L’histoire des pauvres s’écrit en lettres de sang

Jeanne-Véronique Atsam Monengomo

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Jeanne-Véronique Atsam Monengomo, « L’histoire des pauvres s’écrit en lettres de sang », Revue Quart Monde [En ligne], 213 | 2010/1, mis en ligne le 05 août 2010, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4669

Extrait du blog Pour un monde riche de tout son monde. Changer son regard pour qu’un monde sans misère soit possible : http://unmondeautrementvu.blog.lemonde.fr

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Histoire, Mémoire

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Cameroun

Cameroun. « Cette fois c’est le comble ! Comment on peut être aussi amer, aussi cruel ? Vous n’avez donc pas de cœur ? Laisser aller une vie pour de l’argent, pour quelques francs… » Ces paroles sont tombées dans mes oreilles un matin de novembre, alors que j’entrai au centre de santé où j’accompagnais une parente qui allait faire vacciner son enfant nouveau-né. Elles m’ont rappelé cette interrogation de Walt Whitman : « Comment osez-vous faire passer quoi que ce soit avant l’homme ? »

Un jeune homme venait en effet de rendre l’âme. La vingtaine environ. Le sang dans lequel il baignait quand il est passé de vie à trépas gisait encore sur le plancher. Personne n’avait pris l’initiative d’ôter de la vue des patients et des infirmiers qui ne cessaient de déambuler dans le hall, cette encre couleur rouge avec laquelle s’écrit l’histoire des pauvres, le sang ! Dans la foule, consternation, râle.

Quelques heures plus tôt, il avait fait un accident de moto. Il avait aussitôt été conduit au centre de santé le plus proche. Mais arrivé là, les infirmiers ont refusé de le toucher, exigeant d’être payés avant toute intervention. « Est-il assuré ?» avaient-ils demandé. Suite à la réponse négative, ils avaient demandé que la famille de l’accidenté soit prévenue afin de venir régler les frais qui s’imposent et sans lesquels il ne serait pas pris en charge.

Face à l’indignation des personnes présentes, la belle réponse : « Les ordres viennent d’en haut, nous ne faisons que les exécuter ». C’est qui le haut ? Bref même les promesses de payer plus tard n’y ont rien pu faire. Le personnel médical est resté ferme et froid, prétextant que beaucoup ont souvent promis sans jamais payer par la suite.

Et le sang du jeune homme continuait de s’écouler, et son corps de se vider, devant les regards impuissants des hommes et femmes présents ce matin là, témoins de comment un homme paye de sa vie le fait d’être pauvre.

Est-ce donc cela lutter contre la pauvreté ? On a plutôt l’impression que c’est contre les pauvres qu’on lutte. Comment comprendre qu’une pareille décision soit prise et respectée dans une société qui se dit en lutte contre la pauvreté ? Souvent les choses se passent comme si les pauvres n’avaient pas droit de cité sur la terre.

Jeanne-Véronique Atsam Monengomo

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