Maryse Marpsat, Albert Vanderburg, Le monde d’Albert la panthère, Cybernaute et sans domicile à Honolulu

Ed. Bréal, Paris, coll. D’autre part, 2004, 351 p.

Daniel Fayard

Bibliographical reference

Maryse Marpsat, Albert Vanderburg, Le monde d’Albert la panthère, Cybernaute et sans domicile à Honolulu, Ed. Bréal, Paris, coll. D’autre part, 2004, 351 p.

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Daniel Fayard, « Maryse Marpsat, Albert Vanderburg, Le monde d’Albert la panthère, Cybernaute et sans domicile à Honolulu », Revue Quart Monde [Online], 193 | 2005/1, Online since 01 July 2005, connection on 23 April 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/9238

Voilà un ouvrage peu ordinaire, né d’une rencontre “ improbable ”. Maryse Marpsat, sociologue, travaille à l’Institut national d’études démographiques (INED) à Paris et est bien connue pour ses travaux relatifs aux personnes sans domicile. Amateur d’Internet, elle découvre au cours de ses recherches le site d’un certain Albert La Panthère, composé pour l’essentiel d’un journal intime mis en ligne régulièrement depuis octobre 1997, date à laquelle celui-ci s’est retrouvé sans domicile, à l’âge de 57 ans. Elle parvient à le contacter, à entretenir avec lui une correspondance suivie, puis à le rencontrer... à Honolulu (Hawaï) où il vit. Cet Américain, “ engagé dans l’armée à dix-sept ans, puis artiste peintre, puis employé de bureau intérimaire, du Texas à New York en passant par Londres et Delhi ”, dispose d’un certain “ capital ” social et culturel (au sens où Pierre Bourdieu l’entend) qui lui permet de s’exprimer au jour le jour sur sa nouvelle vie à la rue : il fait dorénavant partie effectivement du milieu des sans domicile dont il partage les conditions d’existence mais, grâce à ce journal intime mis en ligne, il prend du recul pour observer ce qu’il vit, ce que vivent ses compagnons d’infortune, pour décrire leur environnement social, pour commenter les politiques et les pratiques qui les affectent. C’est ce que Maryse Marpsat appelle de la “ participation observante”.

Celle-ci obtient d’Albert Vanderburg l’autorisation de publier de larges extraits de ce journal, déjà rendu public en réalité, publication à laquelle il collabore en ce sens qu’il apporte au-delà de son journal proprement dit des précisions complémentaires ou des réponses à des questions suscitées par la lecture même du journal. S’appuyant sur les écrits d’Albert, Maryse Marpsat s’efforce de reconstituer la vie qu’il a menée dans les cinq années qui ont suivi la perte de son logement, à travers divers thèmes touchant à l’organisation matérielle (le sommeil, la nourriture, l’alcool, le tabac, les déplacements, les vêtements, les livres, le stockage, l’argent, la santé et les soins... ), aux relations avec l’entourage (la loi, les anciens amis, le regard des autres, la vie sexuelle et amoureuse, le vol, la drogue... ), au sens à donner à sa vie (l’ennui, la dépression, l’humour... ).

Mais elle s’efforce également, en s’appuyant sur de multiples études entreprises dans divers pays, de restituer la trajectoire singulière d’Albert dans plusieurs ensembles évolutifs : le développement de l’outil informatique et des pratiques de ceux qui parlent d’eux-mêmes sur Internet, l’influence des mouvements beatnik et hippy, les processus de désinsertion ou de perte d’un statut social et les réponses qui y sont apportées ici et là.

En conclusion, elle souligne toute l’importance symbolique du logement, assise indispensable pour exister vraiment aux yeux des autres et à ses propres yeux. Et sa dernière phrase nous interroge : “ N’y a-t-il aucune place parmi nous qui pourrait être la leur ? ”

Facile à lire, doté de quelques illustrations, cet ouvrage à deux voix ouvre un chemin d’accès pour une compréhension intérieure de ce que c’est que vivre sans domicile (qu’on soit issu d’un milieu très pauvre ou non) et pour une relecture critique de l’insuffisance ou de l’inadaptation des législations, des pratiques sociales et des comportements citoyens.

Daniel Fayard

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