On ne compte plus les colloques, séminaires, publications scientifiques, prises de position politiques et autres sur la question de l’intelligence artificielle. Ceux qui se réjouissent de son développement prodigieux et des possibilités qu’elle offre au genre humain, et ceux qui au contraire craignent sa dimension prométhéenne et l’avènement d’une société orwellienne, dominée par un Big Brother anonyme et insaisissable, ont un point en commun : leurs réflexions prennent rarement, pour ne pas dire jamais, en considération l’impact que l’intelligence artificielle a et aura de plus en plus sur la vie des citoyens les plus précarisés et exclus.

Quelques voix se sont levées ces dernières années. Parmi celles-ci, celle de Philippe Alston, alors rapporteur spécial sur l’Extrême pauvreté et des droits de l’homme, qui a consacré un de ses rapports thématiques à la question. Il mettait en évidence la manière dont aux États-Unis, en Grande Bretagne et ailleurs dans le monde, des décisions telles que la nature et la durée des peines de prison, la nature et les montants des aides sociales, et d’autres encore étaient, de plus en plus, décidées à travers des algorithmes. Cette évolution a été dénoncée, peu de temps après, par Mme Dunja Mijatovic, Commissaire aux Droits de l’homme du Conseil de l’Europe.

Entre démonisation et adoration béate de cette évolution technologique, il y a sans doute une voie moyenne à trouver, qui fasse la part des chances et celle des risques qu’elle nous fait encourir. Quels dangers principaux le développement de l’IA fait-elle peser sur les plus pauvres ? Dans quel domaine et à quelles conditions pourrait-elle au contraire être un outil supplémentaire pour leur libération ? C’est à ces questions, entre autres, que ce dossier de la Revue Quart Monde voudrait apporter quelques réponses, en donnant la parole aux experts, aux praticiens, et aux personnes en situation de pauvreté confrontées à ce développement.

Ainsi, fidèle à sa vocation d’explorer les chances et les risques de demain, la Revue Quart Monde contribuera à sa mesure à orienter les développements technologiques inéluctables au service de l’humain, de tous les humains, sans exception aucune.