1. Nous pensons d’abord que c’est le moment propice pour réfléchir à l’élaboration d’indicateurs participatifs de lutte contre la pauvreté et l’exclusion.
En effet la question des indicateurs est omniprésente : à Bruxelles, nous sentons combien elle est importante au niveau européen et, donc, également au niveau des différents États membres dans la lutte contre la pauvreté.
2. Nous nous sommes demandé de façon générale : « À quoi les indicateurs doivent-ils servir ? »
Nous estimons qu’ils doivent aider à la lutte contre la pauvreté, en permettant de mesurer le changement dans la vie quotidienne des pauvres, le changement dans la société, et dans quelle mesure la pauvreté disparaît.
Par ailleurs, nous pensons que les citoyens souhaitent être tenus au courant, par leur gouvernement, des résultats obtenus par la mise en œuvre des mesures politiques prises dans la lutte contre la pauvreté ; les gouvernements se doivent de leur rendre des comptes et en particulier, ils devraient rendre des comptes aux personnes vivant elles-mêmes en situation de pauvreté.
Les acteurs, les groupes qui sont associés à la définition des indicateurs, ont des motivations diverses. Dans notre atelier, nous sommes tombés d’accord pour dire que tous les indicateurs sont normatifs, c’est à dire qu’il n’y a pas d’indicateur qui ne soit sans jugement de valeur. La manière dont nous définissons la pauvreté sera le point de départ pour le développement des indicateurs. Par exemple, est-ce que les gens pauvres sont ceux qui n’ont pas de ressources ». Ou bien ceux qui n’ont pas de pouvoir ?
3. Nous avons voulu aussi exprimer les raisons pour lesquelles cette approche participative nous semble importante dans la définition des indicateurs.
En fait, pour nous, il ne s’agit pas tant de parler d’indicateurs participatifs que d’une démarche participative dans la définition des indicateurs. Nous ne parlons pas ici d’ajouter simplement des indicateurs qualitatifs aux indicateurs quantitatifs ou d’ajouter des indicateurs subjectifs aux indicateurs objectifs mais nous parlons d’une nouvelle approche pour l’ensemble des indicateurs.
Nous pensons qu’il est injuste de développer des outils qui mesurent la pauvreté sans la participation de ceux qui en sont victimes. La participation des personnes les plus pauvres au débat prouverait qu’elles ont effectivement des idées pertinentes à partager sur l’avenir de la société européenne. Leur participation est d’autant plus nécessaire qu’elle permettrait de dégager de meilleurs outils pour chacun dans la lutte contre la pauvreté.
4. Nous avons réfléchi à la question suivante : quelles sont les conditions préalables et nécessaires au bon fonctionnement de ce développement d’indicateurs de manière participative ?
Avant tout, les personnes vivant en situation de pauvreté doivent être impliquées dès le début. De plus, à notre avis, les personnes pauvres ont besoin de l’appui d’organisations : par exemple, avoir autant que possible un accompagnement pour pouvoir s’exprimer et pour pouvoir dialoguer avec les autres. Mais il est aussi important d’essayer de ne pas exclure les personnes qui n’auraient pas de telles organisations pour soutien.
Les personnes dans la pauvreté ont besoin de se retrouver, à la fois entre elles, mais aussi avec d’autres de tous milieux pour débattre et échanger leurs idées afin de pouvoir avancer dans la lutte contre la pauvreté. Elles ont besoin de rester en contact avec leur propre milieu, ainsi ce qu’elles disent est ancré dans cette expérience. Le rôle des personnes ayant une expérience directe de la pauvreté ne doit pas être limité uniquement au témoignage de leur expérience de la pauvreté, qui serait ensuite exploité par d’autres. Nous devons travailler tous ensemble, avec la communauté scientifique, les statisticiens, les politiciens et les fonctionnaires, et non pas de façon antagoniste.
5. Quelle différence cela peut-il faire ? Quelle est notre vision ? Quels changements pensons-nous que cela peut imposer ?
Nous pensons que les indicateurs concernant la pauvreté et l’exclusion sociale sont ancrés dans les droits de l’homme parce que nous nous sommes aperçus que les pauvres peuvent s’identifier dans ce cadre.
Les personnes qui vivent dans la pauvreté veulent des indicateurs qui traduisent un changement concret dans leur vie et pas seulement sur le papier. Les indicateurs doivent correspondre à la réalité vécue par les pauvres. Il ne faut pas oublier que celle-ci n’est pas seulement multidimensionnelle mais que chaque dimension est aussi en interaction avec les autres – qu’elles s’influencent les unes les autres.
Les indicateurs participatifs reflèteraient les priorités mises en avant par les personnes vivant dans la pauvreté, par exemple : le manque de respect, le fait qu’elles n’aient jamais droit à la parole, ni le pouvoir de changer leur vie et souvent pas même droit à l’espoir d’un avenir. Il s’agirait donc de mesurer, par exemple, les progrès accomplis par rapport au sentiment de honte dont souffrent les personnes pauvres.
Ces indicateurs démontreraient aussi les efforts faits par les personnes vivant dans la pauvreté pour réaliser leurs aspirations et pas seulement survivre.
Pour revenir à la pensée du père Joseph Wresinski, nous voulons finalement parvenir à ce que les indicateurs permettent de mesurer les progrès dans la réalisation des rêves des parents pauvres pour leurs enfants pour les vingt ans à venir. Nous savons que nous ne sommes qu’au tout début de la démarche ; ainsi, les personnes qui savent comment travailler de façon participative avec les personnes dans la pauvreté sont très peu nombreuses. Nous devons apprendre davantage comment inclure et retransmettre d’une manière significative l’expérience des personnes les plus marginalisées. Les ONG doivent développer une capacité technique pour amorcer cette démarche.
Les indicateurs sont souvent inscrits, soit dans un cadre européen, soit dans un cadre national (comme les plans d’action nationaux) et ils sont donc soumis à des contraintes différentes. Il est probable que nous sommes mieux à même d’influencer les critères et les objectifs nationaux, mais grâce à la méthode ouverte de coordination, nous pourrions aussi, à plus long terme, influencer également les critères et les valeurs retenus par l’Union européenne.
6. Finalement, que peut-on espérer raisonnablement ?
Nous avons avancé récemment dans le domaine des indicateurs même si la bataille est rude. Le Comité sur la protection sociale de la Commission européenne a officiellement souscrit à l’association des pauvres dans l’élaboration des indicateurs à l’avenir. Nous avons noté aussi des évolutions convergentes, non seulement en Europe mais dans l’ensemble du monde : on met de plus en plus l’accent sur l’opinion des utilisateurs des services de protection sociale et pas seulement sur leurs expériences. On s’accorde de plus en plus sur le fait de bâtir les stratégies de lutte contre la pauvreté à partir de la perspective des personnes dans la pauvreté dans les pays du Sud comme du Nord. Ces demandes sont portées non seulement par les ONG mais également par certaines instances officielles.
En conclusion, nous pourrions dire que notre but n’est pas seulement d’avoir des indicateurs participatifs à côté d’autres indicateurs. Nous avons besoin de plusieurs sortes d’indicateurs mais nous avons besoin de trouver un moyen par lequel tous les indicateurs soient de type participatif et qu’ils soient intimement liés aux expériences et aux pensées des personnes vivant dans la pauvreté.
Mais si les personnes pauvres ne sont pas prises sur un même pied d’égalité que les autres acteurs dans ce processus, sans renier le rôle des autres acteurs, si elles ne deviennent pas nos partenaires et si nous n’avons pas cette approche participative, il est clair que nous ne parviendrons jamais à notre but. Ceci n’est pas uniquement valable pour l’élaboration des indicateurs de pauvreté mais aussi pour toutes les stratégies dans la lutte contre la pauvreté : sans égal respect et participation des personnes pauvres dans l’élaboration des processus, nous ne parviendrons jamais à des résultats probants en matière de lutte contre la pauvreté.