TAE, qui signifie « Travailler et Apprendre Ensemble », est une petite entreprise solidaire créée en 2002. Fin 2006, elle emploie dix-sept personnes dans trois ateliers : le nettoyage, le re-conditionnement de matériel informatique et les travaux d’entretien de bâtiments.
Nous sommes des hommes et des femmes aux parcours de vie très différents (formation, situation familiale, expérience professionnelle... ) Certains se battent au quotidien pour parvenir à faire vivre dignement leur famille, d’autres rejoignent TAE parce qu’ils souhaitent participer à la construction d’une entreprise plus solidaire. Tous nous refusons d’accepter que certains soient condamnés à l’inutilité.
Chacun de nous apporte ses connaissances, son savoir-faire, son histoire personnelle, sa pensée. C’est à partir de cette diversité qu’ensemble nous cherchons à faire de TAE une entreprise qui crée non seulement de la richesse économique, mais également de la richesse humaine, qui soit un lieu de travail, de fraternité, de partage des savoirs, de fierté.
Bien plus qu’une paye
A TAE, nous faisons l’expérience qu’un travail représente bien plus qu’une paye à la fin du mois. Nous avons évoqué la paye bien sûr, parce que pour faire vivre notre famille, nous avons besoin de payer le loyer et les factures. Une paye, c’est aussi ce qui nous permet d’être généreux, de faire plaisir à ceux que nous aimons, tout particulièrement à nos enfants. C’est essentiel d’avoir un emploi stable, à durée indéterminée : pour trouver un logement, pour organiser la vie de famille, pour obtenir un crédit et faire des projets.
Pour nous, un travail est aussi un moyen de sortir de chez soi, de vivre avec d’autres, d’avoir une place dans la société. C’est important qu’il y ait une bonne ambiance. Nous attendons également de notre travail qu’il nous permette d’apprendre de nouveaux savoir-faire et de transmettre à d’autres ce que nous avons appris. Enfin, nous avons besoin d’un travail intéressant et utile, un travail dans lequel on nous confie des responsabilités et on nous offre des opportunités d’évolution.
Un travail intéressant
Qu’est-ce qui à TAE rend notre travail intéressant ? D’abord la qualité des relations entre collègues, y compris avec les responsables. Il y a une certaine égalité entre nous : il n’est pas fait de différences. Nous travaillons toujours en équipe. Nous sommes respectés. Les pauses tous ensemble, la cantine familiale à midi, les fêtes pour les anniversaires, Noël ou encore l’Aïd... font que nous nous connaissons bien et que nous aimons travailler ensemble.
Mais nous partageons plus que le travail. Nous organisons aussi des sorties ensemble, avec nos familles. C’est important, cette attention que nous portons à nos familles, et la bonne ambiance entre nous.
TAE rassemble des personnes qui ont des histoires personnelles et professionnelles très différentes. Il n’y a pas de jugement de valeur. Tout le monde est accepté. On n’exige pas un diplôme ou une expérience pour être embauché. Tout le monde est capable de travailler et de produire de la richesse. Tout le monde a des compétences et peut se former si les conditions nécessaires sont réunies pour que le travail se passe bien. Ce qui est important, c’est l’entraide et le respect.
Chacun est tour à tour formé et formateur. On part du principe que tout le monde a des compétences et peut les transmettre à ses collègues. Dans les différentes équipes, on apprend sur le tas, en travaillant, ce sont les anciens qui montrent à ceux qui arrivent.
Nous ne sommes pas payés au rendement. Nous sommes là pour bien faire notre travail, sans stress ni pression. Cela ne veut pas dire que nous n’avons pas des délais à respecter, des impératifs de production, mais ces contraintes ne sont pas imposées au détriment du respect des travailleurs.
Dans l’atelier informatique, par exemple, chaque personne effectue toutes les étapes de la remise en état d’un ordinateur. Le travail est varié, il n’est pas divisé et réparti en différentes taches répétitives. Cela rend le travail plus intéressant. Nous y apprenons plus de choses. Il y a une bonne ambiance dans l’atelier, et cela fait que nous sommes aussi capables de nous mobiliser pour faire face à une grosse commande ou à un délai à respecter.
Le rythme de travail est flexible. Certains avancent plus vite que d’autres, mais nous ne pointons pas du doigt les personnes les plus lentes. Ce qui compte, c’est qu’en équipe nous arrivions à faire le travail en temps et heure. Dans notre équipe de travail, nous nous entraidons, nous sommes attentifs les uns aux autres. Au final, c’est une force qui nous rend plus productifs.
A TAE, il y a des règles claires, notamment dans le respect des horaires. Mais on ne nous impose pas un temps partiel. Les variations de l’activité ne sont pas répercutées sur les travailleurs.
Un groupe de salariés se réunit chaque semaine pour aborder des questions de politique sociale, réfléchir à notre mode de fonctionnement, et participer au choix des grandes orientations de TAE. Ainsi, récemment, nous avons choisi à l’unanimité de changer nos horaires. Nous sommes passés de trente deux heures à trente six heures par semaine, ce qui nous permet de gagner un vrai salaire et d’avoir une semaine supplémentaire de congés par an. Cela correspond plus à nos attentes. C’est pourquoi nous essayons de faire en sorte que chacun ait son mot à dire sur les décisions qui sont prises, que chacun se sente coresponsable de la bonne marche de TAE.
Notre travail à TAE nous redonne courage, volonté et fierté. Chacun est valorisé, reconnu comme une personne. Cela permet d’avoir la tête haute.
On le voit bien à travers notre expérience : le travail ne garantit pas toujours l’accès aux droits fondamentaux (se loger, se former, se soigner, vivre en famille...) On oppose trop souvent les intérêts économiques d’une entreprise et le respect des droits et des aspirations des travailleurs. A TAE, nous faisons l’expérience qu’au contraire il est possible de les concilier. Alors seulement, le travail est source de mieux vivre et de dignité.
Témoignages d’autres collègues
« Je travaille à TAE depuis bientôt quatre ans, d’abord en contrat emploi solidarité (CES), puis en contrat emploi consolidé (CEC). Au début à mi-temps et, depuis six mois, à temps complet. Je travaille dans l’équipe de nettoyage. En octobre 2005, j’ai commencé une remise à niveau en français et math avec le GRETA*, afin de me préparer à passer un certificat d’aptitude professionnelle (CAP) dans les métiers du nettoyage. Le CAP devait durer six mois, à temps plein, avec des périodes de stage en entreprise. J’ai fait une demande de congé individuel de formation. Ma demande a été refusée parce qu’en CEC, on n’a pas le droit à ce congé. »
« Je suis mariée, mère de cinq enfants. Avant je n’avais ni travail, ni logement. Mon mari se trouve lui aussi sans emploi. J’ai commencé à travailler à mi-temps, trois heures par jour, chez des particuliers partout en Ile-de-France. Ensuite j’ai travaillé à l’université de Marne-la-Vallée comme agent d’entretien de nettoyage pendant trois ans, trois heures par jour. Après j’ai travaillé à TAE comme chef d’équipe de nettoyage, vingt heures par semaine en contrat à durée déterminée (CDD). Là, c’était dur pour moi, parce que je travaillais le matin à TAE et le soir à l’université. Après le responsable de TAE m’a proposé de travailler trente heures par semaine en CDD. Maintenant je suis en contrat à durée indéterminée (CDI), à temps plein.
Après quatorze ans d’expérience comme magasinier préparateur de commandes, mon mari s’est retrouvé sans emploi pendant deux ans. Il a 50 ans. Maintenant, il travaille en intérim. Il travaille dans une imprimerie, sur une presse. Il travaille de jour en jour. En octobre, il a travaillé une semaine, en novembre, deux semaines. En décembre, je ne sais pas encore. On l’appelle le soir ou, si on ne l’appelle pas, c’est à lui de le faire, pour qu’on lui dise s’il va travailler le lendemain. Des fois, on l’appelle pour travailler quelques heures. Quand on ne l’appelle pas, il va à l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE) pour faire des recherches d’emploi.
Nous ne pouvons pas nous organiser. Pour le transport, nous ne savons pas si nous devons acheter une carte orange mensuelle ou des tickets à l’unité. Nous sommes obligés d’acheter la carte mensuelle et nous attendons d’être appelés pour le travail.
Pour la garde des enfants, nous sommes un peu perturbés. Moi je travaille de 8h à 17h, mon mari travaille des fois le matin, des fois le soir. L’école ouvre ses portes à 8h 20, jusqu’à 16 h. Parfois mon mari emmène les enfants à l’école, mais quand il travaille c’est moi, et je dois arriver en retard à mon travail. Je ne peux pas mettre mes enfants au centre de loisirs tous les jours, ça coûterait trop cher.
Un mercredi, mon mari a déposé les enfants au centre de loisirs. La boîte d’intérim lui avait dit de partir au travail, mais quand il est arrivé là-bas, on lui a dit qu’il n’y avait pas de boulot ce jour-là. Nous avons donc payé le centre de loisirs pour rien.
Le travail précaire rend la vie dure, il crée des problèmes dans la famille. Nous ne cessons pas de penser au loyer : s’il sera payé à jour, si la cantine scolaire aussi sera payée... Le travail précaire ne nous permet pas de mettre un peu d’argent de côté pour l’avenir de nos enfants, pour qu’ils ne vivent pas ce que nous avons vécu... »
« Depuis six mois je n’ai pas de logement. J’ai été chez les parents de ma femme, mais il y avait des problèmes entre nous. Nous ne nous entendions pas. Nous sommes partis chez mes parents, mais c’était pareil. Pour le moment je suis hébergé chez un oncle de ma femme. Nous avons une chambre de dix mètres carrés. Nous sommes trois, ma femme, ma fille de cinq ans et moi. Il faut que je trouve un logement avant les vacances de Noël.
Ma femme travaille en CDD depuis quelques semaines. Moi je suis en CDD depuis près d’un an. Je gagne le SMIC, un peu moins de mille euros net.
Mais pour trouver un appartement entre particuliers, il faut parfois un salaire de mille cinq cents à mille huit cents euros net. Il faut un garant, et ils demandent une caution de deux à trois mois. On demande aussi un CDI. J’ai déposé une demande à la mairie, j’ai un numéro de dossier, maintenant il faut attendre... »