Exils Intra-Muros

Marc Melki

p. 27-30

Citer cet article

Référence papier

Marc Melki, « Exils Intra-Muros », Revue Quart Monde, 245 | 2018/1, 27-30.

Référence électronique

Marc Melki, « Exils Intra-Muros », Revue Quart Monde [En ligne], 245 | 2018/1, mis en ligne le 01 septembre 2018, consulté le 29 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/7155

Après avoir photographié pendant deux ans des hommes et des femmes abandonnés dans la rue par les pouvoirs publics, poussé par une sourde colère, Marc Melki, avec Eliette Abécassis1, inverse les rôles et décide de proposer à des personnalités artistiques et culturelles, et du monde associatif de dormir dans la rue et de se laisser photographier pour briser l’indifférence : « Faire dormir les uns afin de réveiller les autres ».

En 2012, Exils Intra-Muros est un objet. L’objet d’un mail d’alerte envoyé à mes contacts presse. À Paris, en bas de chez moi, place de la Bastille ou de la République, des familles vivent et dorment par dizaines dans la rue. Coupées du monde, ignorées, délaissées par les pouvoirs publics. Migrants d’Europe de l’Est pour la plupart. S’ensuivent deux longues années à photographier, à témoigner quotidiennement de l’insupportable, de l’indifférence. Je travaille sur ma colère et passe à l’action. En 2014, avec Éliette Abécassis1, je décide d’inverser les rôles. Et si c’était nous, un jour, qui nous nous retrouvions à la rue ? Je mobilise alors de nombreuses personnalités qui répondent à cet appel pour un hébergement digne de toutes les personnes sans abri, quelle que soit leur nationalité.

Un élan de solidarité est né pour dénoncer le manquement des politiques, le déni de responsabilité. Le silence est rompu par un cri collectif et humaniste, par un texte et une photographie : « Et si c’était vous ? »

L’urgence de la fraternité

Une lettre ouverte est rédigée pour être adressée à nos élus, à notre gouvernement, à notre président de la République.

En France en 2018, des personnes seules, migrantes ou pas, des mineurs isolés, des familles vivent et dorment dans la rue ou dans des bidonvilles. C’est une faillite morale, sociétale et économique. Des associations, des bénévoles, des citoyens indignés font ce qu’ils peuvent pour leur venir en aide, mais l’État ou la ville, trop peu. Le 1152 est débordé, les centres d’hébergement sont saturés, les évacuations à répétition ne font que jeter à nouveau à la rue des personnes sans abri ou les renvoyer dans d’autres bidonvilles, vers d’autres trottoirs ; les enfants sont déscolarisés. Ces solutions précaires coûtent extrêmement cher à l’État, mais ne règlent rien sur le fond. Il est temps que l’extrême pauvreté soit la priorité des politiques en France comme en Europe.

Faire dormir les uns afin de réveiller les autres

Pour sensibiliser l’opinion et les pouvoirs publics, des personnalités ont accepté d’expérimenter ce sentiment d’invisibilité qui touche tous les sans-abris : migrants intra ou extracommunautaires qui ont fui la guerre, les discriminations ou la misère, comme ceux qui ici trébuchent et se retrouvent à la rue. Elles prennent la pose et la parole. Nous le répétons haut et fort : laisser des personnes vivre dans la rue ou dans des bidonvilles, non seulement les prive de leurs droits fondamentaux, mais renforce la stigmatisation à leur égard, les expose aux manifestations de rejet et favorise la montée des populismes. Il est inadmissible que dans notre pays des enfants dorment sur les trottoirs.

Ces personnalités demandent en conséquence :

  • un hébergement digne pour tous les sans-abris et leurs enfants, quelle que soit leur nationalité ;

  • un hébergement immédiat et une scolarisation pour les mineurs isolés étrangers ;

  • un numéro d’appel d’urgence (115) qui ait les moyens de faire face à l’afflux des demandes ;

  • que nos élus luttent contre toutes les discriminations et les dénoncent haut et fort ;

  • que le gouvernement arrête les politiques d’expulsion des habitants des bidonvilles sans offrir de réelle solution de relogement pérenne et digne.

Un livre

2017, Exils Intra-Muros est devenu un livre, Et si c’était vous ? Exils Intra-Muros3, publié chez Actes Sud, avec la participation de nombreux co-auteurs qui, comme Laurent Gaudé, ont accepté de se laisser photographier et d’écrire un texte. Parmi eux, Pierre Arditi, Geneviève Garrigos, Raphaël Glucksmann, John-Paul Lepers, Yolande Moreau, François Morel, Patrick Pelloux, Carine Petit, Jean-Michel Ribes, Sanseverino, Marjane Satrapi, Eric Pliez, Natacha Régnier, Magyd Cherfi, Cali, Yannick Jadot, Carine Petit, Bruno Solo, Amélie Nothomb et beaucoup d’autres.

Extrait du livre Et si c’était vous ? Exils Intra-Muros – Yolande Moreau

Extrait du livre Et si c’était vous ? Exils Intra-Muros – Yolande Moreau

©Marc Melki

Colère

Texte de Laurent Gaudé

« Colère. Des corps d’hommes, de femmes et d’enfants sont à nos pieds. Amas de vie, de sacs, de couvertures trempées. Souffle bas, sur l’asphalte. Enfants endormis, à ras de terre, sur des matelas de carton. Colère. Dans nos villes de lumière, il y a un peuple de silhouettes recroquevillées, fatiguées par la vie, la pluie, l’oubli. Colère. Avons-nous oublié ce que c’est que la colère ? »

1 Femme de lettres, réalisatrice et scénariste française.

2 Numéro d’appel d’urgence.

3 Et si c’était vous ? Exils Intra-Muros, Éd. Actes Sud, 10 €. L’ensemble des bénéfices de ce livre seront reversés à l’association Droits d’urgence.

1 Femme de lettres, réalisatrice et scénariste française.

2 Numéro d’appel d’urgence.

3 Et si c’était vous ? Exils Intra-Muros, Éd. Actes Sud, 10 €. L’ensemble des bénéfices de ce livre seront reversés à l’association Droits d’urgence.

Extrait du livre Et si c’était vous ? Exils Intra-Muros – Yolande Moreau

Extrait du livre Et si c’était vous ? Exils Intra-Muros – Yolande Moreau

©Marc Melki

Marc Melki

Marc Melki est photographe et vit à Paris. Urgence et poésie sont ses moteurs de travail.

CC BY-NC-ND