Porte ouverte

Ghislaine de la Forest Divonne

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Ghislaine de la Forest Divonne, « Porte ouverte », Revue Quart Monde [En ligne], 133 | 1989/4, mis en ligne le 05 mai 1990, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4160

Qui ne trouve régulièrement dans sa boîte aux lettres des publicités aux titres accrocheurs : « De plus en plus d’agressions, protégez votre appartement » ou « Blindage toute porte, haute sécurité, devis gratuit » ?

Qui ne voit tous les jours dans les entrées d’immeubles ce type d’écriteau : « Interdit à tout démarcheur, colporteur, quêteur, sous peine de poursuite » ?

Agressé par la vie moderne, l’homme d’aujourd’hui vit de plus en plus barricadé derrière ses verrous, blindages, alarmes, codes d’entrée et aussi son interphone.

Dans la ville de banlieue parisienne où nous habitons, cette petite grille, banale en apparence, envahit insidieusement les rues, protégeant l’accès d’immeubles ou de maisons qui n’en ont aucun besoin. On allègue la sécurité et pourquoi pas certes… Mais n’y a t-il pas d’autres motivations moins avouables ? Par exemple le refus d’être dérangé, gêné par des gens qu’on ne connaît pas et qui pourraient vous demander quelque chose. Par interphone interposé, quoi de plus facile de les éconduire.

A la maison, avec mon mari, on en a décidé autrement. Pas d’interphone. On sonne, j’ouvre. Comme autrefois. Rien de plus simple, mais pas toujours facile en réalité, car à partir du moment où on a ouvert sa porte, accepté le contact, on s’est déjà un peu engagé.

Ainsi j’ai connu Yasmina, une femme très pauvre d’origine italienne. Son mari de nationalité turque l’a abandonnée avec ses cinq enfants dans une roulotte perdue dans un coin de la banlieue nord. Elle vient régulièrement sonner à la maison, pas tellement pour que je lui donne, mais surtout pour parler, partager avec quelqu’un ce qu’elle vit, ce que font ses enfants en classe, etc. Depuis que des liens d’amitié se sont créés, on déjeune ensemble avec un, deux ou trois de ses enfants et les quatre nôtres. C’est toujours elle qui fait le café … turc bien sûr ! Et quand elle repart, le moral est toujours meilleur.

Dernièrement elle m’a dit : « Tu m’invites à déjeuner, tu me fais rentrer chez toi, alors la prochaine fois c’est moi qui te ferai un cadeau, qu’est-ce que tu veux ? » Et quelques jours avant Noël, elle est arrivée avec une boîte de chocolats et une bouteille de mousseux.

Et après ? Après avoir connu Yasmina, il y a eu Alain, il y a eu Maria et ses trois petits enfants qui se sont jetés avidement sur le paquet de biscuits et dont je n’oublierai pas l’image.

Mais il y a des jours où, comme tout le monde, j’aimerais bien avoir un interphone, ne pas ouvrir, ne pas voir… Je sais cependant qu’après une heure passée avec Yasmina, c’est moi qui repartirai avec une leçon de vie et de courage !

Et après ? Après j’ai mille questions de nos enfants. Pourquoi elle habite dans une roulotte ? Pourquoi ses enfants sont habillés comme ça ? Pourquoi ils n’ont pas de jouets ?

Pourquoi, oui, mais pourquoi ? …

Et résonne cette question lancinante jamais vraiment résolue. Les enfants ont cet art de poser directement les vraies questions aux adultes que nous sommes et qui ont toujours quelque part un interphone pour leur éviter le contact avec la réalité.

CC BY-NC-ND