Il ne faut jamais baisser les bras

Pauline Mulligan

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Pauline Mulligan, « Il ne faut jamais baisser les bras », Revue Quart Monde [En ligne], Dossiers & Documents (2002), mis en ligne le 17 novembre 2010, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/4968

Le combat d’une mère, séparée de trois de ses enfants qui ont été placés et adoptés. « Les juges ne savent rien de nous. Nous voulons être entendus en tant que famille. Comme tous, nous avons des problèmes, mais nous avons besoin de soutien…»

Mon nom est Pauline. Je suis mère de six enfants mais j'en ai perdu trois lorsqu'ils ont été adoptés et aujourd'hui, je viens de les retrouver. Savez-vous ce que c'est que de perdre vos enfants quand vous leur avez donné la vie ? Est-ce que vous vous rendez compte des souffrances que cela implique ? Cela vous déchire à l'intérieur. Si les parents savent que leurs enfants ne leur seront pas rendus, c'est la chose la plus dure à accepter pour n'importe quelle famille. Je n'ai jamais pu l'accepter. Quand ils sont adoptés, vos droits vous sont retirés. C'est aux enfants de décider, quand ils sont suffisamment âgés, s'ils veulent vous voir ou non. Mais ça ne m'a pas empêchée de demander à avoir des contacts, d'écrire des lettres et d'envoyer des photos, sans savoir s'ils les recevaient. Si tu ne t'accroches pas, tu ne reverras jamais plus tes enfants. Quand ils atteignent 18 ans, c'est dur car tu as perdu toutes ces années, tous les souvenirs de ces enfants alors qu'ils grandissaient. Mais au bout du compte, après toutes ces années, tu peux voir tes enfants.

Jamais je ne serai capable de vous dire ce que j'ai pu ressentir en étant à nouveau mère, mais un morceau de moi continuait de me manquer. Mes trois autres enfants n'ont jamais remplacé mes enfants adoptés. Quand je les ai perdus, je n'avais plus l'impression d'être une mère. J'avais le sentiment qu'on m'avait pris ma dignité, que le monde entier était contre moi, m'écrasait, que je n'avais plus de raison de vivre. Je m'accusais constamment. J'ai commis une erreur et j'en ai été punie dix-huit ans. Même les meurtriers ne sont pas condamnés à perpétuité (life sentence) comme nous le sommes. Et après, quand les enfants reviennent vers nous, nous souffrons à nouveau parce que nous devons affronter un autre procès, celui qu'ils nous font, eux. Pourquoi ? Pourquoi tu as fait ça maman ? Pourquoi est-ce que j'ai du vivre avec une autre famille ? Là, tu dois t'asseoir avec eux et expliquer. Et parfois tu trouves ça dur parce qu'un enfant que tu ne connais même pas et que tu aurais dû élever, ne peut pas vraiment comprendre pourquoi. Ils ne peuvent pas comprendre pourquoi tu as pu élever d'autres enfants après. Mes enfants ne se connaissent pas entre eux, ce qui n'est pas bien. Ils ne savaient pas qu'ils avaient des frères et sœurs. Et pour couronner le tout, ils avaient changé de nom.

Quel droit une personne a-t-elle de juger une autre personne, de la pousser à se sentir comme une moins que rien ? Les enfants sont le plus beau cadeau qu'un couple puisse avoir dans la vie.

"Ils" disent toujours que c'est dans l'intérêt de l'enfant. Souvent, je m'asseyais et je pensais : mais est-ce dans l'intérêt de l'enfant ? Ont-ils jamais demandé aux enfants avec qui ils aimeraient vivre ?

Je ne crois pas que qui que ce soit devrait être appelé "mauvaise mère" car cela te colle à la peau toute ta vie. Nous apprenons les uns des autres, mais nous faisons tous des erreurs. Prenez par exemple une mère qui gifle son enfant. Parce que les travailleurs sociaux étaient déjà inquiets du fait de la pauvreté dans laquelle elle vivait, de son isolement, ils se sont servis de cet incident pour décider de retirer l'enfant. Ce n'est pas bien parce qu'ils ne réalisent pas l'effet que cela a sur la famille, l'effet que cela a sur l'enfant plus tard dans sa vie.

Beaucoup d'enfants sont placés et regardez ce qui leur arrive. Ils finissent dans la rue, drogués, ayant très jeunes des enfants, parce qu'ils ne savent même pas qui ils sont. Ils se sentent perdus, ils n'ont pas eu assez de sécurité. L'amour de leur famille leur manque. Ils sont supposés être plus en sécurité placés ou adoptés mais ce n'est pas toujours le cas. Quand j'ai enfin rencontré l'une de mes filles, j'étais anéantie de découvrir qu'elle avait été brutalement violée pendant des années par l'un des fils de la famille adoptive et que la mère adoptive ne voulait pas la croire. Ma fille est devenue alcoolique à quatorze ans et s'est tailladée les veines parce qu'elle était déprimée par ce qui lui arrivait et qu'elle n'avait personne pour la protéger. Si mon enfant était restée avec moi, ceci ne lui serait jamais arrivé.

Je crois que les enfants devraient rester avec leur famille sauf si l'enfant a subi de vraies cruautés. C'est vraiment dur quelquefois de faire de ton mieux, de donner à l'enfant le meilleur de toi-même, si tu n'as pas été aimé, si tu as été ballotté d'un foyer à un autre, si ton père te battait, si ta mère te battait et que tu n'as rien connu d'autre. Nous avons tous nos problèmes mais, par-dessus tout, nous avons tous besoin de soutien, de quelqu'un qui est là pour nous et qui croit en nous, comme un ami. Une personne qui peut venir chez toi et sortir ton enfant pour te donner une ou deux heures de repos, qui peut être là pour te soutenir et non pour te juger ou t'enfoncer.

Il devrait y avoir plus de soutien d'ordre amical pour les personnes qui ont vraiment besoin d'aide. Il pourrait y avoir plus de groupes organisés par des familles, dans leur quartier, où les parents pourraient passer et parler avec quelqu'un, avec une petite crèche pour les enfants. Il y a des tas de mères qui ne vont nulle part. Elles restent tout le temps assises à la maison et sont trop isolées ou effrayées pour sortir. Mais si elles se sentaient accueillies dans un tel lieu, cela pourrait être juste ce dont elles ont besoin, parce que tout le monde a besoin d'ami, surtout quand tu te sens au plus bas. Et certains n'ont personne. Il pourrait aussi y avoir la possibilité, pour les parents célibataires qui ont besoin d'un peu de temps sans leurs enfants dans la semaine, de les mettre en garderie. Pendant les vacances scolaires, il devrait aussi y avoir plus de jeux organisés pour les enfants, pour leur donner quelque chose à faire. Des vacances pour toute la famille devraient être encouragées. Les parents doivent s'adapter aux services (sociaux) alors que cela devrait être le contraire. S'ils nous demandaient ce que nous voulons, nous leur ferions plus confiance. Si nous sommes honnêtes avec eux, ils doivent être honnêtes avec nous. S'ils l'étaient, nous pourrions mieux travailler avec eux.

Quand les travailleurs sociaux viennent parler à une famille, ils voient peut-être des affaires sur le sol ou ils voient peut-être un enfant assis là avec le visage barbouillé. Qu'est-ce que ça peut faire si l'enfant est sale de temps à autre, un enfant a bien le droit de se salir. Pourquoi doivent-ils critiquer ? Pourquoi pensent-ils : « Cette personne néglige son enfant parce qu'elle ne s'occupe pas bien de sa maison. » Cela met les gens sous pression. Si tes petits tombent et se cognent, tu es tellement inquiet pour tout que tu as l'impression que tu dois cacher les choses. Certains professionnels ont une attitude tellement menaçante ! Une fois qu'ils ont retiré un enfant, tu as le sentiment qu'ils te retireront chaque enfant que tu mettras au monde dans le futur.

Quand il voit un bleu, le travailleur social te saute à la gorge en disant : « Que s'est-il passé ici ? » Ils devraient parler avec la mère et dire : « Que se passe-t-il ? Comment puis-je vous aider ? » Ils devraient essayer de comprendre. Ils doivent vraiment lui parler comme à une personne et lui montrer un peu de respect. Nous avons tous nos mauvais jours, nous avons tous nos hauts et nos bas. Et si tu as un enfant qui hurle 24 heures sur 24, tu es fatiguée, épuisée, et là, tu as cette femme qui arrive et tu sens que tu pourrais la jeter dehors. Cela ne veut pas dire que tu ne t'en sors pas, c'est juste qu'à ce moment précis, tu es sous pression et fatiguée. Les familles ont besoin de professionnels qui soient capables de voir à l'intérieur de cette mère, ou même de ce père, vraiment voir ce qu'ils portent à l'intérieur. Ils sont des êtres humains. Parfois ils sont déprimés, de la même façon que peuvent l'être un travailleur social ou des policiers. Nous sommes exactement pareils.

Les juges ne savent rien du tout de nous. Ils ont juste en face d'eux le rapport des services sociaux. Alors, tout ce que nous sommes pour ces juges, c'est de « mauvaises mères ». Je sens vraiment qu'avec tous, j'ai été jugée. Ton avocat est là pour te représenter mais, finalement, il ne sait pas grand chose de toi, surtout s'il a été nommé à la dernière minute. J'ai le sentiment que les tribunaux ne sont pas vraiment là pour t'entendre. C'est comme si tu étais condamné avant même que les preuves n'aient été apportées. J'ai vraiment le sentiment qu'il devrait y avoir beaucoup plus de droits pour les parents.

Nous devrions être autorisés à donner notre version de l'histoire sans que personne n'intervienne. Qu'ils aient une idée de qui nous sommes en tant que parents. Comment cela se passe ? Tout allait bien et puis un incident arrive à la maison, nous sommes bouleversés et nous déprimons quelque temps à cause de ce qui est arrivé. Mais nous allons bien, nous sommes des gens normaux. Nous faisons tous des erreurs et nous apprenons d'elles.

Nous voulons être entendus en tant que famille. C'est de notre enfant dont il s'agit et nous ne voulons pas être exclus de ce qui est en train de se passer. Ils sont en train de parler de l'enfant mais c'est comme si nous n'existions pas. C'est comme si nous étions des criminels. Tu as l'impression que tout le monde est contre toi au tribunal et qu'ils ne comprennent pas ce que tu ressens.

Les juges ne semblent pas écouter les parents du tout. Je sens qu'ils devraient prendre le temps de vraiment nous écouter comme des êtres humains. Ce n'est pas comme si nous n'étions qu'un numéro, entendus seulement quand ils nous appellent pour être entendus. Nous avons une parole. J'ai trouvé que les juges écoutaient très attentivement les travailleurs sociaux et les professionnels. Mais c'est comme si nous, nous étions moins que rien et ce n'est pas bien. Ils essayent d'exprimer leur point de vue et moi, je suis assise là, tellement en colère parce que je veux dire quelque chose, mais je n'en ai pas le droit ou alors c'est considéré comme une "offense à la cour" ! Nous devrions avoir le droit de répondre aussitôt car notre enfant est placé pour une raison bien précise. Mais eux, pour pouvoir le garder, ils partent dans toutes les directions et c'est très angoissant. Tu te mets tellement en colère, tu n'arrives pas à comprendre pourquoi ils vont ressortir toutes ces choses. C'est très traumatisant d'entendre toutes ces choses horribles dites contre toi parce que tu sais que ce n'est pas toi, tu sais que les faits ont été déformés.

Les gens peuvent changer. Ils ne sont pas de mauvais parents à vie. Tout le monde mérite d'avoir la chance de vivre à nouveau en famille. Ne perdez pas espoir avec les gens. Si vous continuez d'améliorer le système, cela va en aider d'autres. Mais pour cela, vous avez besoin d'écouter et de découvrir ce que nous voulons. C'est ce que tout le monde devrait faire.

Ne baissez pas les bras quand vos enfants sont adoptés ou placés. Vous devez continuer. Il y a de l'espoir au bout du tunnel et vous reverrez vos enfants un jour. Vous devez toujours avoir de l'espoir. Quand la première lettre de ma fille est arrivée, c'était comme de la poussière d'or. J'en ai pleuré toutes les larmes de mon corps. Je ne pouvais pas le croire. Je suis allée la montrer à tout le monde. J'avais l'impression de suffoquer. Tellement d'émotions voulaient sortir de moi. Cela prend beaucoup de temps pour en arriver là mais j'ai la conviction qu'on peut tous y arriver.

Maintenant ma vie a changé. J'ai un nouveau concubin et je travaille comme hôtesse dans un pub, ce que je n'avais jamais fait dans ma vie. J'élève mes trois plus jeunes enfants. Je sens enfin que j'ai réussi à vivre ma vie comme je le veux, personne n'ayant de contrôle sur mes enfants ou sur moi. C'est ce que je veux vous dire : vous devez continuer à vous battre. Continuez à vous battre pour vos droits et ne perdez jamais espoir !

Pauline Mulligan

Mère de six enfants

CC BY-NC-ND