Sollicitées pour une interview pour l'émission Interception (radio France Inter) sur les personnes vivant sous le seuil de pauvreté, en décembre 2012, les auteures se sont préparées par écrit à répondre aux questions du journaliste, qui, avec le preneur de son, sont venus une journée et demi chez elles et dans le quartier où elles habitent.
Odile C. :
Aujourd'hui j'ai un travail qui commence à 5h30 le matin et le soir jusqu'à 20 heures. Mon fils n'est pas chez moi, l'assistante sociale n'est pas d'accord, si il y a le feu, si il est malade il sera tout seul, comment il ferait ?
Trouver un autre boulot ? Mais le travail ne court pas les rues, les usines ferment.
Aujourd'hui si tu n'as pas de boulot, tu n'as pas d'argent, tu ne peux pas élever ton enfant, si pas de travail, pas d'argent c'est le placement de ton enfant.
Moi je l'ai mis dans un foyer, pour pouvoir travailler et aussi parce que j'avais besoin de soutien pour son travail à l'école. Pour moi si je ne travaille pas, mon fils ne travaillera pas non plus à l'école.
Maintenant je gagne un peu plus d'argent, mais bientôt je n'aurai plus de complément RSA1 et vais devoir prendre une mutuelle. De toute façon la vie c'est toujours calculer.
Je tiens un cahier où j'écris tout ce que je dépense. Je mets la date, la nature de l'achat, le prix, et je fais le solde.
Je fais des choix ; le premier choix c'est pour mon fils quand il veut et que je peux.
Il a son argent de poche, 10 euros par semaine, mais des fois je reprends dedans.
Avant je faisais des systèmes d'enveloppes, maintenant j'en fais pour les grandes occasions : Noël, Nouvel An, Pâques, et la Toussaint pour acheter des fleurs et refaire les plaques des tombes.
Des dépenses que je ne fais jamais : le cinéma j'ai jamais été, le coiffeur c'est une fois par an. L'habillement c'est un luxe, avant j'achetais des habits à des amis, aujourd'hui je demande à l'assistante sociale pour l'habillement de mon fils. Pour moi c'est toujours du luxe ; je viens de m'acheter des sous-vêtements, c'est du luxe.
Alors aujourd'hui je prends le plus d'heures que je peux pour travailler, mais je ne vois plus personne. Mais ça montre à mon fils le travail et il a plus de goût à travailler.
Jacqueline P.:
Ne pas avoir d’argent, c’est ne pas avoir de projet, on vit au compte-gouttes. J’aimerais faire des sorties avec mes enfants, des voyages. Alors on fait des sorties au parc, où il n’y a rien à acheter.
Les jeunes c'est difficile, ils veulent de la marque, être à la mode, mais pas trop cher.
Je n’écoute pas la pub, ça me dégoûte.
C'est sûr, on aimerait une télévision plasma.
La nourriture
Je n’ai pas droit au restau du cœur car ils regardent le loyer et je n’en paye pas, il est couvert par l’APL2.
Avec le Secours populaire, il faudrait que je refasse ma carte d’identité.
Mais aller dans ces lieux, même si je sais que j’y ai droit, c'est la honte, tu es gêné.
Au début du mois, je fais les courses avec les enfants mais plus en fin de mois, car ils demandent toujours des choses.
Au magasin Leclerc, ils font des promos de viande le vendredi et le samedi soir.
Il y a aussi des marchands qui font crédit, le vendeur de pommes de terre, une boulangerie.
Il y a aussi le magasin Auchan qui a ses rayons présentés en vrac.
Les enfants mangent plus en début de mois.
En début de mois je fais le plein pour le dernier, les couches, avant le lait (quand il était plus petit), maintenant des assiettes préparées. C'est ma priorité.
La vie de famille
Au début de mois ça va, à la fin tu es sous pression, tu comptes. C'est souvent difficile 10 jours avant de toucher.
En début de mois je dis à mes enfants : « Ne faites pas les gourmands en début de mois sinon vous allez pleurer en fin de mois. »
En début de mois j’essaie de mettre des sous de côté mais à chaque fois il arrive quelque chose et tu dois reprendre dedans.
Le bonheur pour mes enfants ce serait de ne pas se serrer la ceinture à la fin du mois.
La solidarité
Je trouve que les pauvres donnent plus aux pauvres que les riches, par exemple il y a un homme à la rue, toujours devant le même magasin : je lui achète à manger.
On ne va pas chez le coiffeur ; je coupe les cheveux aux hommes de la maison, une amie me coupe les cheveux et ceux de mes filles, sauf l’aînée, c'est son père qui lui paye.
La santé
On a la CMU3, mais il y a plein de choses qui ne sont pas remboursées, les pommades pour les fesses de mon dernier, les pommades quand il fait ses dents.
Les lunettes sont remboursées ; tu choisis si tu veux mais pas dans tout. J’ai trouvé un opticien bien, qui cherche quand même ce qui pourrait plaire à mes enfants.
Les dents, c'est pas pris non plus.
Les fêtes
Pour les anniversaires on fait une exception pour les cadeaux mais je regarde toujours. J’ai beau calculer, il y a toujours un imprévu oui qui arrive. Par exemple, au dernier anniversaire, j’ai acheté oui une trottinette en cherchant le magasin le moins cher, puis une facture d’huissier est arrivée le même mois.
Pour Noël, cette année, je vais acheter une console de jeux vidéo d’occasion.
L’école
Nous on galère, mais pour les enfants, ce sera encore plus dur.
Même s’ils réussissent à l’école je ne crois pas que ce sera plus facile pour eux.
- Moment choisi de dialogue.
Journaliste :
Que pensez-vous des gens qui disent de vous que vous êtes des assistés ?
Jacqueline P. :
Ça veut dire quoi « assisté » ?
Journaliste, après un moment : Des personnes comme vous, qui vivez parce qu'on vous donne de l'argent et qui ne travaillent pas.
Jacqueline P. :
Du travail ?... Mais on veut travailler, qu'on nous donne du travail… Des stages de remise à niveau, c'est tout ce que j'ai toujours fait.