aux familles québécoises appauvries, celles d’aujourd’hui et de demain, qu’elles sont incapables de nourrir leurs enfants ? Qu’elles ne savent pas gérer leur budget ? Il faut pourtant du génie et calculer et recalculer pour survivre une fois le loyer payé ! Encore plus à l’heure de la rentrée scolaire ! Êtes-vous en train d’institutionnaliser une nouvelle forme d’assistantialisme et de dépendance, de prendre la place des parents… ? Je le crains et c’est un cercle vicieux ?
Êtes-vous en train de nier la responsabilité de notre société de créer les conditions nécessaires pour que le droit des familles à nourrir correctement leurs enfants soit respecté ? Pourquoi ce droit fondamental est-il violé en 1991 ? A cause des emplois précaires, des salaires minables, des loyers exorbitants, des emplois perdus, des culs-de-sac des 18-30 ans et enfin de la réforme de l’Aide sociale. Est-ce à cause de cela qu’au Plateau Mont-Royal, treize de nos seize écoles sont visées par votre plan ? …
Au carrefour Justice et Foi du Plateau Mont-Royal, la faim est un dossier prioritaire à quatre niveaux : promotion des alternatives économiques (cuisines collectives, groupes d’achats économiques) ; promotion des initiatives de solidarité pour et avec les familles ; promotion d’une concertation « Ecoles-Familles-Milieu communautaire », urgente dans notre quartier. Sans oublier, M. le Ministre, la promotion et la revendication de politiques familiales, de politiques de logements abordables et de politiques écologiques de création d’emplois décents qui confirmeraient le droit des familles à nourrir leurs enfants ! De ces politiques, serez-vous le promoteur ?