Jean-Yves Naccache, Le 187ème chameau

Alfil Éditions, 1998, 182 pages

Christine Benevent

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Jean-Yves Naccache, Le 187ème chameau, Alfil Éditions, 1998, 182 pages

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Christine Benevent, « Jean-Yves Naccache, Le 187ème chameau », Revue Quart Monde [En ligne], 169 | 1999/1, mis en ligne le 25 mai 2020, consulté le 28 mars 2024. URL : https://www.revue-quartmonde.org/9377

L’histoire se situe dans une banlieue indéterminée, avec son lot de misères, de haines ordinaires, de tristesse gluante. Rachid, fils de harki, y vit une adolescence peuplée de rêves morbides, ceux que lui procure la poudre blanche. Il deale lui-même pour pouvoir s’en procurer et aussi pour pouvoir acheter de somptueux cadeaux à sa sœur et à ses parents. Mais son père ne supporte pas de tels présents et, après une altercation avec son fils, décide de partir en pèlerinage. C’est à ce moment où tout semble perdu que Rachid fait la connaissance d’Abraham, l’aveugle. Celui-ci, au gré de leurs rencontres, lui enseigne peu à peu la sagesse et la croyance. Rachid abandonne ses rêves sans horizon pour s’ouvrir aux autres et à leur précieuse singularité. Cette amitié naissant entre le jeune arabe et le vieux Juif permet aux familles de se rapprocher, de se découvrir et d’accueillir enfin le radicalement « autre. »

Paradoxalement, ce récit fortement ancré dans la réalité se lit comme un conte. Il y est question de souffrances des peuples : peuple algérien, peuple juif, peuple français.

Mais tout est écrit dans une langue très soutenue et résolument poétique. Les personnages ne cessent de recourir aux métaphores pour dire leur douleur ou leur joie. La vie elle-même s’enchaîne et prend sens dans le pouvoir des mots. Dans la même perspective, le livre est saturé de références aux grands textes spirituels et religieux : ce substrat culturel vient naturellement aux lèvres des êtres qui se parlent.

Un tel parti pris peut sembler étonnant Mais c’est finalement ce qui fait la force de ces pages où chacun, en toutes circonstances, se situe au meilleur de soi. Dignité, respect, écoute, compréhension, pardon : telles sont les valeurs qui sous-tendent avec force l’ensemble du récit.

Malgré quelques faiblesses, et l’étonnante occultation de la guerre civile algérienne, ce livre est remarquable de justesse et d’émotion. La parole y occupe une place centrale. C’est elle qui permet d’exprimer sa souffrance, de comprendre celle de l’autre, d’échanger et de partager, de guérir et d’aimer. Grâce à la parole, l’épaisseur de vie et de sentiment qui se cache derrière des existences en apparence ternes est remarquablement donnée à voir : derrière chaque vie, si triste et si morne soit-elle, il y a une histoire, et cette histoire vaut d’avoir été vécue et d’être dite. Une très belle leçon d’humanité.

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